David Lisnard : « L'État doit laisser les collectivités agir au plus près du terrain »
À la veille du 106e Congrès de l'AMF (18-21/11), son président, David Lisnard, maire de Cannes (06) et président de la communauté d'agglomération Cannes Lérins, appelle l'État à se recentrer sur ses compétences régaliennes. Il lui demande de supprimer les prélèvements sur les recettes des collectivités, qui bafouent leur autonomie. Et souligne le rôle clé des communes auprès de leurs habitants.
Le Premier ministre veut bâtir un «nouveau contrat de responsabilité entre l’État et les collectivités ». Or, le gouvernement a annoncé, le 8 octobre, des prélèvements et coupes budgétaires affectant les collectivités. Quelle est votre réaction ?
L’État fait payer aux autres – les entreprises, les collectivités, les particuliers – sa propre incurie et sa mauvaise gestion. L’AMF avait alerté et dénonçait, il y a déjà quinze ans, l’empilement des structures, le culte des grands ensembles, les injonctions contradictoires de l’État et la prolifération normative qui génèrent des milliards d’euros de surcoût, comme l’indique chaque année le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN). Or, ceux qui ont créé ce système hyper-bureaucratisé voudraient nous le reprocher et nous le faire payer aujourd’hui ! Nous finançons déjà au quotidien, dans l’exercice de nos mandats, la complexité, l’allongement des délais et le coût de ce centralisme.
Ces mesures sont donc injustes ? Il faut certes redresser les comptes publics mais pas comme cela.
Ces mesures sont le degré zéro de l’imagination et de la pertinence. Le plafonnement de la TVA est un coup majeur porté à la parole de l’État qui s’était engagé à compenser aux collectivités par une fraction de cet impôt la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) à l’euro près. L’amputation du Fonds de compensation de la TVA pénalisera la capacité d’investissement des collectivités qui, comme tous les acteurs économiques, ont besoin de stabilité. Il s’agit donc d’une mesure récessive.
Enfin, les 3 milliards d'euros prélevés sur les recettes des collectivités pour abonder un «fonds de précaution » alimenteront en fait un «fonds de spoliation » : l’État prélève de l’argent qu’il doit aux collectivités. Il prend 2 % de nos recettes de fonctionnement. Pour la commune de Cannes (qui, je le répète, à chaque fois, a de grosses charges de centralité et un taux de pauvreté de la population élevé) et sa communauté d’agglomération, cela se traduit par une perte de 10 millions d'euros !
Que préconisez-vous ?
Les prélèvements de l’État sur les collectivités ne constituent pas des mesures d’économies et de bonne gestion car ils ne remettent pas en cause le périmètre de l’action publique et sa nécessaire clarification. Tous les jours, l’État transfère de nouvelles compétences aux collectivités sur la gestion du trait de côte, l’entretien des digues, la sécurité, la petite enfance... L’État poursuit aussi ses injonctions contradictoires : il réduit de 60 % les crédits du fonds vert mais demande aux élus d’investir massivement dans la transition écologique !
Comment les élus peuvent-ils faire ? Cette situation continuera de se traduire soit par de la dette, soit par la baisse de l’investissement, soit par de l’impôt supplémentaire. Il est donc urgent que l’État se réforme et mette fin à l’enchevêtrement des compétences avec les collectivités en se recentrant sur le régalien et en privilégiant le principe de subsidiarité ascendante : laisser les collectivités agir au plus près du terrain, en disposant d’une autonomie financière, et bâtir entre elles des coopérations en fonction des besoins.
Pourquoi l’État ne comprend-il pas que les collectivités sont un relais de croissance ?
Il y a un entre-soi au ministère de l’Économie et des Finances, dans d’autres ministères, à la Cour des comptes. Ceci conduit à une «monoculture », à un conformisme de la pensée très centralisateur et étatiste, producteur de normes. La lutte contre la bureaucratie, que l’AMF prône depuis tant d’années, est confiée à ceux qui la produisent ! Il y a donc un problème. La haute administration ne comprend pas quand les élus locaux lui parlent de libertés communales, de libre administration et de subsidiarité.
Quel crédit accordez-vous au gouvernement ?
Le gouvernement actuel est en apnée car il pare aux urgences budgétaires et je doute qu’il inverse cette tendance centralisatrice en dépit de la présence de ministres qui connaissent très bien les collectivités. J’espère cependant que ces derniers parviendront à imposer un retour au bon sens et à convaincre que l’assainissement des comptes publics ne peut passer que par la liberté et la responsabilité locales. Autrement dit, par le transfert aux communes des compétences de proximité avec des moyens. Je rappelle qu’en dix ans, les communes ont perdu un tiers de la dotation globale de fonctionnement (DGF) censée leur revenir. Cela doit cesser. Le gouvernement doit engager des réformes de structures qui nécessitent d’avoir une légitimité politique et du temps. Or, il n’a ni l’une, ni l’autre.
Que peut faire l’AMF ?
Nous allons nous mobiliser pour obtenir la suppression des mesures pénalisant les budgets locaux car les communes ne sont pas le problème des comptes publics et ne sont pas responsables de leur dégradation. L’AMF va faire des propositions concrètes d’économies : allégement des normes, de la planification, des lourdeurs administratives et procédurières, des contraintes administratives et règlementaires qui coûtent une fortune aux collectivités en ingénierie interne ou externe.
Il faut abroger des décrets coûteux qui obligent, par exemple, les collectivités à équiper tous leurs bâtiments de thermostat pour un coût de 1,1 milliard d’euros ou les nouvelles obligations imposées aux élus comme celle d’amortir les investissements dans le domaine de la voirie qui génèrera 200 millions d'euros de dépenses supplémentaires au 1er janvier 2025.
Les communes n’ont quasiment plus de levier fiscal. Que proposez-vous pour restaurer leur autonomie ?
Pour redonner des moyens d’agir aux communes tout en associant et en responsabilisant les citoyens, sans faire payer exclusivement les propriétaires, l’AMF propose de remplacer le système actuel par une contribution résidentielle universelle. Cette contribution permettrait aux communes de ne plus être sous la perfusion financière d’un État surendetté qui a supprimé quasiment toute la fiscalité locale et de rétablir de l’équité fiscale. La conséquence sera, à terme, de baisser les prélèvements obligatoires par la responsabilité fiscale des élus locaux et d’alléger aussi le budget de l’État, qui a accru son déficit en supprimant des impôts locaux (TH, CVAE…) qu’il doit désormais compenser aux collectivités en puisant dans les impôts nationaux, avec beaucoup de gaspillage bureaucratique.
Vous soulignez également un enjeu démocratique…
Absolument. Aujourd’hui, environ la moitié des habitants ne paie plus d’impôt local, l’autre moitié est constituée de propriétaires qui paient la taxe foncière et la taxe d’habitation sur les résidences secondaires. Il faut recréer un système de responsabilité locale et impliquer les citoyens dans la gestion de la commune, leur expliquer le coût réel des services publics dont ils bénéficient en tant qu’usagers. Ils comprendront que la gratuité n’existe pas. Le lien fiscal entre la commune et ses administrés, distendu aujourd’hui, doit être restauré car c’est aussi un lien civique et démocratique.
L’État semble prêt à assouplir l’application du zéro artificialisation nette (ZAN). Cela vous rassure-t-il ?
Il faut changer la loi. La loi Climat et résilience [du 22 août 2021], comme l’AMF l’avait pressenti et annoncé, est une loi à fragmentation bureaucratique, inapplicable en l’état, qui entrave la liberté et le développement local, et ne permettra pas de lutter contre l’artificialisation des sols. Les communes et intercommunalités refusent la tutelle de l’État et celle des régions via les Sraddet. Il faut sortir de cette vision descendante du ZAN et partir des projets des communes et EPCI en incitant les élus à pratiquer l’optimisation foncière, avec des clauses de revoyure et un système de bonus-malus, sans remettre en cause les pouvoirs d’urbanisme des maires.
L’AMF a formulé des propositions concrètes sur le sujet. Nous sommes à la disposition du gouvernement pour engager cette nouvelle méthode de travail.
Comment résoudre la crise du logement ?
Si on veut augmenter l’offre de logements, il faut tout d’abord arrêter de pénaliser le stock existant en imposant aux propriétaires le respect de normes maximalistes comme celle du diagnostic de performance énergétique (DPE). Ceci pénalise fortement le marché locatif. L’État doit encourager les maires bâtisseurs en leur redonnant des moyens financiers et fiscaux.
Il faut une application raisonnée du ZAN pour lutter contre la spéculation foncière qui renchérit le coût de la construction. La loi SRU doit être revue pour tenir compte des réalités locales : un maire dont la commune comporte des zones inondables, et donc inconstructibles, ne peut se voir imposer aveuglément des objectifs de construction de logements sociaux et des pénalités en cas de non-réalisation.
Aucun gouvernement ne semble capable de résoudre la pénurie de soignants. Êtes-vous partisan d’une régulation de l’installation des médecins ?
Non, j’y suis opposé. Depuis 1970, plus on a essayé de réguler et de planifier, plus on a créé la pénurie de soignants sans atténuer les inégalités territoriales. Dans ce contexte, nous devons anticiper le vieillissement de la population et celui du corps soignant. Pour ce faire, il faut permettre l’internat dans les cliniques privées, inciter nos étudiants à se former en France et non à l’étranger, favoriser leur installation dans des zones sous-dotées en leur octroyant des primes de territorialité. Nous devons débureaucratiser l’hôpital et la médecine de ville.
L’intelligence artificielle et les nouvelles technologies doivent aussi permettre de libérer du temps médical. L’autorisation donnée aux pharmaciens et aux infirmiers en pratique avancée de délivrer certains actes est une bonne chose. Enfin, l’État doit favoriser localement la création, par les élus et les praticiens, de maisons de santé à la bonne échelle.
Le gouvernement veut associer les polices municipales au renforcement de la sécurité. Ou commence et où s’arrête leur rôle ?
Le débat entre les partisans et les adversaires de la création d’une police municipale évolue face à la réalité. Les maires constatent qu’en zone de police, il y a de moins en moins de policiers nationaux et qu’ils sont de moins en moins sur le terrain : à Cannes, nous avons perdu 53 policiers nationaux en dix ans. Les policiers municipaux suppléent de plus en plus les forces nationales en sous-effectifs. Cette situation se produit aussi de plus en plus en zone de gendarmerie. Face à cette réalité, il faut privilégier le principe de libre administration et laisser les maires choisir. En vingt ans, on est passé de 10 à 20 % de communes disposant d’une police municipale.
Depuis dix ans, les effectifs de policiers municipaux sont ceux qui ont le plus augmenté : + 36 %. Les polices municipales sont de plus en plus primo-intervenantes. Il faut donc une évolution des compétences et du statut des policiers municipaux en leur permettant, par exemple, de verbaliser un consommateur de produit stupéfiant, de consulter les fichiers nécessaires à l’exercice de leurs missions, de procéder à des contrôles d’identité. Et chaque maire doit être laissé libre de décider sa politique en la matière.
Raccourci : mairesdefrance.com/28138
Cet article a été publié dans l'édition :
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