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25/10/2024
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Élu(e)s en situation de handicap : un combat au quotidien

Peu de personnes porteuses d'un handicap exercent un mandat local. En cause, des freins techniques et financiers, des préjugés... Pourtant, la volonté de s'engager est bien réelle.

Anita Rouleau, adjointe au maire de Congrier (53), à gauche sur la photo, a appris les bases de la langue des signes pour pouvoir échanger et aider Anne Paillard, conseillère municipale sourde, à droite sur la photo, dont elle est très proche.
Il se sera investi jusqu’au bout dans ses fonctions de maire de Saint-Avit (178 hab., 47), et vice-président de Val de Garonne Agglomération : Michel Couzigou s’est éteint, le 1er septembre, après avoir lutté plusieurs années contre la maladie de Charcot. Continuer, être au service des autres et de son territoire, c’était son moteur, expliquait-il à Maires de France, le 19 août dernier. «Ce n’est pas du courage. Je suis face à une situation où je n’ai pas le choix. Je me rends compte que je passe de bonnes journées quand je suis à la mairie, quand je fais travailler mon cerveau. Je concentre ma réflexion à autre chose qu’à surveiller mes douleurs », confiait-il.

En France, 12 millions de personnes, soit 18 % de la population, seraient concernées par le handicap, visible ou invisible. Mais combien, parmi ces personnes, sont-elles élues ? «Pas assez », selon Matthieu Annereau, conseiller municipal de Saint-Herblain (50 253 hab., 44) et président de l’Association pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées (APHPP, lire ci-dessous). Élu depuis dix ans et non voyant, il se bat pour l’inclusion des personnes handicapées dans la vie politique, encourageant leur engagement.

De même, l’AMF plaide pour un statut de l’élu en situation de handicap et a désigné un élu référent sur ce sujet (il s’agit de Xavier Odo, maire de Grigny, dans le Rhône). Quand on est venu la chercher en 2020, Anne Paillard, conseillère municipale de Congrier (900 hab., 53), diagnostiquée sourde quand elle était enfant, avoue avoir hésité mais a accepté, désireuse de découvrir la politique locale, de nouvelles personnes et de s’investir. «J’espère que mon expérience servira à d’autres », souligne-t-elle.

Participer à la vie publique, porter et réaliser des projets, pouvoir discuter et débattre, c’est aussi ce qui a motivé Jean-Charles Houssemagne, adjoint au maire de Cossé-le-Vivien (3 300 hab., 53). «Quand j’étais valide, je voulais faire beaucoup de choses que je n’ai pas faites, comme de la politique. Mon handicap m’a fait mûrir. C’est arrivé en 2016, j’avais 31 ans. Emprisonné dans mon corps, je n’ai que mon esprit pour atteindre une certaine liberté. Je suis heureux d’être élu et j’essaie d’apporter mon aide à ceux qui en ont besoin. »
 

Des soutiens indispensables

Pour Sylvie Pesnel, maire de Gerrots (60 hab., 14), le handicap est arrivé en 2012, après quatre ans de mandat, à la suite d’une maladie qui l’a rendue aveugle. Malgré deux années difficiles, «le temps de se familiariser avec certains outils informatiques mais aussi d’accepter la maladie et le handicap », l’élue a eu la volonté de continuer «parce que j’avais une parfaite connaissance du territoire et des habitants. Et aussi une bonne équipe autour de moi ».

À Saint-Avit, Michel Couzigou évoquait aussi auprès de Maires de France la présence indispensable de ses adjoints, de sa secrétaire de mairie, tout comme celle de ses proches, de son épouse. Jean-Charles Houssemagne en témoigne également : «Je suis tétraplégique de niveau C4-C5 et je ne peux rien faire tout seul. Lorsque je rentre de réunions tardives, je n’ai plus d’aide à domicile. Mais j’ai de la chance d’avoir ma femme. Sans elle, je ne pourrai pas être élu. »

L’époux de Sylvie Pesnel est même devenu adjoint en 2014, pour l’accompagner sur le terrain et l’aider dans la lecture des textes. «Et il y en a énormément ! Il a une connaissance de ce qui se passe effectivement sur la commune et sur l’EPCI. Il a même été accepté pour siéger à mes côtés aux réunions du conseil communautaire. Il n’y a eu aucune objection », explique la maire qui souligne aussi l’investissement de l’équipe municipale à ses côtés.

À Congrier, Anne Paillard peut compter sur sa collègue adjointe, Anita Rouleau, qui l’épaule autant que possible. «Nous avons appris avec les autres élus les bases de la langue des signes, mais ce n’est pas suffisant. On s’aperçoit que ça va vite, qu’il y a beaucoup de communication verbale. » Une interprète vient ainsi du département d’Ille-et-Vilaine afin que l’élue puisse suivre et intervenir lors des conseils municipaux. «Sans cela, nous la perdions », explique Hervé Tison, le maire. C’est la municipalité qui supporte le coût, de 400-500 euros par soir, faute d’aide de l’État qui peut pourtant prendre en charge les frais spécifiques de déplacement, d’accompagnement et d’aide technique que les élus engagent pour se rendre à des réunions ayant lieu sur et hors du territoire de la commune (art. L. 2123-18-1 du Code général des collectivités territoriales).
 

Des évolutions qui se font attendre

Ce financement des équipements et de l’accompagnement nécessaires aux élus en situation de handicap relève souvent du bon vouloir des communes et de leurs moyens. Et ceux qui n’en bénéficient pas ponctionnent sur leurs fonds personnels. «Le matériel pour les personnes en situation de handicap est d’un coût bien supérieur à celui des matériels lambda. Une machine à lire, par exemple, c’est 3 000 e. Mes investissements, je les ai faits avec l’aide de la maison départementale des personnes handicapées », précise Sylvie Pesnel.

« Nous sommes toujours face à tout un tas de blocages, déplore Matthieu Annereau. Des blocages administratifs où l’on vous renvoie d’un interlocuteur à un autre, des délais longs, un manque de simplicité des dispositifs mis en place, des montants plafonds de la PCH [prestation de compensation du handicap] insuffisants… »

De nombreux freins restent à lever et plusieurs propositions de loi, dont celle portant création d’un statut de l’élu local, adoptée le 7 mars dernier par le Sénat, prévoient des mesures. Mais quelle suite sera réservée à ces travaux ? «Cela fait des années qu’on parle de mesures, de changement. Mais c’est toujours repoussé car cela coûte de l’argent et que nous avons un problème en France avec le handicap », dénonce Jean-Charles Houssemagne.

Matthieu Annereau pointe un retard sur l’acceptation et la perception du handicap dans notre société. «Nous l’avons encore plus dans la classe politique. Parce qu’elle est encore dans l’idée qu’il faut être une personne forte, sans maladie, sans fragilités pour pouvoir être une femme ou un homme politique. Ce sont des propos qui m’ont été rapportés par d’éminents ministres atteints de handicaps invisibles qui n’en parlent pas. Dernier exemple en date, quand l’ex-ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, a évoqué sa dyslexie, il y a eu un vent de réactions très contrastées et quand même assez négatives, de type : “ il se cache derrière le handicap pour masquer une incompétence.” »

Les difficultés liées au handicap existent mais «elles peuvent être aujourd’hui compensées », témoignent tous les élus. «Malgré ces difficultés, je resignerai, assure Jean-Charles Houssemagne. D’ailleurs, je suis prêt à y retourner dans deux ans ! », lors des municipales de 2026. 

 

Un fonds national rattaché au FIPHFP ?
Un amendement au projet de loi de finances pour 2023 prévoyait la création d’un financement pour l’équipement et l’accompagnement des élus en situation de handicap, alloué au FIPHFP, mais il avait été retoqué par le gouvernement.
« La création d’un fonds au sein du FIPHFP peut être une solution, véritablement. Nous savons et pouvons faire cet accompagnement des élus en situation de handicap mais il faut à la fois un budget annexe et des ressources ad hoc, une modification législative pour étendre nos missions et une étude de faisabilité », explique Françoise Descamps-Crosnier, présidente du FIPHFP.

 

Témoignage
Matthieu Annereau, conseiller municipal de Saint-Herblain (44) et président de l’APHPP*
« L’engagement des personnes
en situation de handicap est primordial »
« Notre participation à la vie politique comme dans tous les pans de la société est la condition sine qua non pour arriver à une société plus inclusive. C’est à nous, aussi, personnes en situation de handicap, de nous engager, de faire profiter la société de notre différence et de nos compétences. Depuis le début de l’année, nous avons élargi notre collectif d’élus aux candidats [aux fonctions électives] vivant avec un handicap. Cet engagement est primordial dans le cadre des municipales de 2026.
Nous travaillons aussi avec l’association Handéo sur un projet de recherche HandiPPolitique pour 2026 (www.handeo.fr) afin de rendre plus lisible les freins et leviers à la participation politique des personnes handicapées. Ainsi qu’au niveau international avec un rassemblement d’élus en situation de handicap francophones et anglo-saxons qui se déroulera fin 2024, à Paris. Parce que c’est un sujet qui mérite d’avoir une vision supra-nationale. »
* Association pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées (www.aphpp.org)

 

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Par Estelle Chevassu
n°427 - OCTOBRE 2024