Éoliennes : les élus veulent être acteurs de leur implantation
Les maires ne peuvent légalement pas s'opposer à des implantations d'éoliennes. Ils ne veulent pas forcément disposer d'un droit de veto mais tous demandent à être associés en amont des réalisations pour en maîtriser les impacts. Leur implication et celle des habitants peuvent influer sur l'orientation des projets.
Brigitte Pistre, maire de Frazé (520 hab., Eure-et-Loir), présidente de l’association «Vent des maires », est très réservée concernant l’intérêt des éoliennes. Elle était pourtant sensible au côté écologique de cette énergie. Mais, lorsque le parc naturel régional (PNR) du Perche se pose la question de leur implantation, il y a une dizaine d’années, elle creuse le sujet. «Je suis plutôt scientifique. J’ai constaté qu’elles ne tournent que 25 % du temps à pleine puissance. 75 % du temps, on a besoin du nucléaire. Alors pourquoi l’éolien ? »
L’élue est surtout perturbée par l’entrisme de certains opérateurs qui démarchent des propriétaires fonciers, élaborent un projet sans toujours en parler au maire, puis demandent à la commune de valider une étude de faisabilité. «Quand on signe une étude de faisabilité, le projet aboutit. On ne peut plus reculer. Une machine de guerre se met en place. C’est pourquoi nous avons créé Vent des maires. Nous voulons être vraiment consultés », affirme l’élue, dont l’association a envoyé une lettre ouverte au chef de l’État, le 21 avril.
La commune de Frazé a pris une délibération s’opposant aux projets éoliens, tout comme la communauté de communes, le PNR, le pôle d’équilibre territorial et rural (PETR)… «Cela ne nous met légalement pas à l’abri d’une décision positive du préfet, mais refroidit les ambitions du promoteur », se rassure Brigitte Pistre. Pour elle, il faut que les élus disposent «d’un droit de veto », comme le Sénat l’avait proposé en première lecture du projet de loi «Climat et résilience ». Mais le Parlement n’a pas retenu cette mesure dans le texte final et a voté le principe d’une consultation obligatoire du maire avant le lancement d’un projet.
Difficile en tout cas pour les élus de résister à la pression. Dans la Vienne, «le département est assailli de demandes, s’exclame Lucie Bébin-Brossard, directrice de l’Association départementale (AD) des maires de la Vienne. Une commune nouvelle doit instruire 40 demandes sur son territoire ! » Alors même que le Syndicat Énergies Vienne mène à bien un projet, avec l’aval des conseils municipaux. Face à l’explosion de projets, le département a installé un comité départemental de l’éolien avec une charte d’implantation que tout développeur doit signer, sans que celle-ci soit opposable. «Il n’y a pas d’opposition de principe, mais saturation », explique la directrice.
Fin 2018, la Vienne comptait 19 parcs éoliens en fonctionnement. Le 31 janvier 2020, ils étaient 20 avec 103 mâts, auxquels s’ajoutent 33 parcs autorisés avec 187 mâts et 16 parcs à l’instruction avec 71 mâts. En août dernier, les préfets de la Vienne et de la Haute-Vienne ont d’ailleurs refusé l’autorisation environnementale de quatre mâts, pour «saturation du paysage », suivant ainsi l’avis des communes et du commissaire enquêteur.
« Le maire doit pouvoir dire non »
Le rôle du maire semble prépondérant et l’information des habitants essentielle dans l’acceptation d’un projet. Dominique Dabadie, maire de Champigny-en-Rochereau (2 000 hab., Vienne), est fier d’avoir implanté le premier parc éolien de la Vienne sur sa commune, en 2008, avec le syndicat d’électrification créé alors par les maires.
Prévu pour vingt éoliennes au départ, il n’en compte que quatre à l’arrivée. «Nous n’avons eu aucune opposition de la population. Nous avons beaucoup informé, organisé des réunions. À l’époque, il n’y avait pas d’association structurée. » En 2017, quatre nouveaux mâts sont implantés. Les quatre premières éoliennes, pas assez performantes, seront remplacées. Quid de leur démantèlement ? Le supposé mauvais recyclage des éoliennes étant parfois un argument contre elles. «Ici, tout va être recyclé, assure Dominique Dabadie. C’est prévu depuis le départ dans la convention avec le développeur. Y compris le socle en béton et la ferraille. Le socle sera broyé et recyclé. Les pâles aussi sont recyclables. C’est coûteux mais cela a été provisionné. »
Pourquoi n’est-ce pas le cas partout ? «Le danger est que le propriétaire foncier traite directement avec le développeur et qu’il se fasse avoir. » Et il met en garde : « Si le maire accepte de monter un mât de mesure, il est embarqué dans le système. De facto, il a dit qu’il est d’accord et se fait avoir ». En revanche, lorsque les élus du conseil municipal montrent fermement leur opposition à un projet, il est rare que le développeur insiste.
L’AD des maires de la Vienne et Sergies (société créée par Énergies Vienne pour la gestion des moyens de production de renouvelable du territoire, dont les parcs éoliens) demandent donc aux maires de faire signer la charte d’implantation par les développeurs. Or, certains refusent. C’est pourquoi sénateurs et députés devraient œuvrer en faveur d’une charte nationale, selon Dominique Dabadie, qui estime que « le maire doit pouvoir dire non ». Et pourtant, cette position n’est pas soutenue par tous ses collègues.
C’est le cas de Michaël Weber, maire de Woelfling-lès-Sarreguemines (lire ci-dessous). C’est aussi celui de Luc Pelé, maire de Cossé-d’Anjou, chargé des énergies renouvelables à Mauges communauté (6 communes nouvelles, 120 000 hab., Maine-et-Loire) et président de la SEM Mauges Énergies : «La collectivité veut être facilitateur de la transition énergétique. Nous souhaitons avant tout une gouvernance territoriale et être associés en amont des projets pour en maîtriser les impacts et l’inclure dans le projet de territoire. Le pouvoir de signer ou non n’est pas le sujet. »
« l’éolien devrait se déployer sur un terrain public »
Nous avons une convention avec le développeur. Il nous verse 25 000 € de location par an. Nous avons aussi des panneaux photovoltaïques qui nous rapportent 13 000 € par an. Notre DGF est passée de 85 000 € à 43 000 €. Les éoliennes ont un impact paysager. Nous avons donc demandé des mesures compensatoires, pour 125 000 €. Il s’agit d’un peu de reboisement et d’installation de panneaux photovoltaïques sur des bâtiments publics. Reste l’injustice de l’imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (IFER).
Notre DGF est calculée en fonction du potentiel fiscal, y compris l’Ifer. Or, c’est l’intercommunalité qui la perçoit car notre parc date d’avant 2019, et elle ne nous rétrocède rien. S’agissant de transférer au maire la responsabilité de l’autorisation d’implantation d’une éolienne, ce n’est à mon sens pas judicieux. Il n’est pas à l’abri de pression, dans un sens ou dans l’autre. »
Les ambitions de Mauges communauté ne sont pas minces : être territoire à énergie positive en 2050. C’est-à-dire produire plus que la consommation locale. Premier cap : parvenir à 40 % d’énergie renouvelable dans la consommation locale en 2030. L’énergie est un thème prioritaire pour la communauté depuis longtemps. Un schéma de développement de l’éolien est publié en 2006, afin de prévenir des implantations désordonnées et des concurrences entre commune.
Le potentiel éolien avéré du territoire attire en effet investisseurs étrangers et français. «Des agriculteurs avaient été contactés par un développeur qui leur proposait un loyer annuel. Ça leur a mis la puce à l’oreille et ils ont compris qu’il vaut mieux être propriétaires », raconte Éric Gorman, directeur de la SEM Mauges Énergies. Déjà regroupés en coopérative et ayant l’expérience du photovoltaïque sur des toitures de hangar agricole, les agriculteurs décident, en 2010, de se lancer dans la construction d’un parc éolien en créant une association, «Atout Vent ».
Après sept ans d’études de recherche de financement et de travaux, les cinq éoliennes du parc de la Jacterie sont mises en service. Entretemps, il aura fallu convaincre constructeur et financeurs de la solidité d’un projet porté par des agriculteurs et des citoyens. Soutenu par l’association «Énergie Partagée », dont la vocation est d’accompagner citoyens et collectivités dans le montage de grands projets d’énergie renouvelable, «Atout Vent » réussit à réunir 3,3 millions d'euros de fonds propres versés par près de 400 actionnaires, agriculteurs, simples habitants, élus à titre personnel. Les banques complètent le financement à hauteur de 18,7 millions d'euros «Ce territoire a une tradition d’usine à la campagne, d’agriculture productiviste. Une infrastructure utile au territoire est bien vue par la population », explique le directeur.
Quelle est la place de la collectivité dans un tel projet ? Elle peut modifier le plan local d’urbanisme (PLU), créer le réseau de chemin nécessaire à l’accessibilité, informer, rendre son avis lors de l’enquête publique, etc. Pour aller plus loin, Mauges communauté, qui dispose de la compétence protection et mise en valeur de l’environnement et du cadre de vie – et donc peut intervenir dans la lutte contre le changement climatique et le développement des énergies renouvelables (EnR ) – souhaite disposer d’un outil dédié. C’est la création, en 2020, de la SEM Mauges Énergies «qui agrège acteurs publics et privés avec une expertise et sert l’intérêt général sous le contrôle des élus du territoire », souligne Éric Gorman.
La SEM développe de nouveaux projets EnR, porte des investissements dans des sociétés de projets EnR. Elle participe à l’autofinancement de la politique de transition écologique du territoire, par le réinvestissement des dividendes perçus par Mauges communauté. Mauges Énergies prend des parts dans les sociétés de projet. C’est le cas, par exemple, du parc éolien de l’Hyrôme, racheté à un développeur privé par «Atout Vent » en 2020, géré à 50 % par la collectivité et à 50 % par une association de 371 citoyens. Au total, la SEM travaille sur sept projets, parcs éoliens mais aussi centrales photovoltaïques au sol et en toiture.
« Les citoyens se sont emparés des projets, ils sont acteurs du développement et sont présents comme actionnaires dans les sociétés », se félicite le maire, Luc Pelé. Pas d’opposition marquée, donc, aux projets éoliens du territoire. Ce qui rejoint les résultats d’un sondage de l’Ademe et du ministère de la Transition écologique en octobre, qui montre que 73 % des Français ont une «bonne image » de l’énergie éolienne. Fait marquant : cette adhésion monte à 80 % chez ceux dont la résidence principale ou secondaire est à moins de 10 km d’un parc éolien. Selon les sondés, pour faciliter l’acceptation des éoliennes, il faut en réduire l’impact environnemental, les éloigner des sites remarquables, réduire leur bruit et leur impact sur la biodiversité et mieux les intégrer au paysage.
Maîtriser l’essor des parcs éoliens
La présentation de ce sondage est concomitante de l’annonce, début octobre, de « Dix mesures pour un développement maîtrisé et responsable de l’éolien » par le ministère de la Transition écologique. Comme le demandent les sondés, il revient aux préfets d’appliquer le plus haut niveau d’exigence sur la compatibilité des projets avec les enjeux environnementaux. Ils ont aussi pour instruction de réaliser une cartographie des zones propices au développement de l’éolien, une façon de revenir sur la disparition des zones de développement de l’éolien (ZDE) en 2013.
Le médiateur de l’éolien, fonction créée au sein du ministère de la Transition écologique, pourra être saisi par les préfets lors de l’instruction de projets problématiques. Concernant l’impact des parcs éoliens pour les riverains, l’excavation complète des fondations en béton dès aujourd’hui et le recyclage obligatoire à 90 % dès 2022 lors des démantèlements ne laisseront plus ce sujet à la plus ou moins bonne volonté des développeurs. Le bruit des nouveaux parcs sera systématiquement contrôlé, avec bridage le cas échéant, à partir du 1er janvier prochain, et l’impact lumineux sera réduit.
Enfin, les territoires sont pris en considération. La loi «Climat et résilience » du 22 août 2021 prévoit la consultation obligatoire du maire avant le lancement d’un projet, avec obligation du développeur de répondre aux observations du maire. Des comités régionaux de l’énergie seront mis en place, dont la composition sera précisée par décret début 2022. Les projets citoyens seront facilités avec la levée d’obstacles réglementaires et financiers. Enfin, un fonds de sauvegarde du patrimoine naturel et culturel, financé par la filière éolienne sur les ventes d’électricité, est créé au bénéfice des communes accueillant des parcs éoliens.
Rien, à ce stade, sur un avis conforme des maires concernés par un projet, comme l’AMF le demande. Une disposition réintroduite par le Sénat dans le projet de loi différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification (3DS), adopté en juillet dernier par la Haute assemblée et qui sera débattu en décembre à l’Assemblée nationale. «Ces dispositions vont dans le bon sens, confie Michaël Weber. Je salue la création du fonds de sauvegarde. La consultation obligatoire du maire n’est pas nouvelle et je m’interroge sur le rôle du médiateur. Il est bon d’avoir un haut niveau d’exigence sur la compatibilité environnementale d’un projet. Cependant, une fois l’accord donné, il ne faut plus revenir dessus. Comme c’est le cas avec des fermes d’éoliennes bridées pendant la journée six mois par an. »
- Production annuelle en 2020 : 39,7 TWh, soit 7,9 % de la production d’électricité française. En 2020, l’éolien est la troisième source de production d’électricité, après le nucléaire et l’hydraulique, devançant ainsi le gaz.
- Temps de production : les éoliennes produisent de l’électricité 95 % du temps mais pas forcément à « plein régime ».
- Facteur de charge : c’est le rapport entre l’énergie électrique effectivement produite sur une période donnée et l’énergie produite par un fonctionnement à la puissance maximale durant la même période. Le facteur de charge éolien moyen s’établit à
26,35 % en 2020.
- Bilan CO2 : la production éolienne et solaire en France permet d’éviter 22 millions de tonnes de CO2 par an. (Source : RTE).
Cet article a été publié dans l'édition :
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