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Maires de France


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26/06/2024
AMF Logement Santé Social

Personnes âgées. Les élus confrontés au casse-tête de l'hébergement

Existe-t-il un modèle idéal d'accueil et comment le financer ? La question se pose pour de plus en plus de maires confrontés au vieillissement de leur population, d'un côté, et, de l'autre, aux limites des modèles proposés en raison des coûts. Ehpad, résidence autonomie..., les élus trouvent des solutions. Mais ils pressent l'état de leur donner des moyens.

Par Emmanuelle Stroesser
Illustration
© Emmanuelle Stroesser
Première résidence labellisée en Loire-Atlantique, la maison d'accueil et de résidence pour l'autonomie de Préfailles accueille des résidents, autonomes ou en perte d'autonomie.
Dans son carré de jardin, en cette fin de journée d’avril, Madame M. nous fait visiter son appartement de 32 m2, meublé avec ses vitrines, son grand lit, les vases et peintures de son mari défunt. Elle dit s’y sentir bien, y avoir retrouvé l’habitude de manger qu’elle avait perdu. « C’est ce qui a poussé mes enfants à me trouver une résidence. Ici, le déjeuner en commun est obligatoire. Le soir, on peut dîner dans notre appartement », glisse-t-elle.

Elle nous emmène visiter les lieux, comme sa ­maison. Quiconque passe devant cette résidence autonomie, située à Préfailles (1 223 hab., 44), ne la distingue pas d’une autre résidence de bord de mer. Elle fait même envie avec ses grands balcons à l’étage et ses terrasses ouvertes sur des jardinets sans clôture en rez-de-­chaussée, bordée par un grand parc.

De l’autre côté du terrain, c’est l’espace culturel de la commune. Des résidents s’y rendent pour des activités ou pour y écouter des concerts. À proximité immédiate du centre-bourg, à 400 mètres de la plage, un cadre quasi idéal. 

« C’est ce que nous voulions ! Que les résidents âgés autonomes puissent accéder à pied à tout ce qui fait la vie d’un village », explique le maire de Préfailles (44), Claude Caudal. Avec la directrice de l’établissement, il raconte l’histoire de cette résidence de 24 logements, gérée par le centre communal d’action sociale (CCAS) et inaugurée le 1er août 2022.

Tout a été sciemment choisi. Hormis le cahier des charges imposé par le label « Maison d’accueil rurale pour personnes âgées » (MARPA) de la Mutualité sociale agricole (MSA). « Mais il correspondait justement à ce que nous voulions, une résidence à taille humaine pour des personnes qui, à partir de 60 ans, ne veulent plus de la vie seule à domicile ou souhaitent se rapprocher de leurs enfants », explique le maire. « La MSA nous a aidé sur l’ingénierie et continue pour la veille sociale et juridique, c’est précieux », salue l’élu.

Le CCAS a obtenu l’autorisation d’agrandir la résidence de six nouveaux appartements, en juillet 2023, « pour équilibrer la hausse des coûts de gestion. Car si nous avons toujours défendu l’idée que la vieillesse ne doit pas être source de profit, la structure ne devait pas risquer des pertes non plus. Cela nous permet de rester à des prix inférieurs au privé, pour que toute personne, quels que soient ses revenus, puisse y accéder », explique l’élu. Il lui a d’ailleurs fallu résister aux pressions d’investisseurs privés lorgnant la parcelle. « Certains promoteurs de résidences privés sont venus me voir, m’expliquant qu’à moins de 80 logements, le projet ne serait pas rentable. Cela m’a fait bondir ! », raconte-t-il. 

À l’origine, le CCAS a répondu, en 2018, à un appel à projets du département pour soutenir la création de résidences autonomie. Un bailleur social a construit la maison, bénéficiant d’un bail emphytéotique de 55 ans, correspondant à la durée du prêt. Le CCAS lui verse une redevance. La commune n’a eu à investir que 85 000 euros pour l’aménagement du terrain. La cuisine a été conçue pour permettre la préparation sur place des repas et, en prime, ceux des scolaires (50 repas environ).

La résidence fait le plein et compte déjà une liste d’attente de huit personnes. Comme chez eux, les résidents continuent à bénéficier de services à domicile si besoin. En cas de perte d’autonomie trop importante, une convention a été signée avec l’Ehpad voisin pour y faciliter leur entrée. Et les animations organisées au sein de la résidence, financées grâce au forfait autonomie, sont ouvertes à tous les habitants de la commune, gratuitement.  

 

Garantir l’accession aux plus modestes

De l’autre côté du pont de Saint-Nazaire, en remontant la côte, la plage du Pouliguen (4 000 hab., 44) prolonge à perte de vue celle de La Baule, un cadre idéal pour vivre ses vacances comme sa retraite. Pas étonnant donc que la commune ait la particularité de compter une population «parmi les plus vieilles de France », selon son maire, Norbert Samama, avec près de 60 % de plus de 70 ans. Ce qui aiguise aussi les appétits commerciaux…

Deux structures privées à but lucratif, un Ehpad et une résidence autonomie « quasi de luxe », se sont implantées depuis quelques années. Les « investisseurs » de la résidence autonomie sont venus le voir, juste après son élection en 2020, pour exiger qu’il accueille les résidents devenus trop dépendants dans son Ehpad, géré par le CCAS, l’un des rares établissements publics du département. « Or, nous ne sommes déjà pas en capacité d’absorber la liste d’attente des demandes pour rejoindre notre Ehpad public de 60 lits », souligne ­Norbert Samama.

Le prix du foncier atteint ici 6 500 euros le m² de surface habitable. Difficile aussi, dans ces conditions, de loger le personnel accompagnant les personnes âgées. « Ajouter à cela l’image très détériorée des métiers en maison de retraite », reprend l’élu, qui explique, selon lui, les difficultés de recrutement, de l’aide-soignante au directeur d’Ehpad, et nécessite le recours à l’intérim qui devient, de plus en plus souvent, la seule solution. Ce qui alourdit la facture et creuse un peu plus le déficit budgétaire ces dernières années. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Malgré cela, le maire s’accroche pour ne pas céder la gestion de l’Ehpad à un gestionnaire privé. Car lui aussi tient à conserver une offre publique accessible aux plus modestes. Il a donc travaillé à la signature de conventions avec d’autres Ehpad (hospitaliers) pour l’échange de personnel. Il a augmenté, au 1er janvier, la redevance des résidents de 4 % (sur la partie hébergement) et cherche en parallèle d’autres pistes pour réduire les coûts de gestion, sans « nuire aux conditions de travail ».

Aujourd’hui, l’élu met la dernière main à un projet de construction d’une résidence autonomie. Rien de paradoxal, explique-t-il, car la résidence va être construite sur une partie du vaste terrain entourant l’Ehpad, en partenariat avec un bailleur social et une fondation. Un appel à projets, lancé en 2020 par le département, lui en a donné l’idée. La résidence comprendra quinze logements pour des personnes âgées, six autres pour des personnes handicapées ainsi que deux logements familiaux.

Les premiers coups de pioche sont prévus en septembre pour une livraison fin 2025. « La résidence autonomie adossée à un Ehpad est un bon modèle, qui a du sens », estime Pierre Martin, maire de Chauvé (3 100 hab., 44) et référent « grand âge » à l’AMF, qui connaît particulièrement bien le sujet pour avoir été lui-même directeur d’Ehpad dans le secteur non lucratif. « Cela permet de mutualiser les coûts, tout en étoffant les services aux résidents, comme une garde de nuit, des portages de repas ou des animations. »

L’urgence pour l’Ehpad du Pouliguen, comme pour la majorité des Ehpad publics, est de sortir du rouge vermillon ! 85 % d’entre eux étaient en état de déficit aggravé, fin 2022, contre 45 % en 2019, rappelle la Fédération hospitalière de France. L’AMF a adressé des  courriers d’alerte au gouvernement en 2023. Certains établissements ont été placés sous administration provisoire par l’Agence régionale de santé (ARS), comme au Havre (76). Le gouvernement a bien débloqué en urgence une enveloppe de 100 millions d'euros en 2023, une autre de 190 millions d'euros en 2024, et augmenté la «dotation soins » de 5 %. Cela reste insuffisant, dénoncent les élus, critiques également sur le caractère inéquitable, voire opaque, de l’attribution de ces aides selon les départements.

 

Action en justice contre l’État 

Pour desserrer l’étau, des Ehpad ont réduit la masse salariale. Même si « c’est se tirer une balle dans le pied », regrette le maire de Plouha (4 600 hab., 22), Xavier Compain, qui déplore de ne pas avoir les moyens suffisants pour faire vivre comme il le souhaiterait «son » Ehpad. ans le Finistère, son collègue de Plourin-lès-Morlaix (4 500 habitants), Guy Pennec, acquiesce. Lui a dû « siphonner » les réserves de son CCAS pour payer 80 % du salaire de la directrice de l’Ehpad et assurer un personnel minimum.

« Je suis financé par l’État et le département pour l’équivalent de 41,5 postes quand il en faut au moins 46,5. Donc, je paye la différence. C’est la condition pour avoir du personnel pour l’animation, une aide-soignante qui a le temps d’accompagner une personne âgée, parce que certaines marchent doucement, ont besoin d’une aide pour manger, d’être changée plusieurs fois par jour, alors qu’aujourd’hui on en est à calculer qu’il faut faire le ménage d’une chambre en 3 minutes et quelques millièmes », explique-t-il. Son Ehpad de 60 lits a ouvert en 1991. En 2020, le CCAS a essayé d’obtenir une extension de 15 places. Refusée. « On me l’a officieusement fortement décommandé, sous le fallacieux prétexte que la démographie va retomber en 2050 et que je serai bien embêté avec des chambres vides », grimace l’élu.

Le système craque. Les maires ont l’impression d’alerter le gouvernement dans le vide. C’est pourquoi plusieurs élus du Morbihan, des Côtes-d’Armor et d’Ille-et-Vilaine ont initié, en mai 2023, un mouvement qui vient d’aboutir, un an plus tard, au dépôt de 15 dossiers de « demandes indemnitaires préalables » à l’État (Maire info du 21/05). Une quarantaine d’autres vont suivre devant les tribunaux administratifs pour réclamer des dommages et intérêts. L’addition promet d’être salée.

L’action ne se limite déjà plus à la Bretagne. Le 23 mai, tous les maires ayant ou souhaitant rejoindre le mouvement se sont réunis à Plouha pour créer une association qui compte mener la bataille jusqu’à l’adoption d’une loi de programmation pluriannuelle pour le grand âge promise par l’état. Car le risque, c’est que des établissements ferment, reprennent élus et professionnels. Déjà, certains y ont été contraints, comme à Lanobre (15).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

D’autres vont se résigner, sous la pression d’ARS, à regrouper des « petits » Ehpad avec des plus gros, sur le modèle des groupements hospitaliers. La perspective fait bondir Marylène Millet, maire de Saint-Genis-Laval (21 350 hab., 69) et co-présidente de la commission affaires sociales de l’AMF. «On ne considère les regroupements que via les coûts directs immédiats. On pense toujours qu’en mutualisant, on fait des économies, mais on néglige le coût social et les coûts indirects à venir, souligne-t-elle. Quand on oblige des personnes âgées à déménager d’une structure de 16 lits pour une plus grande, située à plusieurs kilomètres, on les coupe de tous leurs liens. Pour la majorité d’entre elles, cela se traduira par une dénutrition et donc des maladies, des hospitalisations. Ce sont des coûts humains, indirects, non négligeables. » 

S’agissant des résidences autonomie, « beaucoup sont sous perfusion des CCAS et donc des budgets de communes », estime Marylène Millet. à Poitiers (87 950 hab., 86), la résidence autonomie Édith Augustin, l’une des quatre appartenant à la ville, a, elle aussi, failli fermer, mais pour des raisons différentes. Le CCAS constatait un taux d’occupation en chute libre depuis le Covid (55 résidents pour 73 places) et un bâti vétuste et obsolète, impossible à rénover en raison de la présence d’amiante.

Mais la réaction des résidents, familles et agents, a été si virulente que le CCAS a dû suspendre sa décision de fermeture en mars 2023. Un projet alternatif est aujourd’hui sur les rails. Avec, d’un côté, la rétrocession d’une dizaine de logements de la résidence par an à la Croix-Rouge pour y loger des femmes seules ou avec enfant. Ce chiffre correspond au rythme des départs de résidents chaque année. « Pendant ce temps, la ville va continuer à investir dans de nouveaux habitats pour personnes âgées », explique Coralie Breuille-Jean, adjointe au maire chargée des solidarités et de l’action sociale à Poitiers. Car elle n’est toujours pas convaincue que le modèle de la résidence autonomie soit encore adapté aux «néo retraités ».

L’idée est donc de «construire une résidence pour personnes âgées » dans l’esprit du «logement inclusif » plutôt que du foyer de vie. Un premier projet, en partenariat avec un bailleur social, est engagé mais il ne débutera pas avant 2027.  

« Est-ce qu’on continue à regarder ailleurs ? », apostrophent des élus, agacés par une forme de vision binaire dans l’opinion, opposant le domicile et l’hébergement, la bien et la maltraitance. « Le défaut est de ne voir que les dépenses immédiates, en sous-estimant les économies à plus long terme et en négligeant l’urgence actuelle d’apporter une réponse digne aux personnes qui n’ont plus les moyens et les capacités de rester seules chez elles », souligne Pierre Martin.

Des appels à projets pour « créer des tiers-lieux dans les Ehpad » ou promouvoir des «territoires zéro senior sans solution », actuellement proposés par des ARS, vont dans le bon sens. Mais les élus redoutent que ce soit insuffisant. 
 

TEMOIGNAGE
Pierre Martin, maire de Chauvé
3 100 habitants, 44) 
et référent « grand âge » à l’AMF 
« ehpad : Il faut plus de moyens humains et financiers »
« Tous les établissements ont souffert de gros déséquilibres financiers surtout depuis le Covid, pour de multiples raisons, de l’inflation (alimentation, énergie...) aux revalorisations salariales en passant par le recours à l’intérim qui a explosé.
Dans un Ehpad, 70 % des dépenses sont des frais de personnel. L’autre problème est lié aux ratios de personnel insuffisants, bien en deçà de ce qui serait nécessaire. Une loi grand âge est donc nécessaire. Et non une « petite » sur le bien vieillir (lire ci-dessous). Les Ehpad vont accueillir des personnes de plus en plus dépendantes, ce qui exige plus de moyens et de temps humain si l’on veut qu’ils assument de devenir des pôles gériatriques locaux.
À l’AMF, le crédo est « un Ehpad, un clocher » plutôt que des « structures usines » vers lesquelles certains poussent. On sent bien aussi la pression de structures privées lucratives qui ne sont pas aux mêmes prix. Or, si certaines personnes restent à leur domicile, ce n’est pas lié à un choix de confort mais à une contrainte financière !
Dans dix ans, on aura toujours besoin d’Ehpad. Il faut restructurer ceux qui existent et en construire de nouveaux. Le contrat local de santé est la bonne instance pour réfléchir à cette politique vieillesse à l’échelle d’un territoire, en coopération avec les professionnels de santé et du social, pour améliorer le parcours des personnes âgées. »
© Mairie de Chauvé

 

Financer le bien vieillir
Ces dernières années, les gouvernements successifs avaient annoncé une profonde réforme du grand âge. C’est finalement une proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l’autonomie qui a été adoptée et promulguée (loi n° 2024-317 du 8 avril 2024).
Ce texte crée un service départemental de l’autonomie conçu comme un guichet unique pour faciliter les démarches des personnes âgées, handicapées et des proches aidants. Il garantit un droit de visite aux résidents en Ehpad et renforce la prévention de la maltraitance.
Une « petite » loi cependant selon beaucoup d’élus et de professionnels, critiques sur ses avancées jugées modestes. Si ce n’est une nouvelle promesse : le texte prévoit, d’ici fin 2024, puis «tous les cinq ans », une «loi de programmation pluriannuelle pour le grand âge ».
Objectif : définir «la trajectoire des finances publiques en matière d’autonomie des personnes âgées, pour une période minimale de cinq ans » et déterminer les moyens prévus par l’état pour assurer le bien vieillir.


 

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