Élu(e)s en situation de handicap : un combat au quotidien
Peu de personnes porteuses d'un handicap exercent un mandat local. En cause, des freins techniques et financiers, des préjugés... Pourtant, la volonté de s'engager est bien réelle.
En France, 12 millions de personnes, soit 18 % de la population, seraient concernées par le handicap, visible ou invisible. Mais combien, parmi ces personnes, sont-elles élues ? «Pas assez », selon Matthieu Annereau, conseiller municipal de Saint-Herblain (50 253 hab., 44) et président de l’Association pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées (APHPP, lire ci-dessous). Élu depuis dix ans et non voyant, il se bat pour l’inclusion des personnes handicapées dans la vie politique, encourageant leur engagement.
De même, l’AMF plaide pour un statut de l’élu en situation de handicap et a désigné un élu référent sur ce sujet (il s’agit de Xavier Odo, maire de Grigny, dans le Rhône). Quand on est venu la chercher en 2020, Anne Paillard, conseillère municipale de Congrier (900 hab., 53), diagnostiquée sourde quand elle était enfant, avoue avoir hésité mais a accepté, désireuse de découvrir la politique locale, de nouvelles personnes et de s’investir. «J’espère que mon expérience servira à d’autres », souligne-t-elle.
Participer à la vie publique, porter et réaliser des projets, pouvoir discuter et débattre, c’est aussi ce qui a motivé Jean-Charles Houssemagne, adjoint au maire de Cossé-le-Vivien (3 300 hab., 53). «Quand j’étais valide, je voulais faire beaucoup de choses que je n’ai pas faites, comme de la politique. Mon handicap m’a fait mûrir. C’est arrivé en 2016, j’avais 31 ans. Emprisonné dans mon corps, je n’ai que mon esprit pour atteindre une certaine liberté. Je suis heureux d’être élu et j’essaie d’apporter mon aide à ceux qui en ont besoin. »
Des soutiens indispensables
Pour Sylvie Pesnel, maire de Gerrots (60 hab., 14), le handicap est arrivé en 2012, après quatre ans de mandat, à la suite d’une maladie qui l’a rendue aveugle. Malgré deux années difficiles, «le temps de se familiariser avec certains outils informatiques mais aussi d’accepter la maladie et le handicap », l’élue a eu la volonté de continuer «parce que j’avais une parfaite connaissance du territoire et des habitants. Et aussi une bonne équipe autour de moi ».
À Saint-Avit, Michel Couzigou évoquait aussi auprès de Maires de France la présence indispensable de ses adjoints, de sa secrétaire de mairie, tout comme celle de ses proches, de son épouse. Jean-Charles Houssemagne en témoigne également : «Je suis tétraplégique de niveau C4-C5 et je ne peux rien faire tout seul. Lorsque je rentre de réunions tardives, je n’ai plus d’aide à domicile. Mais j’ai de la chance d’avoir ma femme. Sans elle, je ne pourrai pas être élu. »
L’époux de Sylvie Pesnel est même devenu adjoint en 2014, pour l’accompagner sur le terrain et l’aider dans la lecture des textes. «Et il y en a énormément ! Il a une connaissance de ce qui se passe effectivement sur la commune et sur l’EPCI. Il a même été accepté pour siéger à mes côtés aux réunions du conseil communautaire. Il n’y a eu aucune objection », explique la maire qui souligne aussi l’investissement de l’équipe municipale à ses côtés.
À Congrier, Anne Paillard peut compter sur sa collègue adjointe, Anita Rouleau, qui l’épaule autant que possible. «Nous avons appris avec les autres élus les bases de la langue des signes, mais ce n’est pas suffisant. On s’aperçoit que ça va vite, qu’il y a beaucoup de communication verbale. » Une interprète vient ainsi du département d’Ille-et-Vilaine afin que l’élue puisse suivre et intervenir lors des conseils municipaux. «Sans cela, nous la perdions », explique Hervé Tison, le maire. C’est la municipalité qui supporte le coût, de 400-500 euros par soir, faute d’aide de l’État qui peut pourtant prendre en charge les frais spécifiques de déplacement, d’accompagnement et d’aide technique que les élus engagent pour se rendre à des réunions ayant lieu sur et hors du territoire de la commune (art. L. 2123-18-1 du Code général des collectivités territoriales).
Des évolutions qui se font attendre
Ce financement des équipements et de l’accompagnement nécessaires aux élus en situation de handicap relève souvent du bon vouloir des communes et de leurs moyens. Et ceux qui n’en bénéficient pas ponctionnent sur leurs fonds personnels. «Le matériel pour les personnes en situation de handicap est d’un coût bien supérieur à celui des matériels lambda. Une machine à lire, par exemple, c’est 3 000 e. Mes investissements, je les ai faits avec l’aide de la maison départementale des personnes handicapées », précise Sylvie Pesnel.
« Nous sommes toujours face à tout un tas de blocages, déplore Matthieu Annereau. Des blocages administratifs où l’on vous renvoie d’un interlocuteur à un autre, des délais longs, un manque de simplicité des dispositifs mis en place, des montants plafonds de la PCH [prestation de compensation du handicap] insuffisants… »
De nombreux freins restent à lever et plusieurs propositions de loi, dont celle portant création d’un statut de l’élu local, adoptée le 7 mars dernier par le Sénat, prévoient des mesures. Mais quelle suite sera réservée à ces travaux ? «Cela fait des années qu’on parle de mesures, de changement. Mais c’est toujours repoussé car cela coûte de l’argent et que nous avons un problème en France avec le handicap », dénonce Jean-Charles Houssemagne.
Matthieu Annereau pointe un retard sur l’acceptation et la perception du handicap dans notre société. «Nous l’avons encore plus dans la classe politique. Parce qu’elle est encore dans l’idée qu’il faut être une personne forte, sans maladie, sans fragilités pour pouvoir être une femme ou un homme politique. Ce sont des propos qui m’ont été rapportés par d’éminents ministres atteints de handicaps invisibles qui n’en parlent pas. Dernier exemple en date, quand l’ex-ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, a évoqué sa dyslexie, il y a eu un vent de réactions très contrastées et quand même assez négatives, de type : “ il se cache derrière le handicap pour masquer une incompétence.” »
Les difficultés liées au handicap existent mais «elles peuvent être aujourd’hui compensées », témoignent tous les élus. «Malgré ces difficultés, je resignerai, assure Jean-Charles Houssemagne. D’ailleurs, je suis prêt à y retourner dans deux ans ! », lors des municipales de 2026.
Matthieu Annereau, conseiller municipal de Saint-Herblain (44) et président de l’APHPP*
« L’engagement des personnes
en situation de handicap est primordial »
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