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Maires de France
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17/02/2022 FÉVRIER 2022 - n°398
Sécurité - sécurité civile

Mouvements sectaires : il y a des moyens d'agir !

Les maires se sentent souvent seuls face à des phénomènes difficiles à repérer. Ils peuvent s'appuyer sur des référents locaux et nationaux pour se faire aider.

Bénédicte Rallu
Santé, médecines douces, développement personnel sont des terrains propices à la dérive sectaire. Se renseigner auprès d'asso-ciations peut éviter les mauvaises surprises.
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Santé, médecines douces, développement personnel sont des terrains propices à la dérive sectaire. Se renseigner auprès d'asso-ciations peut éviter les mauvaises surprises.
Les mouvements à dérive sectaire sont en recrudescence. Et investissent subrepticement les communes. La crise sanitaire a renforcé cette tendance. Maires de France a recueilli des témoignages tout en conservant l’anonymat des élus, l’une des particularités de ces mouvements sectaires ou individus étant de très vite recourir à la justice pour toutes sortes de motifs.

Les élus locaux se retrouvent souvent démunis face à ces phénomènes difficiles à déceler tant ils sont protéiformes et il n’est pas toujours simple de s’apercevoir de l’immixtion de mouvances sectaires sur un territoire. Les personnes âgées constituent des «proies » faciles. Ce fut le cas dans une petite commune en milieu rural où la maire a remarqué qu’une de ses administrées se désocialisait peu à peu, sous l’influence de membres d’un groupe sectaire très connu. «Cette dame ne venait plus aux enterrements, ne votait plus à cause de “ses frères” qui ne le voulaient pas, explique l’élue. Peu de temps après la mort de son époux, la dame a eu un accident avec le bras en écharpe. Elle avait une petite retraite. Elle a donc accepté l’aide que ces membres lui apportaient gratuitement. » Face à cette situation, la maire, dont c’est le premier mandat, démunie par rapport aux arguments opposés par la personne concernée lors des tentatives de dialogue, avoue «ne pas avoir osé échanger avec les enfants car il est délicat de se mêler de la vie des habitants dans un village ».

Le maire d’une autre commune a été confronté à l’emprise du même groupe sectaire sur une personne de 95 ans, un peu en froid avec ses enfants, ceux-ci voulant la placer sous tutelle et en maison de retraite : «Les membres du groupe sectaire lui ont fait abandonner le portage des repas à domicile, la venue de son auxiliaire de vie. Ils s’occupaient d’elle. Donc, cette personne âgée pensait qu’elle faisait bien les choses. J’ai prévenu les enfants. Les membres du groupe avaient commencé à obtenir des assurances-vie à leur nom. L’affaire a duré un an et demi ! » La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) constate également l’entrisme des mouvements sectaires dans les Ehpad.
 

Entrisme

« Il ne faut pas hésiter à prévenir les enfants car ils peuvent demander une mesure de protection (qui n’est pas une restriction de liberté pour le parent) auprès de la justice. Et puis un maire peut envoyer un travailleur social, quelqu’un du CCAS par exemple, pour montrer à ces mouvements, dont le point fort est la présence auprès des personnes cibles, que la commune et les familles sont là aussi ! »

Autre cible de choix des mouvements sectaires :  les enfants via l’entrisme à l’école, l’instruction à domicile, les écoles hors contrat, le soutien scolaire, les activités périscolaires. Les possibilités d’intervention pour un maire sont certes limitées. Par exemple, pour l’instruction à domicile, «le contrôle des maires ne peut s’effectuer que sur les conditions matérielles dans lesquelles l’enfant reçoit l’instruction, et pas sur le fond de l’enseignement [NDLR : qui est du ressort de l’Éducation nationale]. C’est chronophage, cela demande des ressources humaines », rappelle l’un d’entre eux. Mais c’est à cette occasion que «le maire ou les services de la mairie entrent dans les familles et peuvent prévenir de la croissance des phénomènes sectaires », défend la Miviludes. Les maires peuvent aussi être alertés et s’interroger lorsque des parents demandent un régime particulier pour leur enfant, s’approchant de la radicalité alimentaire.

La santé, les médecines douces, le développement personnel, le bien-être sont aussi des domaines de prédilection des mouvements sectaires. De nouvelles techniques dites thérapeutiques et destinées à évacuer divers maux fourmillent. Si elles ne sont pas directement liées à des phénomènes sectaires, elles ne sont pas non plus encadrées. Le terme de «thérapeute » n’est par exemple soumis à aucune autorisation. Aussi, tout le monde peut revendiquer ce titre et les annuaires de thérapeutes sont légion sur internet.

Le flou juridique et le développement du secteur du bien-être concourent à fournir un terrain favorable à l’implantation de groupes sectaires. Ceux-ci investissent les salons et les événements spécialisés dans le bien-être, le zen, le bio, etc. La Miviludes alerte les maires, notamment ceux des communes éloignées de services médicaux de base. «Vous pouvez avoir une demande d’installation d’un thérapeute quelconque dans une maison de santé financée par la mairie. Mais mieux vaut n’y accepter que des vrais professionnels de santé de façon à bien les distinguer des non professionnels. Il ne doit pas y avoir de confusion possible entre les praticiens et les autres pour que les usagers puissent faire un choix éclairé en fonction d’une information objective », conseille la Mission.
 

En recherche d’une caution municipale

Il est en effet aisé de confondre par exemple un kinésithérapeute avec un kinésiologue (qui travaille sur la gestion du stress, la confiance en soi), surtout quand les deux professionnels ont une plaque à l’entrée d’un même cabinet. La Miviludes a par exemple découvert, en banlieue parisienne, une maison de santé où exerçaient un chirurgien spécialisé dans les anneaux gastriques et une thérapeute, ancienne coiffeuse, qui se disait spécialisée dans l’accompagnement psychologique…

« Les porteurs de projet pensent rentabilité, mais se renseigner auprès de l’agence régionale de santé ou d’associations comme la Miviludes » peut éviter les mauvaises surprises, préconise la mission interministérielle.

Les mouvements sectaires recherchent la caution municipale. Dans les maisons de santé mais aussi en apparaissant par exemple dans la revue de la commune, sur la liste des associations recensées au niveau communal, etc. Une manière pour eux de paraître plus respectables ou légitimes auprès de leur cible.

Dans les Vosges, un maire a fait un signalement fin 2020 après avoir reçu une lettre de la part d’un membre d’un mouvement sectaire mondialement connu. «Je me suis rendu compte qu’une centaine d’autres maires avait reçu la même. Mais il suffit d’un seul qui accepte le rendez-vous pour que le groupe puisse se réclamer de la rencontre avec l’élu », en frissonne encore l’édile.

Autre piège : la location de salle. Il n’est pas simple de savoir à qui une mairie a affaire. Il est arrivé que la Miviludes alerte par exemple directement un maire qui louait un local à un couple sans savoir que celui-ci pratiquait finalement des séances payantes prétendant guérir des enfants autistes. Sans refuser ouvertement de louer, il est toujours possible d’invoquer un planning de location plein ou d’autres arguments détournés.

 

TÉMOIGNAGE
Jean-Louis Amelineau,       
président de l’association Info Sectes Aquitaine, délégation régionale du Centre contre
les manipulations mentales
" Personne n'est à l'abri "
« Les dérives sectaires sont un fléau social. Les maires, en tant qu’acteurs de première ligne, doivent y être sensibilisés. Les communautés s’installent plus facilement dans les petits villages et les territoires peu densément peuplés. Personne n’est à l’abri. Tout n’est pas déviant et il faut être respectueux du droit de croire.

Mais certains comportements (des personnes qui vivent en autarcie, selon certains principes dits philosophiques, dans le complotisme, voire le survivalisme, des enfants qui ne vont pas à l’école du village…) peuvent alerter.

Un maire peut agir ! S’il ne peut empêcher, il peut compliquer les projets de ces mouvements en sensibilisant les agents, les habitants, en se rapprochant d’associations comme la nôtre, des services de l’État (ARS, gendarmerie...), en utilisant les PLU, etc.

Lors de salons liés au bien-être, il peut envoyer la liste des exposants à des référents (associations, gendarmerie…), poser des affiches de mise en garde du public. Les éco-villages, les éco-fermes, la biodynamie se développent. Parfois, c’est sain, parfois moins. Le maire peut discuter avec les personnes pour tâter le terrain, il est un relais. »

 

Vers qui se tourner ?

• La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Sur son site internet figurent des contacts locaux (acteurs publics, associations).  
• L’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victime de sectes : www.unadfi.org
• Centre contre les manipulations mentales : www.ccmm.asso.fr
• Les services de police et de gendarmerie.
• Les préfets, l’AMF et la Miviludes ont mis en place des sessions de sensibilisation des maires. Prochaines dates prévues : le 24 février, les 9 et 23 mars.

 

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