Coup de jeune sur les politiques de recrutement
Enquête sur les « bonnes pratiques » des communes pour recruter et garder des jeunes dans leurs effectifs. L'enjeu est bien sûr de leur mettre le pied à l'étrier. Mais aussi de préparer les recrutements dans un contexte où public et privé sont en concurrence sur un marché de l'emploi sous tension.

Rares sont ceux qui savent s’ils y feront carrière. Mais s’ils y sont venus, c’est parce que des communes ont su les attirer et les accueillir.
« On doit aller au-devant des jeunes, rendre visible les offres de la collectivité », estime la maire de Poitiers (88 000 hab., Vienne), Léonore Moncond’huy. C’est même une urgence selon le maire d’Hérouville-Saint-Clair (22 000 hab., Calvados), Rodolphe Thomas : «Nous avons besoin de politiques d’anticipation, et cela commence par aller vers les jeunes. »
Pour ce dernier, le service public comme le privé sont «responsables de ces crises de vocation ». C’est donc à eux d’agir «plutôt que de se renvoyer la balle ». Il a obtenu l’ouverture d’une antenne de l’agence régionale de l’orientation et des métiers, mise sur pied à l’initiative de la région Normandie dont il est également vice-président. L’agence sert de vitrine aux métiers et aide les jeunes et les adultes «à se construire une représentation objective du monde économique et professionnel ».
Dépoussiérer les offres d'emplois
En Saône-et-Loire, c’est un «bus de l’apprentissage » qui va vers les jeunes pour leur «présenter les métiers et informer les collégiens du renouvellement de 52 postes d’apprentis en septembre au sein de la collectivité départementale », explique le service de presse. La ville de Poitiers enverra, elle aussi, en 2024, un bus sillonner ses quartiers. Ses équipes proposent déjà des ateliers de présentation des métiers de la collectivité dans les maisons de quartier.
En Bretagne, les collectivités sont allées à la rencontre des jeunes et des moins jeunes lors de jobs dating et de permanences organisés pendant la Semaine de l’emploi public en octobre dernier. «Notre constat de départ était simple, nous l’avions posé avec Pôle emploi début 2022 : il y avait plus de sorties que d’entrées sur le marché de l’emploi. Nous avions le choix de nous lamenter, ou d’agir… », résume Léa-Audrey Réa, directrice adjointe chargée de la coopération régionale au centre de gestion du Finistère (CDG29), à l’origine de l’initiative.
Celui-ci a convaincu les communes de faire le premier pas vers de «futurs collaborateurs ». Un effort récompensé : les jeunes ont massivement répondu à l’invitation, représentant près de 40 % des 2 000 personnes rencontrées à Brest, Relecq Kerhuon, Concarneau, Crozon, et dans le territoire plus rural des Hauts de Cornouaille. Les procédures de recrutement sont en cours.
Si elles veulent séduire davantage les jeunes, les communes ont intérêt à dépoussiérer le libellé de leurs offres d’emploi ou la présentation des métiers, en usant par exemple des vidéo-métiers, plus aguichantes qu’une austère annonce du type «Recrute technicien voirie par voie statutaire ». Poitiers a travaillé avec un groupe de jeunes sur la valorisation des demandes d’emploi. Notamment sur les réseaux sociaux «pour avoir une communication plus percutante ».
La méthode de recrutement doit aussi changer sur le fond. «Le mouton à cinq pattes n’existe plus. On explique aux communes que les profils atypiques, même sans expérience, peuvent être intéressants », indique Léa-Audrey Réa. Nourine, 24 ans, en est un exemple. La jeune femme a été embauchée par le centre communal d’action sociale (CCAS) de Caudebec-lès-Elbeuf (9 900 hab., Seine-Maritime) le temps de sa formation de conseillère en insertion professionnelle (une formation pour adulte avec l’AFPA). Elle avait «tenté le coup » en contactant le maire via le réseau social LinkedIn.
« Le CCAS ne faisait pas d’insertion professionnelle, nous avons trouvé son idée intéressante, notamment dans le suivi des personnes au RSA », explique l’élu, convaincu par la motivation de la jeune femme. Un pari à double titre car le CCAS n’avait encore jamais signé de contrat d’apprentissage. Mais la découverte fut «stimulante », confie sa directrice, Stéphanie Campori.
Inculquer la culture maison
Depuis une petite dizaine d’années, de plus en plus de collectivités se laissent tenter par l’apprentissage (lire aussi p. 33). Elles participent à en rafraîchir l’image. Dans le Finistère, le nombre d’apprentis a été multiplié par quatre entre 2020 et 2021 ! «L’apprenti est le collaborateur idéal, qui a la volonté de se former et à qui on peut inculquer la culture maison », relève Léa-Audrey Réa. D’autant que cette voie s’étend désormais à tous les métiers et à tous les niveaux (licence, master).
Emma, 21 ans, a choisi cette voie pour réorienter sa vie professionnelle, de la vente vers les ressources humaines. La ville de Poitiers lui a ouvert ses portes. La commune souhaite accueillir une cinquantaine de jeunes par an. Un objectif compliqué «car nos métiers ne sont pas ceux sur lesquels il y a le plus de demande et il faut dégager du temps pour le tutorat », souligne la maire. 42 contrats ont été signés en 2022.
Aaron est l’un de ceux-là, l’un des plus jeunes aussi : à 15 ans à peine, il débute un CAP Espaces verts. À peine plus âgée, Anaïs, 16 ans, va bientôt terminer son CAP Accompagnement éducatif de jeunes enfants.
À la tête de Naveil (2 400 hab., Loir-et-Cher), Magali Marty Royer a signé le premier contrat d’apprentissage de la commune, en septembre dernier, avec Johnny, un jeune garçon autiste de 19 ans. L’institut médico-éducatif qui suit le jeune homme les ont mis en relation et le projet s’est construit pas-à-pas. «J’ai d’abord fait un stage de février à juin 2022, d’un jour par semaine, complété d’un essai d’un mois pour vérifier que physiquement ce ne serait pas trop fatigant », explique Johnny qui prépare un CAP Jardin et espaces verts.
Son maître d’apprentissage, Geoffroy, confie être «lui aussi en apprentissage, car cela ne s’improvise pas. On tâtonne, on s’adapte, notre but étant qu’il obtienne des résultats en terme de progression. On commence à voir ses avancées. On le voit faire des choses de son propre chef ». Stéphane, le directeur des services techniques, opine.
La maire confie : «c’est de l’investissement, du temps. Je ne suis pas certaine qu’en tant que cheffe d’entreprise dans le privé, j’accepterais que l’on prenne autant de temps, mais c’est pourtant la bienveillance des maîtres d’apprentissage qui fait la réussite de ces jeunes », explique-t-elle, déterminée à convaincre ses collègues de la communauté de communes d’emboîter le pas.
Une étape que franchiront peut-être aussi des communes de Val de Garonne Agglomération (50 000 hab., 43 communes, Lot-et-Garonne). L’EPCI a lancé, en septembre 2022, la première licence en alternance sur le territoire en «Gestion des organisations ». La première promotion compte 15 étudiants.
La méthode du " sourcing "
Léonore Moncond’huy fait de l’emploi des jeunes une priorité sur Poitiers, «tant pour répondre à des besoins internes que comme employeur responsable sur un territoire ». Ouvrir les portes du public à des jeunes, notamment les plus éloignés de la chose publique, relève pour elle de «l’inclusion territoriale ».
Raison pour laquelle la commune développe également l’accueil en stage d’élèves de troisième. La commune est passée de 50 à près de 120 élèves grâce à un travail en amont avec le service jeunesse de la ville et les maisons de quartier pour multiplier les offres. La maire s’en sert pour «désacraliser les emplois publics » auprès des jeunes des quartiers populaires.
À Caudebec-lès-Elbeuf, le mot d’ordre est de répondre à toutes les demandes de stage. Soit entre 200 et 300 par an. En prenant soin de faire du «sourcing », autrement dit de repérer dans ces profils ceux qui pourraient un jour travailler pour la commune. «C’est un vrai vivier car si on repère une personne, on n’hésite pas à garder ses coordonnées pour la recontacter », explique la directrice du CCAS, qui en prend «le plus possible », essentiellement des BTS en économie sociale et familiale ou des CAP Aides à la personne. Naveil a trouvé sa nouvelle secrétaire de mairie avec cette méthode, après un stage de formation.
« Le stage permet de détecter le savoir-être. Pour le savoir-faire, on a toujours le temps et les moyens d’apprendre », insiste Magali Marty Royer. À Hérouville-Saint-Clair, l’antenne de l’agence d’orientation et des métiers répertorie les demandes de stage et les oriente là où les jeunes n’auraient pas forcément osé frapper à la porte.
Après avoir attiré, encore faut-il fidéliser les nouvelles recrues. La concurrence du privé et le «turn over » sont de vrais problèmes pointent les élus, notamment dans des secteurs en forte tension comme celui de l’animation (lire ci-dessous).
La voie de la formation
En périphérie de Nantes, la municipalité de Saint-Sébastien-sur-Loire (28 169 hab., Loire-Atlantique) mène une politique intensive de recrutement de jeunes animateurs et de directeurs pour ses centres de loisirs (périscolaire, espace jeunes, séjours d’été) et ses cinq groupes scolaires. Aux manettes, Nordine Chaouch, coordinateur jeunesse, qui a lui-même commencé par l’animation via des vacations. Aujourd’hui, il est titulaire. 35 animateurs sur les 45 que compte la commune sont des contractuels. Il faut renouveler chaque année l’équipe. Une gageure sur un marché de l’emploi en tension.
La politique RH mise sur la formation maison et la fidélisation des jeunes accueillis en stage pratique Bafa (brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur). La ville leur verse une rémunération qui permet de régler la formation. «À 99 %, on arrive à les recruter ensuite sur les petites vacances, ou par la suite pendant leurs études », assure Nordine Chaouch. Le coordinateur complète le vivier en suivant les jeunes accueillis en stage lorsqu’ils sont en bac pro ou en troisième. Un travail de réseau entretenu avec le lycée professionnel.
L’autre «atout » de la commune réside dans «le confort de travail ». Avec «un bon taux d’encadrement », «des établissements modernes », le salaire annualisé et, enfin, l’envoi en formation chaque année de tous les animateurs. Sans oublier la formation «cohésion de groupe » de début d’année qui permet d’ouvrir des passerelles vers d’autres services de la collectivité. Deux animateurs sont ainsi devenus adjoints administratifs.
Un besoin de reconnaissance
À Poitiers, Lucas, 21 ans, a lui aussi enchaîné depuis trois ans jobs d’été, Bafa, avant de signer un CDD de dix mois à temps partiel comme agent périscolaire qu’il assure en parallèle de ses études (une licence géographie et aménagement du territoire). «Cela m’a ouvert des horizons, vers des métiers auxquels je n’aurais pas pensé. »
Restera-t-il dans le public ? Il sourit. «La notion de service public me parle aujourd’hui. Ce n’était pas le cas il y a trois ans », reconnaît-il. «J’ai grandi avec, mais si l’herbe est plus verte ailleurs, je n’hésiterai pas. »
Sloane, sa jeune collègue, 22 ans, également agent périscolaire dans une école accueillant des enfants sourds, fera le même choix, si son autre employeur (un CDI dans un groupement des employeurs socio-culturel) lui propose un temps plein.
Mi-temps, temps de préparation insuffisant, emplois du temps hachés… Leurs griefs, la maire de Poitiers les reconnaît. Elle a lancé un plan d’amélioration de la qualité de l’emploi périscolaire l’an dernier, doté de 270 000 euros pour «dé-précariser ces métiers ». 50 animateurs ont été titularisés. Elle attend beaucoup des travaux du comité filière Animation, présidé par Laurent Bonnaterre (lire ci-dessous), dont les préconisations sont attendues pour juillet, pour une meilleure reconnaissance de ces métiers. Mais elle prévient. «La fausse bonne idée serait une revalorisation des conditions salariales sans accompagner les collectivités pour la mise en œuvre, car nous n’en avons pas les moyens. »
Du côté des jeunes, les conditions de rémunération sont, bien sûr, un argument majeur, mais pas le seul déterminant. L’enquête menée par la CFDT, en décembre, le souligne (lire Maire info du 08/12/2022). Ce que les jeunes rencontrés à Caudebec-lès-Elbeuf, Naveil ou Poitiers confirment.
Ils ont découvert des métiers plus complexes qu’il n’y paraît, ils louent tous les ambiances de travail et le soutien des équipes. Mais portent un regard déjà sévère sur les conditions de travail et le manque de reconnaissance de certains métiers. «Les Atsem sont dans l’ombre de la maîtresse. On oublie, comme dans le périscolaire, le travail fait avec les enfants en crise par exemple, tout le ménage, etc. », observe Anaïs. On a même oublié de donner un véritable nom à ce métier… Quand d’autres, les animateurs, se voient affublés du surnom de «clown » ou de «surveillant » par des parents.
Cela les agace. Ce qui les motive, ils le répètent, c’est «la confiance » et «le respect ». «Alors que tous les autres employeurs me demandaient de l’expérience, le maire m’a fait confiance », insiste Nourine. Au début de sa formation, en avril 2022, elle n’aurait pas parié sur le fait de travailler dans un CCAS. Si le CCAS lui propose de rester fin 2023, elle dira oui.

maire de Caudebec-lès-Elbeuf (76), président du comité filière Animation mis en place par le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse pour améliorer l’attractivité de ces postes
« 10 000 Bafa de moins en 2022 qu’il y a dix ans »
La vraie question est celle du brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (Bafa), qui fête ses 50 ans. Nous aurons toujours besoin du jeune animateur volontaire, de 16 à 23 ans, qui donne quelques semaines à l’animation, mais on ne peut se satisfaire que la carrière d’un animateur de 30 ans ne repose que sur un Bafa.
Or, l’offre de formation de l’animation n’est pas assez structurée, organisée, professionnalisée. Je rappelle que nous avons 10 000 Bafa de moins en 2022 qu’il y a dix ans. Si nous voulons attirer, il faut que nous puissions proposer aussi des temps pleins.
Sur ma commune, nous vivions sur un régime de vacation. Nous les avons tous transformés en CDD à temps plein au printemps dernier. Je n’en mesurerai les effets que sur le temps long. Mais j’ai déjà vu immédiatement la différence sur la qualité des candidatures reçues. Nous constatons aussi moins de turn-over. »
Selon un accord conclu en février 2022, l’apprentissage dans les collectivités doit en effet être financé à hauteur de 50 % par une cotisation de 0,1 % de la masse salariale versée par les collectivités au CNFPT ; celui-ci ajoute 10 M€ pris sur son budget ; l’État et France compétences – qui assure le financement de l’apprentissage dans le secteur privé – devaient verser 15 M€ chacun.
Or, en fin d’année dernière, le gouvernement avait laissé entendre qu’il se désengagerait du dispositif, tout en accordant au secteur privé une prolongation de l’aide à l’embauche des apprentis de 6 000 euros (loi de finances 2023). À la suite de la mobilisation des employeurs territoriaux, le gouvernement a fait marche arrière. «Un soulagement pour le CNFPT et les élus », se félicite François Deluga, président du CNFPT (lire Maire info du 20/01/2023).
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