Revitaliser les villages : un enjeu crucial
Lutter contre le sentiment d'abandon, éviter les communes dortoirs, créer des commerces, revivifier les liens sociaux. Des maires de petites villes et bourgs ruraux fourmillent d'idées pour relever ces défis, vécus comme des urgences pour leurs habitants. Aucun ne prétend avoir la recette magique, certains admettent même des plantages. Mais tous partagent une conviction : c'est cela ou mourir !
« Six ans que l’on travaille à ce projet », explique Jean-Luc Armand. Voire plus de quatorze ans car les élus ont d’abord rejeté, en 2010, le projet d’un cabinet d’études jugé «trop linéaire et qui se bornait à aménager le stationnement et les bas-côtés. Or, ce dont nous manquons, c’est d’espace de convivialité et de rencontre. » Le conseil municipal lui a donné «de l’épaisseur », en multipliant les collaborations : le partenariat entre Val de Garonne Agglomération et l’établissement public foncier en 2016, le soutien financier de la région Nouvelle-Aquitaine, une opération de revitalisation du territoire, l’assistance technique du conseil départemental... Et en associant un partenaire devenu clé, le bailleur social Habitalys, qui va investir 1,4 M€ sur les 3,5 M€ du coût total.
L’idée n’est pas de recréer le village d’antan, «cela n’aurait pas de sens, mais nous avons besoin de diversifier l’offre commerciale, de regrouper les équipements publics grâce à la relocalisation de la Poste notamment et à la création d’une halle, de végétaliser », résume Jean-Luc Armand. Le plan de financement repose à 75 % sur des subventions «quasi sûres », veut croire le maire.
Beaucoup de choses restent encore à penser dans cette opération tiroir (la reprise du bar tabac ou la création d’une supérette...). De quoi occuper le «manager de commerce » en village rural que la commune compte recruter début 2025, grâce au dispositif de volontaire territorial en administration (VTA), cofinancé par l’État (lire p. 47). Dans son bureau, Jean-Luc Armand met le point final à sa fiche de poste. Confiant. D’autant qu’une autre bonne nouvelle est arrivée le 1er septembre : la boulangerie du village, brutalement fermée en avril 2023, a rouvert.
Sauver l’épicerie multi-services
Dans un autre village du Lot-et-Garonne, bien nommé Lamontjoie, jolie bastide royale de 600 habitants, son maire, Pascal Boutan, est intarissable lorsqu’il évoque la transformation, ces dix dernières années, du village où il est né. Une histoire à rebondissements, jalonnée d’étapes et de personnages clés (un ancien préfet faisant bénéficier de son carnet d’adresses, un homme d’affaires croisé dans la salle des pas perdus d’un tribunal de commerce...), et qui a commencé par l’ouverture d’un Ehpad, en 2016-2017, avec 43 emplois à la clé. «C’est un peu comme si Airbus arrivait dans la commune », lance Pascal Boutan. Son credo : «Tout peut marcher, à condition de tenter ! »
Comme lorsqu’il a été taper à la porte d’un chef étoilé, à 15 minutes de la commune, pour l’aider à trouver un restaurateur acceptant de s’installer sur la commune. Le conseil municipal cherchait un moyen d’ouvrir un restaurant. Un couple d’habitants s’est proposé d’investir dans les murs. Restait à trouver le restaurateur. Grâce au chef, un jeune couple, séduit par le village, s’y est installé en 2018. Il n’en est plus reparti. Leur table est aujourd’hui réputée jusqu’à Agen. «On y croise en semaine des hommes d’affaires comme, le week-end, des familles venant visiter des parents à l’Ehpad. Cela crée une vraie dynamique », assure le maire.
Aujourd’hui, le nouveau challenge de l’équipe municipale est de sauver l’épicerie multi-services. Le maire se souvient en avoir garni les rayons lors de sa création, il y a quarante ans, par celle qui va prendre sa retraite en fin d’année. En juin, il lui a donc proposé que la municipalité s’en mêle, car l’échéance s’approche, sans repreneur en vue. La commune a décidé sur ses deniers d’offrir les deux premières années de loyer (600 € par mois). «C’est une somme, reconnaît l’élu, mais le coût sera beaucoup plus élevé si ce commerce ferme. L’épicerie est comme un service public ici. »
Mises en relation
Le conseil municipal a déjà mis la main à la poche (600 €) pour réaliser une vidéo promotionnelle du village. Des calicots ont été accrochés aux entrées et sorties de la commune. Le maire a fait tourner l’information sur le millier de numéros de son carnet d’adresses, administrations incluses ! Des dizaines de personnes se sont manifestées et ont été mises en relation avec la gérante. L’affaire est donc en cours.
Le maire ronge son frein, toujours attentif à ne pas trop se mêler d’affaires privées, mais vigilant pour réagir au cas où. Comme c’est actuellement le cas avec la pharmacie. La licence risque d’être perdue lors du départ à la retraite du pharmacien. «Autant on peut recréer une épicerie, autant une pharmacie, si elle ferme, c’est fini, et tout notre projet est à plat », redoute le maire. Il a anticipé un scénario alternatif et a «bon espoir que cela fonctionne ».
« Enfin du pain dans le bourg de Mirambeau ». Le titre du quotidien Sud-Ouest est à l’image du «ouf » de soulagement poussé, cet été, par les habitants de cette commune du sud de la Charente-Maritime (1 522 hab.). Cela faisait près d’un an que la boulangerie-pâtisserie du centre-bourg, placée en liquidation judiciaire, avait fermé. La mairie a autorisé un camion-boulangerie, tous les matins, du mardi au dimanche. «C’est mon fils qui a eu l’idée d’aménager un camion pour venir vendre du pain à Mirambeau », explique la femme du boulanger de Saint-Bonnet-sur-Gironde (822 hab.), à 8 km de là.
Ne pas devenir un village dortoir
La boulangerie des Dupont n’est pas de prime jeunesse, «rustique » même, glisse un habitant. Elle aurait besoin de sérieuses rénovations, à l’image de ces commerces qui ont fermé définitivement leurs stores dans de nombreux villages. Une maison de retraite est le principal employeur, avec 35 salariés. C’est d’ailleurs elle qui a permis à la boulangerie Dupont de redresser son chiffre d’affaires. La supérette, récemment fermée, devrait aussi bientôt rouvrir. «À l’automne ! », promet le maire, Laurent Nivard, en relation avec un jeune couple, déjà épiciers sur une commune voisine. «Le loyer est modéré et on peut recevoir une subvention de la région pour aider à l’équipement », met-il en avant. Il essaye d’épauler également un jeune couple de restaurateurs, prêts à ouvrir une table dans l’ancien bar du village. En jeu, «l’achat d’une licence IV d’une commune à l’autre bout du département » pour lequel le couple a besoin de l’autorisation des deux communes.
Plus au Nord, dans la Manche, la commune nouvelle de Vicq-sur-Mer (1 072 hab. l’hiver, trois à quatre fois plus l’été) a profité du réaménagement de la place centrale pour prévoir un préau en bois et des toilettes publiques afin d’abriter gratuitement, été comme hiver, des commerçants itinérants à l’année. Pour les trouver, la secrétaire générale de mairie a fait le tour des campagnes. Un pêcheur, une esthéticienne et deux food trucks ont déjà répondu à l’appel.
Les habitants vont aussi bientôt pouvoir s’approvisionner dans une «supérette API ». L’enseigne de libre-service a démarché la commune en juin dernier. «On a sauté dessus ! », disait le maire, Richard Leterrier [décédé brutalement le 18 octobre dernier, NDLR]. Le conseil municipal a délibéré à la mi-juillet, le permis de construire a été déposé fin août, le magasin – un mobilhome de 40 m² – va ouvrir début 2025, 7 jours sur 7. La commune verse 3 000 € pour l’amorçage du fonds et a signé une convention de vingt ans avec l’enseigne, qui se réserve le droit de se retirer si le chiffre d’affaires minimum n’est pas atteint. «Mais je n’ai pas d’inquiétude, il le sera, les personnes n’attendent que cela », expliquait le maire.
Faire sens
Autre bonne nouvelle, l’ouverture d’un café associatif. Les locaux sont déjà trouvés, l’une des anciennes mairies inoccupées de cette commune nouvelle (depuis 2016). Depuis début septembre, une équipe de bénévoles se réunit toutes les semaines en mairie pour faire aboutir le projet. La date de l’inauguration est déjà fixée, «le 15 janvier, pour la galette de rois », se réjouissait Richard Leterrier. Serein, car le café sera porté par le foyer rural, créé, lui, il y a quatre ans, et qui a déjà fédéré près de 20 % de la population autour d’activités. «Nous en avions besoin car la commune s’étire sur 7 km, très peu de personnes travaillent ici. Nous ne voulons pas devenir un village dortoir. Le Covid nous l’a tous bien fait comprendre. La place de centre-bourg, avec parc, jeux d’enfants, terrain de pétanque, les food trucks, l’épicerie et bientôt le café, tout cela fait sens ! »
« Faire sens », c’est aussi ce que le maire du Palais-sur-Vienne (6 000 hab.) cherche à faire dans sa commune périphérique de Limoges, en Haute-Vienne. Le succès de la Guinguette, ouverte cet été sur les bords de la Vienne, encourage Ludovic Géraudie, content d’y avoir vu des habitants s’y retrouver soir ou midi. Les essais, les années passées, avec des associations, n’avaient pas été concluants. Le restaurateur qui l’a animé, gestionnaire d’un food-truck à l’année, rouvrira l’été prochain. C’était sa condition, de façon à amortir son investissement (8 000 € pour la cuisine et la sono). Le reste (local et fluides) est réglé par la mairie. Un arrangement qui va bien au maire, content d’avoir trouvé la bonne personne grâce à la chambre de commerce.
Il espère que le projet de camping prévu par l’agglomération de Limoges verra d’ici là le jour pour animer un peu plus ces bords de la Vienne. Cela fait partie d’une «nouvelle dynamique » qui doit se matérialiser, en centre-ville, par l’aménagement d’une place «au cœur d’un éco-quartier » où seront rapatriés les rares commerces qui résistent le long de la triste départementale.
Ludovic Géraudie en est convaincu, ce projet doit permettre de «lutter contre le sentiment d’abandon de la population, qui ne trouve plus de dentiste, a vu partir la gendarmerie, voit les horaires de la Poste se réduire chaque année, n’a pas un restaurant à proximité », et, dès lors, se détourne de sa ville.
Des aides à l’installation
Devenir une «ville rue », si typique du Pays basque soit-elle, c’est l’angoisse de Laurent Inchauspé, maire de Saint-Jean-Pied-de-Port (1500 hab.), traversée quotidiennement par 12000 voitures et poids lourds (15000 l’été). Là où, aujourd’hui, le piéton doit se faufiler entre les deux files incessantes de véhicules, bientôt, la végétalisation, les placettes et des voies piétonnes et cyclistes auront la part belle «pour créer un vrai cœur de village », explique le maire. Les premiers coups de pioche ont débuté. Le tout devrait être terminé au printemps prochain.
Le commerce est ici dynamique mais la municipalité veut rétablir une offre commerciale à l’année, et non restreinte aux touristes et pèlerins, nombreux sur cette étape du chemin de Compostelle. La ville s’appuie sur un «manager de commerce », recruté grâce au programme «Petites villes de demain », cofinancé par la Banque des territoires. Depuis cette année, elle aide, à raison de 200 € par mois, sur deux ans, des commerçants à s’installer, cinq par an (coût de 48 000 € jusqu’à la fin du mandat). En contrepartie de leur ouverture dix mois de l’année, quatre jours par semaine. Les candidatures ont été sélectionnées avec la chambre de commerce, celle des métiers et de l’agglomération du Pays basque. Parmi les premiers sélectionnés, un cordonnier, une boutique de prêt-à-porter ou encore un jeune pâtissier-chocolatier. Le maire rêve qu’un boucher se présente l’an prochain !
Renouvellement urbain
La commune de Marans, en Charente-Maritime (4 500 hab.), envahie aussi par les voitures et constellée de devantures fermées depuis des lustres, «voit le bout du tunnel », exulte son maire, Jean-Marie Bodin. Car «ça y est », après de multiples péripéties, projets, contre-projets depuis cinquante ans, le contournement de la ville «arrive enfin ». L’élu a en mains le tracé final qui devrait être effectif en 2029-2030. Un calendrier idéal avec le programme de revitalisation engagé dans le cadre de «Petites villes de demain ».
La ville en a profité pour financer plusieurs études (aménagement du centre-ville, plans de circulation, développement touristique, habitat) et une opération programmée d’amélioration de l’habitat de renouvellement urbain (OPAH-RU) va bientôt démarrer. «Trente élèves d’une école d’architecture nous ont livré leurs propositions, pas tous réalisables, mais cela a nourri notre projet », raconte Jean-Marie Bodin.
Bref, la «dynamique de renouvellement » est lancée avec la perspective d’une ville «apaisée ». Reste à y ramener des commerces de proximité. Et, en priorité, une boulangerie. La mairie prévoit de mettre des boutiques «à l’essai ». Et aux sceptiques, le maire l’assure : «12000 véhicules par jour, c’est cela qui a tué le commerce. Nous avons des atouts, mais il faut qu’on les redécouvre. »
Lors de la crise des gilets jaunes, on a vu s’exprimer fortement un sentiment de mal-être et d’isolement des habitants des territoires ruraux. Ce sentiment de mal-être a augmenté à mesure que les lieux de sociabilité et les services de proximité ont reculé. Notre idée est donc simple : il faut ouvrir ou empêcher la fermeture de lieux de convivialité. La majorité des projets que nous accompagnons concernent des communes de 200 à 1 200 habitants. Nous en avons réalisé 221 à ce jour.
Les candidatures peuvent être déposées à tout moment, des comités se réunissant régulièrement pour les examiner. Il n’y a pas de modèle type ou de cadre imposé. Chaque projet est différent. Mais dans tous les cas, deux conditions sont essentielles : la municipalité doit le soutenir et les habitants doivent être impliqués dans la vie du café, à quelque niveau que ce soit. Un café, pour tenir sur la durée, doit s’adapter au contexte et à l’environnement local. C’est notamment pour cela que certains territoires misent sur des cafés itinérants, d’autres sur des cafés saisonniers. Autre point important : tenir un café est un métier multifonctions dans ces territoires, ce qui nécessite formation et appui que nous pouvons apporter. »
Site internet : www.1000cafes.org (cliquer sur «Participer » pour accéder à l’onglet «Élus ») • Contact : [email protected]
Une enveloppe de 2,5 M€ devrait soutenir la création de tiers-lieux et une autre (3 M€) les associations «intervenant dans l’aménagement du territoire ». Le déploiement des espaces France services se poursuivra (l’État compte mobiliser 68 M€). La mise en œuvre du Fonds de restructuration des locaux d’activité (soutien aux petits commerçants et artisans) «s’étalera jusqu’en 2026 ». Les 2 168 communes exclues, depuis le 1er/07/2024, du nouveau zonage France ruralités revitalisation (FRR) devraient le réintégrer jusqu’au 31/12/2027.
Raccourci : mairesdefrance.com/28168
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