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Maires de France
Pratique
30/08/2024 JUILLET-AOUT 2024 - n°425
Administration générale Numérique, réseaux sociaux

Intelligence artificielle : les communes entrent en scène

Ce procédé technologique pénètre chaque jour un peu plus le quotidien des mairies. Détection, simulation, assistance bureautique... Zoom sur quelques usages marquants.

Par Olivier Devillers
L'environnement, l'eau, l'énergie-­éclairage public et la gestion du patrimoine sont les quatre thématiques prioritaires des projets IA des 
collectivités. Source : observatoire Data Publica
© AdobeStock
L'environnement, l'eau, l'énergie-­éclairage public et la gestion du patrimoine sont les quatre thématiques prioritaires des projets IA des collectivités. Source : observatoire Data Publica
Selon l’observatoire Data Publica, on devrait compter «200 à 300 projets de collectivités en matière d’intelligence artificielle (IA) en 2024 », soit quatre à six fois plus qu’à l’automne 2023, date à laquelle un premier recensement avait été effectué. Fait remarquable, les projets IA concernent désormais des collectivités de toutes tailles. Que s’est-il passé ? Jean Gabriel Ganascia, expert en la matière, explique que «l’IA était déjà très répandue – dans les téléphones, les moteurs de recherche, les véhicules (…) – mais que l’arrivée de ChatGPT [agent conversationnel utilisant l’intelligence artificielle, développé par OpenAI, NDLR], en novembre 2022, a introduit une rupture d’usage ». Car tout citoyen, élève ou élu, peut désormais manipuler ces outils en ayant conscience d’utiliser une IA.
 

I - Comprendre le fonctionnement de l’IA

Avant de parler d’usage, il convient de définir ce que l’on nomme IA. La commission européenne a défini, en 2018, les IA comme «des systèmes qui expriment un comportement ­intelligent en analysant leur environnement, en prenant des décisions et, en atteignant des objectifs spécifiques avec une certaine forme d’autonomie ». Si l’on parle «d’intelligence », c’est que ces systèmes simulent des capacités cognitives humaines telles que raisonner, analyser, apprendre, percevoir, traduire....

La plupart des IA sont cependant monotâches et ne savent faire que ce qu’elles ont appris. Elles sont, par exemple, capables d’extraire des informations et de classifier les données avec des algorithmes dit de machine learning, parmi les plus anciens à être utilisés. L’usage du «deep learning » (apprentissage profond) a ensuite permis aux IA d’apprendre par elles-mêmes et de manipuler des jeux de données plus complexes.

Enfin, les IA génératives (IAG), comme chatGPT, le chat de Mistral, Gemini ou Albert (l’IA de l’État), sont capables de créer du contenu, voire des images et des vidéos. Ce contenu ne vient pas de nulle part : les IAG ont été nourries de centaines de milliards de documents issus ­d’internet, de forums ou d’encyclopédies. Attention, ces IAG fonctionnent selon une approche probabiliste et sont susceptibles de créer du contenu erroné – on parle d’hallucination – ou biaisé. Ces biais peuvent être culturels, liés à la prééminence de contenus anglosaxons dans leur phase d’apprentissage ou imputables à l’usage de contenus biaisés (contenus racistes, sexistes…).  
 

II - Détecter et analyser

L’un des usages les plus courants de l’IA est la détection de phénomènes à partir de ­données ou d’images. À Tourette-sur-Loup (06), la commune s’est équipée de caméras capables de détecter un départ de feu à 15 km. Un premier test effectué durant l’été a permis d’éviter huit incendies, les alertes étant envoyées directement sur le smartphone du maire qui est également pompier volontaire. La particularité de ces caméras ? Utiliser l’IA pour comparer deux images prises dans un intervalle très court et détecter un éventuel panache de fumée.

Dans le Val-d’Oise, l’IA a été mobilisée par la communauté de communes de Carnelle Pays-de-France pour détecter les dépôts d’ordures sauvages. Le projet, piloté par le Syndicat mixte Val-d’Oise numérique, utilise une solution qui détecte les «anomalies de pixel ». Des pixels blancs ou oranges au milieu du vert de la forêt ont ainsi une grande chance d’être du plâtre ou de la brique. Ce repérage permet aux gendarmes d’organiser des planques et a conduit le département à repenser ses points d’apport volontaires. Ce type de technologie est également utilisé par les services fiscaux pour repérer les piscines non déclarées.

Attention : l’analyse d’image est autorisée sous réserve de ne pas chercher à identifier des personnes. La loi du 19 mai 2023 relative aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 a cependant créé un cadre expérimental pour les caméras utilisant l’IA afin de détecter des comportements comme un mouvement de foule ou repérer des colis abandonnés.  
 

III - Simuler et anticiper

Les IA sont aussi de précieux outils pour modéliser le réel et prévoir l’avenir, une fonctionnalité essentielle à l’heure du changement climatique. L’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) utilise, par exemple, l’IA pour simuler les effets du changement climatique sur la forêt et prédire les attaques de scolytes. Elle lui sert aussi à cartographier l’artificialisation des sols, ces données étant restituées aux communes pour le suivi de leurs engagements dans le cadre du zéro artificialisation nette (ZAN).

À Troyes (10), l’IA est mobilisée pour lutter contre les îlots de chaleur. Le système repose sur des images satellitaires, croisées avec des données terrain, pour identifier le niveau de couverture végétale, la densité urbaine et la nature des sols. À partir de là, la ville a pu cartographier les îlots de fraîcheur et de chaleur pour l’aider à prioriser les zones à traiter, choisir les bons revêtements et intégrer ces exigences aux documents d’urbanisme. L’IA est également utilisée pour lutter contre le gaspillage alimentaire dans les cantines scolaires en prévoyant précisément les quantités à produire à partir d’historiques de données, de la saison ou de la météo.
 

IV - Informer et simplifier

L’avènement de l’IA générative (IAG) ouvre des perspectives intéressantes pour les services administratifs. À Issy-les-Moulineaux (92), un chatbot (agent conversationnel) utilisant l’IAG, nourri des contenus du site internet municipal, permet aux habitants d’accéder à des informations concises et sourcées sur l’ensemble des services. Une question sur les aides à la rénovation énergétique listera ainsi toutes les aides de la ville, de l’État, avec des liens vers des ressources en ligne. À Plaisir (78), c’est un «callbot » (assistant vocal) qui a été mis en place pour soulager le standard téléphonique des questions récurrentes (état civil, horaires) et offrir un accueil des usagers 7 jours sur 7.

L’IAG s’invite aussi dans les services administratifs pour aider à la rédaction des actes administratifs voire élaborer le premier jet du discours d’un élu. À La Haye (76), le maire utilise une solution permettant de trouver des exemples de délibérations ou d’arrêtés parmi 1,5 million d’actes de collectivités. Un résumé des décisions, avec la source, est proposé ainsi qu’une aide à la rédaction. Cette technologie peut aussi être mobilisée pour améliorer la qualité des réponses aux mails des usagers. C’est la vocation première d’Albert, l’IA de l’État testée par 200 agents dans les France services. Les premiers tests se révèlent positifs avec des réponses plus complètes et plus rapides. Albert est une IA «souveraine » que l’État souhaite concentrer sur la réalisation de «tâches rébarbatives » et la «simplification ». Albert est développé sous forme de logiciel libre et accessible aux collectivités. Son installation exige cependant des compétences informatiques.

 

Les métiers les plus concernés dans les collectivités
Selon une étude du CNFPT et de l’Inet (tinyurl.com/478k3x 28), près de la moitié des métiers de la fonction publique territoriale devrait être impactée par l’IA. Les filières administratives et culturelles devraient être les plus touchées, certains postes étant plus concernés comme les agents d’accueil ou les assistants bibliothécaires. 5 % des métiers pourraient même disparaitre selon l’Organisation mondiale du travail. Une certitude cependant : ce sont les tâches qui sont substituables plus que les métiers. Les agents, toutes catégories confondues, vont devoir être formés pour apprendre à utiliser ces nouveaux outils.

 

AVIS D'EXPERT
Jacques Oberti, président de la communauté d’agglomération du Sud-Est Toulousain (Sicoval, 31)
« Définir précisément ses besoins »
« L’IA demande une approche structurée dans laquelle les intercommunalités ont un rôle à jouer. Il s’agit tout d’abord d’acculturer les élus, les agents comme les habitants. L’IA, ce ne sont finalement que des données dont dépendra la qualité des applications telles que les chatbots (NDLR : agents conversationnels). Ces données peuvent être d’ordre général, à l’image des codes et des lois, mais le chatbot devra aussi comprendre les fautes d’orthographe pour s’adapter à tous les usagers. Il y a ensuite les données locales spécifiques à chaque territoire.
Enfin, l’IA doit pouvoir puiser dans les données instantanées générées notamment par des capteurs. L’intégration de ces données demande beaucoup d’ingénierie car ce sont des sujets complexes. Il ne faut pas se laisser déborder par les multiples offres d’IA.
Avant de les déployer, la collectivité doit définir précisément ses besoins en concertation avec les agents. Et ce n’est qu’après une expérimentation probante que la collectivité pourra décider d’une généralisation. Au Sicoval, nous avons testé plusieurs outils : chatbots, détection des constructions illégales, aide à la rédaction de délibération… Nous sommes aussi candidat pour tester Albert, le chatbot de l’État, car, a priori, les collectivités, au contact quotidien des usagers, sont les premières concernées. »

 

En savoir +

Observatoire Data Publica : cette association loi 1901 a été créée pour observer les pratiques nouvelles de gestion publique des données : émergence de «services publics locaux de la donnée », chartes éthiques, formes innovantes de gouvernance et de management de la donnée, prototypes de datascience et usages inédits d’algorithmes, recours à l’intelligence artificielle, etc.

« IA : notre ambition pour la France », rapport remis en mars 2024 au chef de l’État par la commission de l’intelligence artificielle, avec 25 recommandations.

 

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Cet article a été publié dans l'édition :

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