André Laignel : " Il est urgent de rendre une part du pouvoir aux citoyens et aux élus qui les représentent "
Dans un entretien accordé à Maires de France, André Laignel, maire d'Issoudun (36) et 1er vice-président délégué de l'AMF, souligne le rôle essentiel des communes dans la gestion des multiples crises et dans la relance économique. Il plaide pour la libre administration et l'autonomie financière des collectivités. Et exhorte l'État à renforcer la décentralisation.
• Le thème du 106e Congrès de l’AMF sera «La commune… Heureusement ! » Pourquoi ?
Les communes sont le premier recours et, souvent, le dernier espoir de nos concitoyens face à un État distant et déliquescent. Les maires incarnent la proximité face à des administrations déshumanisées. La mairie est le dernier guichet auquel s’adressent les habitants pour résoudre leurs problèmes, quand ils ont épuisé leurs démarches ailleurs, à tous les âges de la vie.
Alors oui, heureusement que la France peut compter sur cette extraordinaire «armée de campagne » que constituent les 498 000 élus locaux, ces «petites mains » de la République qui se consacrent à leur commune et à leurs concitoyens.
La commune est un amortisseur social, avec le département. Depuis 2020 particulièrement, les élus et les agents municipaux ont aidé l’État et leurs administrés à faire face aux multiples crises sanitaires, économiques, sociales, écologiques.
• L’État ne semble pas cependant avoir perçu le rôle des communes…
L’État est freiné par une haute administration dont les agents ont l’impression d’être les sachants. Les principes constitutionnels de libre administration et d’autonomie financière et fiscale ne sont pas respectés. L’exécutif a nationalisé la fiscalité locale – suppression de la taxe d’habitation, de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) –, imposé aux collectivités une baisse de leurs dotations. Aujourd’hui, il remet quasiment en cause leur liberté d’investir en pointant leur besoin de financement qui aggraverait le déficit des comptes publics ! Une fable !
• Que ressentent les élus ?
Depuis des mois, ils n’avaient plus d’interlocuteur. Ils sont confrontés à une série d’incertitudes sur le montant des dotations de l’État, sur celui de ses subventions d’investissement et d’équipement, sur la compensation des suppressions de fiscalité locale. Comment construire un budget municipal dans ces conditions ? Le maire est actuellement comme un commandant de bord qui aurait perdu ses instruments de navigation…
• Vous estimez que les collectivités sont le dernier recours face à la crise économique. Pourquoi ?
Parce qu’elles représentent 70 % de l’investissement civil public dont la moitié pour le bloc communal. Elles sont donc essentielles pour la relance de l’activité et la croissance dans tous les secteurs d’activités. Encore faut-il que l’État ne se désengage pas comme il le fait, par exemple, s’agissant du fonds vert : ce dernier, essentiel pour soutenir les investissements colossaux que les collectivités doivent engager dans la transition écologique, serait amputé de 60 %, soit 1,5 milliard d’euros cette année ! Le zéro artificialisation nette (ZAN), imposé aux élus, est aussi un frein au développement économique. Il est urgent d’assouplir son application comme l’AMF le demande. Car les maires n’ont déjà plus de retour fiscal sur leurs efforts pour accueillir les entreprises. Avec le ZAN, c’est la double lame !
• Quel est le risque ?
Si l’État n’augmente pas urgemment les capacités de financement des collectivités, nous risquons une récession qui commence dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. Il peut encore le faire pour 2025. Les maires ont plein de projets, ils imaginent l’évolution de leur commune à dix ans. Aujourd’hui, ils ne sont pas capables de l’imaginer à six mois ! Cela risque de freiner beaucoup d’initiatives. Il faut soutenir leurs efforts car la relance repose sur eux.
• Que doit faire l’État ?
L’État doit arrêter les injonctions contradictoires : demander aux collectivités de maîtriser leurs dépenses tout en leur en infligeant de nouvelles – la hausse du point d’indice, la création du service public de la petite enfance, le plan crèches, la rénovation du bâti scolaire… – et tout en leur demandant d’investir. Dans ma commune d’Issoudun, j’ai ouvert 18 nouvelles places en crèches et créé 7 emplois : suis-je un mauvais maire car j’engage une telle dépense ? Faut-il que je renonce pour être un bon maire ?
• L’exécutif a présenté, début octobre, devant le Comité des finances locales (CFL), le volet collectivités du budget 2025. Quelles sont les demandes de l’AMF ?
L’AMF demande une indexation de la dotation globale de fonctionnement (DGF) sur l’inflation. Cette dotation est de l’argent que l’État doit aux collectivités. Elle ne doit plus baisser en euros constants. L’exécutif doit aussi augmenter les crédits de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) et ceux de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) qui pourraient être regroupées en une seule dotation avec les règles applicables à la DETR. Au chapitre fiscal, nous devons collectivement réfléchir à la création d’un nouvel impôt local. L’AMF propose la création d’une contribution territoriale universelle.
• Décentralisation, autonomie financière, libertés locales... Sur tous ces sujets, l’AMF ne semble pas avoir trouvé d’écho auprès du chef de l’État ces dernières années. Restez-vous optimiste ?
« Le pessimisme de l’intelligence oblige à l’optimisme de l’action », a dit le philosophe italien Antonio Gramsci… Il n’y a pas d’obstacle que l’on ne puisse franchir. Il est urgent de rendre une part du pouvoir aux citoyens et aux élus qui les représentent.
L’AMF a fait de multiples propositions pour approfondir les libertés locales à partir d’un principe simple : la subsidiarité. Cela suppose de la confiance entre l’exécutif et les collectivités. Ces dernières années, au mieux, l’État nous a écoutés mais il ne nous a pas entendus.
Les maires ont pourtant montré leur rôle essentiel face à toutes les crises, aux côtés de l’État. Ce dernier doit les considérer comme des partenaires. J’espère que le prochain gouvernement aura le courage politique et une majorité pour engager le chantier crucial d’un nouvel acte de décentralisation. L’AMF est évidemment disponible pour ce faire. Si la France ne choisit pas cette voie, elle s’enfoncera de plus en plus dans le déclin.
• Depuis 2020, le mandat municipal a été très difficile. Craignez-vous une crise des vocations en 2026 ?
J’espère que non. Gageons que le prochain mandat ne sera pas celui de la continuité des nombreuses crises survenues depuis quatre ans et demi. Nous devons aussi faire aboutir la réforme du statut de l’élu avant la fin de l’année 2025 pour améliorer les conditions d’exercice du mandat en apportant de meilleures garanties sociales, juridiques, financières à celles et ceux qui s’engagent. Là encore, l’AMF porte des propositions.
Raccourci : mairesdefrance.com/28131
Cet article a été publié dans l'édition :
- Inhumations, crémations : allongement des délais
- André Laignel : " Il est urgent de rendre une part du pouvoir aux citoyens et aux élus qui les représentent "
- Campagne de communication : l'AMF rappelle le rôle essentiel des communes
- JOP 2024 : et maintenant quel héritage ?
- L'AMF interpelle les nouveaux députés européens
- Pour une politique de cohésion " plus simple et plus efficace "
- Sécurité civile : faire face aux risques
- Une compétence mobilité prise à bras-le-corps
- Cugand aide ses jeunes à réviser
- Il booste l'énergie verte en fondant une société privée
- Communiquer des renseignements sur les administrés : à quelles conditions ?
- Incinération : répondre aux besoins
- Le droit d'expression des élus municipaux et ses limites
- Transition écologique : une nouvelle annexe budgétaire
- Dérives sectaires : partenariat État-élus
- Lanceur d'alerte : ce que doivent faire les collectivités
- Prévoyance des agents : objectif 1er janvier 2025
- Accueil de la petite enfance : nouvelles autorités organisatrices à partir du 1er janvier 2025
- ZAN : comment élaborer le rapport de suivi de l'artificialisation ?
- Comment assurer la sécurité numérique de ma commune ?
- Compétence eau-assainissement : existe-t-il un régime de délégation ?
Maires de France est le magazine de référence des maires et élus locaux. Chaque mois, il vous permet de décrypter l'actualité, de partager vos solutions de gestion et vous accompagne dans l'exercice de votre mandat. Son site Internet, mairesdefrance.com, vous permet d’accéder à toute l'information dont vous avez besoin, où vous voulez, quand vous voulez et sur le support de votre choix (ordinateur, tablette, smartphone, ...).