L'abandon du site Maxam Tan et de ses salariés
Dernier site de production de nitrate d'ammonium en France, Maxam Tan à Mazingarbe (62) a été abandonné en 2020 par ses actionnaires, laissant 72 salariés sur le carreau et la mairie face à un site dangereux.

Alors que Maxam Tan fonctionne normalement, le groupe MaxamCorp, lui-même détenu par le fonds américain Rhône Capital, décide d’arrêter la production le 17 juin 2020, d’abandonner le site en l’état et ses 72 salariés. Surtout, il laisse une sphère remplie de 1 000 tonnes d’ammoniac pur qui « menace 70 000 habitants à quatre kilomètres à la ronde, ceux de Mazingarbe mais aussi des onze communes inscrites dans le plan de prévention des risques technologiques », rappelle Stéphane Hugueny, ancien responsable d’inspection de Maxam Tan.
« Début 2020, le directeur du site, Emmanuel Pires, évoquait pourtant des projets d’investissement et puis, durant l’été, il nous a appris que le site allait fermer, qu’il n’y aurait pas de travaux mais sans en savoir davantage, MaxamCorp lui ayant retiré son mandat social », se souvient Laurent Poissant, maire de Mazingarbe. À l’incompréhension de cette décision s’ajoute un déficit total de communication avec les dirigeants de MaxamCorp basés à Madrid. «Ils ne sont jamais venus sur place, on n’a jamais pu leur parler au téléphone, on a même envisagé d’aller à Madrid », poursuit l’élu.
Apparemment, MaxamCorp a tout fait pour provoquer et précipiter la fermeture du site nordiste. «Alors que l’activité était jusqu’alors bénéficiaire, Maxam Tan s’est retrouvé avec huit millions d’euros de déficit fin 2020 car MaxamCorp a cessé de payer la fourniture de nitrate d’ammonium à plusieurs de ses filiales », dénonce Stéphane Hugueny.
Une faillite sciemment provoquée
La procédure de liquidation du site s’accélère. Le 26 octobre 2020, le tribunal de commerce de Lille Métropole prononce le redressement judiciaire de Maxam Tan, avec une échéance au 13 janvier, le temps de trouver un repreneur potentiel. Deux candidats se manifestent qui renoncent rapidement. Au final, l’entreprise est liquidée avec trois mois de poursuite d’activité, demandée par les salariés, pour assurer la vidange de la cuve d’ammoniac dans les meilleures conditions de sécurité. Ce sont les seuls ayant les compétences pour le faire.
« Personne d’autre que nous connaît les procédures internes, les logiciels utilisés et où se trouvent les organes de sécurité. Nous étions obligés d’assurer cette mission que nous avons réussie sans accident », assure Stéphane Hugueny. Il leur a fallu diluer les 1 000 tonnes d’ammoniac pur en 4 000 tonnes d’alcali pour pouvoir les évacuer par camion vers un site de Borealis, fournisseur de l’ammoniac. « La vidange a duré quatre mois, soit l’équivalent du chargement de 200 camions », poursuit Stéphane Hugueny.
« Étonnamment, une fois la sphère vidée, nous n’avons plus eu de nouvelles de la préfecture du Pas-de-Calais, ni des élus de la région, et les médias se sont désintéressés de nous. Seuls les maires des communes concernées sont restés mobilisés mais sans grand pouvoir au final », remarque amèrement Stéphane Hugueny.
« À ce jour, 15 d’entre nous ont retrouvé un emploi en CDI ou CDD. Nous avons été complétement abandonnés par l’entreprise et, dans ce genre de crise, l’État pèse peu pour faire respecter la loi, l’entreprise entièrement fautive, semble intouchable », regrette Stéphane Hugueny. Un avis partagé par le maire de Mazingarbe qui s’est pourtant impliqué totalement dans cette affaire. Reste à savoir ce que deviendra le site, propriété de Total. « Compte tenu des activités hautement toxiques qui s’y sont déroulées depuis 1897, on ne pourra y implanter que de la production industrielle », conclut Laurent Poissant. À suivre.
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Laurent Poissant, maire de Mazingarbe
« Je me suis senti très seul et pris
en tenaille »
Jusqu’au début de l’année 2020, tout semblait aller très bien chez Maxam Tan et j’ai toujours eu de très bons contacts avec le directeur du site, Emmanuel Pires. Avant l’été, il avait même parlé de projets d’investissement. Malheureusement, en septembre, tout s’est arrêté. Il m’a informé que la situation devenait compliquée, qu’il n’aurait pas de budget et que les projets d’investissement étaient annulés. Lui-même n’avait plus trop d’informations de la part du groupe, il a même été démis de son mandat social et n’avait donc plus aucun pouvoir. Je n’ai jamais été en contact avec le groupe espagnol MaxamCorp et encore moins avec le fonds américain Rhône Capital. Et puis tout s’est accéléré au dernier trimestre jusqu’à la fermeture et la liquidation du site.
• Comment avez-vous vécu cette crise en tant que maire ?
Je me suis senti très seul et pris en tenaille entre l’inquiétude et la colère compréhensibles des salariés, les interrogations légitimes de la population face à une situation potentiellement très dangereuse et un groupe espagnol qui ne donnait aucune information, abandonnait un site et tous ses salariés du jour au lendemain et qui était impossible à joindre. J’ai été livré à moi-même, devant, avec l’aide des salariés, me battre pour obtenir des informations et avec le sentiment que même l’État ne pouvait finalement pas faire grand-chose, même si nous avons été régulièrement en contact avec la préfecture.
• Quels conseils donneriez-vous pour faire face à une crise de cette ampleur ?
Il faut absolument faire remonter au plus vite les informations et un point de la situation au plus haut niveau de l’État, car pour une petite commune c’est très compliqué et pour ne pas dire impossible de faire face seule !
Selon le spécialiste des risques industriels, Paul Poulain (auteur de «Tout peut exploser, enquête sur les risques et impacts industriels »), «on ne contrôle que 2 % des 500 000 installations classées dangereuses en France alors qu’elles vieillissent et que de nouveaux risques sont apparus. Le risque zéro n’existe pas mais ce sont des contrôles et une meilleure organisation de la sécurité civile qui peuvent amener une meilleure sécurité et éviter ce genre de catastrophes ».
Dans un communiqué diffusé fin septembre, l’Association nationale des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs souligne «l’échec patent à instaurer et animer un dialogue avec les riverains, qui, mal informés et insuffisamment associés aux décisions concernant leur territoire, n’ont pas ou peu développé une culture du risque ».
Les syndicats de la CGT et de la CFDT sont intervenus en soutien des salariés au moment de négocier le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) qui n’a toujours pas été honoré par MaxamCorp. Alors que le PSE prévoit une prime de 5 000 euros pour chacun des soixante- douze salariés, soit 360 000 euros, pour l’instant seulement 150 000 euros ont été versés par le groupe MaxamCorp.
La mairie de Mazingarbe a soutenu et aidé les salariés dès le début de la crise au même titre que les maires de Grenay et de Bully-les-Mines qui sont venus manifester avec les salariés et leur ont apporté des soutiens divers.
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