Le droit d'expression des élus municipaux et ses limites
Protégé par la loi et même garanti dans les supports des communes de 1 000 habitants et plus, ce droit n'est pour autant pas absolu et s'exerce dans certaines limites.
I - Le droit d’expression
. Majorité et opposition. Comme pour les élus de la majorité (lire ci-dessous), le législateur a garanti aux élus d’opposition, dans les communes où le conseil municipal est élu au scrutin de liste, un droit d’intervention dans ces supports : l’article 2121-27-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoit que «dans les communes de 1 000 habitants et plus, lorsque des informations générales sur les réalisations et sur la gestion du conseil municipal sont diffusées par la commune, un espace est réservé à l’expression des conseillers élus sur une liste autre que celle ayant obtenu le plus de voix lors du dernier renouvellement du conseil municipal ou ayant déclaré ne pas appartenir à la majorité municipale » et que «les modalités d’application du présent article sont définies par le règlement intérieur du conseil municipal. »
. Élus concernés. Le droit d’expression dans les supports municipaux est ouvert par la loi non seulement aux conseillers siégeant dans l’opposition depuis le début du mandat mais également à tous ceux «ayant déclaré ne pas appartenir à la majorité municipale ». Il faut admettre que des conseillers d’abord élus sur la liste majoritaire puis qui décideraient de faire sécession pour entrer dans l’opposition (et ce, à la faveur d’une simple déclaration publique) seraient fondés à invoquer le bénéfice de la loi pour obtenir un espace d’expression réservé dans les supports municipaux jusqu’à la fin du mandat.
Par ailleurs, les conseillers isolés ne doivent pas être privés de ce droit d’expression au seul motif qu’ils n’appartiennent pas à un groupe ; les dispositions d’un règlement intérieur qui imposeraient une telle condition seraient illégales et ne devraient pas être appliquées.
. Intercommunalité. Identifier les conseillers d’opposition peut s’avérer délicat. Dans la plupart des communautés de communes, il est fréquent qu’aucun clivage partisan n’apparaisse expressément et qu’aucun groupe politique ne soit constitué. Pourtant, le droit d’expression y est bien reconnu, puisque le CGCT renvoie, dans sa partie relative aux EPCI, aux dispositions applicables sur ce point aux communes.
Il faut donc se fier aux déclarations des conseillers communautaires : ceux qui annonceraient publiquement qu’ils ne font pas partie de la majorité intercommunale devraient se voir ouvrir un espace d’expression réservé dans les supports édités par l’EPCI.
. Supports concernés. Toute mise à disposition du public de messages d’information portant sur les réalisations et la gestion du conseil municipal ouvre aux élus d’opposition le droit d’intervenir, quelle que soit la forme qu’elle revêt. Les supports concernés dépassent donc largement le seul magazine municipal distribué ou mis en ligne.
Sont concernés par l’obligation légale le site internet de la commune (même si le magazine y est déjà mis en ligne), la lettre d’information envoyée par mail ou encore la «Lettre du maire » (même si un magazine existe par ailleurs). La circonstance que le document soit ponctuel ne permet pas non plus de justifier qu’il échappe à l’obligation d’y prévoir un espace d’expression réservé à l’opposition.
. Réseaux sociaux. Bien que les élus n’envisagent pas encore fréquemment d’y faire valoir leur droit d’expression, les pages «officielles » des communes sur le réseau Facebook sont concernées par l’obligation légale, si elles traitent des réalisations ou de la gestion du conseil municipal (cf. notamment : CAA Lyon, 26 juin 2018, n°16LY04102).
. Supports exclus. Le juge administratif a exclu, dans certains cas, l’application de la loi à certains supports, soit qu’ils ne portaient pas sur les réalisations ou la gestion de la commune (par exemple dans les cas où ils comportaient uniquement des renseignements pratiques, des informations administratives ou des informations relatives à la vie sociale et associative des habitants de la commune), soit que leur diffusion demeurait interne à la collectivité, réservée à ses élus et à ses agents.
La page Twitter (X aujourd’hui) de la collectivité échappe également à cette obligation (CAA Lyon, 26 juin 2018, n°16LY04102) pour deux raisons principales : le juge considère que la contrainte de forme imposée (nombre de caractères très limité) et l’usage de ce réseau (renvoi vers des informations sur d’autres supports) justifient de l’exclure de l’application de la loi.
. Volume. L’espace réservé aux conseillers n’appartenant pas à la majorité municipale doit, sous le contrôle de juge, présenter un caractère suffisant et être équitablement réparti, cette formule étant complétée par la prise en compte de la taille totale du support, le volume de l’espace réservé devant alors également, selon le juge, y être proportionné.
II - Les limites du droit d’expression
. Règlement intérieur. Dans les supports édités par la commune, le règlement intérieur pourra encadrer les modalités d’exercice du droit d’expression des élus : la date avant laquelle la tribune devra être reçue en mairie pour être publiée, le format informatique requis mais également la forme de la tribune pourront être réglementés.
Sur ce dernier point, l’état du droit n’est pas encore stabilisé : pour les services de l’État, «le pouvoir reconnu au conseil municipal de définir dans son règlement intérieur un cadre pour la publication d’articles dans les pages du bulletin d’information générale étant strictement limité, il ne lui est pas possible d’y interdire par principe la publication de photographies, de dessins ou de caricatures » (réponse du ministre de l’Intérieur à la question écrite n° 58352, JO de l’Assemblée nationale du 22 septembre 2015).
Pour nombre de juridictions, en revanche, la loi laisse aux communes la possibilité d’interdire des «gros titres » et surtout des images ou des photographies (CAA Paris, 4 juillet 2018, n°17PA01019,17PA01022). Injures et diffamations. Dans les supports édités par la commune comme dans les supports qu’ils éditeraient eux-mêmes, les élus encourent des condamnations pénales et civiles si leurs propos peuvent être qualifiés d’injure ou de diffamation (lire notre article "Injures et diffamation : comment poursuivre ? ").
Aux termes de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (applicable à tout support d’expression publique), tels que la jurisprudence de la Cour de cassation les a interprétés, la diffamation consiste dans l’imputation d’un fait précis à une personne déterminée, susceptible de débat contradictoire sur sa vérité et qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne auquel ce fait est imputé (lire ci-dessous).
L’injure peut, elle, être reconnue dans toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait.
. Motif de censure. La présence d’une diffamation ou d’une injure est d’ailleurs le seul motif pour lequel un maire est fondé à refuser la publication, dans l’espace d’expression réservé à l’opposition, d’une tribune en raison de son contenu. La position du Conseil d’État est désormais la suivante : «Ni le conseil municipal ni le maire de la commune ne sauraient, en principe, contrôler le contenu des articles publiés, sous la responsabilité de leurs auteurs, dans cet espace. Il en va toutefois autrement lorsqu’il ressort à l’évidence de son contenu qu’un tel article présente un caractère manifestement outrageant, diffamatoire ou injurieux au regard des dispositions précitées de la loi du 29 juillet 1881 » (CE, 27 juin 2018, n° 406081).
. Libéralisme. Pour autant – et trop de maires l’ignorent encore –, la jurisprudence tant européenne que nationale est marquée, en cette matière, par un spectaculaire libéralisme qui raréfie les cas de condamnation d’élus d’opposition pour diffamation.
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) juge en effet fréquemment qu’au nom de la liberté d’expression, la tolérance doit être plus grande lorsque les auteurs poursuivis sont des élus d’opposition qui, plus que les quidams, «doivent pouvoir attirer l’attention sur les préoccupations de l’électorat et défendre ses intérêts » (CEDH, 24 avril 2007, Lombardo c. Malte, n° 7333/06).
De plus, la CEDH considère que «les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier : à la différence du second, le premier s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens ; il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance » (CEDH, 8 juillet 1986, n° 9815/82, Lingens c/Autriche). Les juges français adoptent la même position.
Raccourci : mairesdefrance.com/28132
Cet article a été publié dans l'édition :
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