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Maires de France
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17/02/2025 FEVRIER 2025 - n°431
AMF Sécurité - sécurité civile

Gendarmerie : les nouvelles brigades renforcent la proximité

Fixes ou mobiles, 80 brigades ont été créées en 2024 en zone rurale ou semi-urbaines. Annoncé en 2022, ce maillage territorial se met progressivement en place. Il doit s'adapter aux évolutions et à la typologie des actes de délinquance. Les élus constatent que ces implantations répondent aux inquiétudes de leurs administrés et ont un effet dissuasif.

Par Thierry Guerraz
Pour Jean-Pierre Laval, maire des Tourrettes (à gauche), la nouvelle brigade drômoise est « un argument sécuritaire ». La caserne, située à 1 km de l'A7, lieu d'opérations délictueuses, est dirigée par le major Vincent Schoreels (à droite).
Pour Jean-Pierre Laval, maire des Tourrettes (à gauche), la nouvelle brigade drômoise est « un argument sécuritaire ». La caserne, située à 1 km de l'A7, lieu d'opérations délictueuses, est dirigée par le major Vincent Schoreels (à droite).
En janvier 2022, Emmanuel Macron annonce son intention de déployer 200 nouvelles gendarmeries mobiles, fixes ou spécialisées, en zone rurale ou péri-urbaine. Une manière de compenser la perte de plus de 400 brigades de gendarmerie entre 2007 et 2016. Cette annonce se concrétise par la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI), promulguée le 24 janvier 2023. Entre septembre 2022 et avril 2023, les préfets conduisent une concertation avec les élus pour établir les lieux d’implantation. Les représentants de l’État leur présentent un cahier des charges puis étudient avec le commandant de groupement et la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) les propositions des élus.

Au total, 395 projets de brigades émergent dont 238, correspondant à 2 144 gendarmes supplémentaires, sont retenus par le ministère de l’Intérieur avec, pour finalité, d’adapter le maillage territorial de la gendarmerie aux évolutions de la démographie et des problématiques nouvelles (violences intrafamiliales, dépôts sauvages, recrudescence des raves-parties ou des occupations illicites de terrains...). L’exécutif a veillé à contenter tout le monde puisque chaque département de métropole et d’Outre-mer accueillera, au minimum, une nouvelle brigade.

Fin 2024, 80 unités ont vu le jour et 57 devraient les rejoindre en 2025. Ce déploiement, qui devrait s’étaler jusqu’en 2027, a été confirmé par François Bayrou, Premier ministre, dans son discours de politique générale le 14 janvier, désireux de renforcer «la présence des forces de sécurité sur le terrain ». Bruno Retailleau, alors ministre de l’Intérieur du gouvernement Barnier, avait déjà, en octobre dernier, devant le groupe de liaison du Groupe de la fonction militaire de la gendarmerie, «exprimé le souhait de continuer à travailler pour la réalisation de tous les engagements pris dans le cadre de la LOPMI ».

De passage au dernier Congrès des maires, le général Hubert Bonneau, fraîchement élu directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), a tenu les mêmes propos rassurants même s’il avait laissé sous-entendre, quelques jours plus tôt, devant la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, que le déploiement des nouvelles brigades était suspendu à des questions budgétaires en cours d’arbitrage.

Pour Frédéric Masquelier, maire de Saint-Raphaël (37 215 hab., 83) et coprésident de la commission prévention de la délinquance et sécurité de l’AMF, «ce déploiement va dans le bon sens, celui d’un maillage du territoire, et répond à de fortes attentes. Mais il faut veiller à ce que le contenu et les effectifs soient au rendez-vous ».
 

Les brigades mobiles opèrent de village en village

Les brigades territoriales mobiles (BTM) constituent 60 % des nouvelles brigades. Elles opèrent de village en village, en autonomie complète car les gendarmes effectuent les mêmes tâches que celles pratiquées en gendarmerie fixe, hors police judiciaire. Mais les brigades territoriales mobiles peuvent s’installer, par exemple, dans des locaux municipaux ou dans des tiers-lieux comme France services. Une présence appréciée par ceux qui, en zone rurale, éprouvent des difficultés de déplacement.

D’après une analyse du service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), la moitié des habitants des communes rurales, à l’habitat très dispersé, vit à plus de 12 minutes d’un lieu d’accueil (commissariat ou gendarmerie). Ce temps de trajet est réduit par deux pour la moitié des habitants des petites villes (5 min 42 s) et par trois pour les grands centres urbains (4 min 39 s). La présence de proximité peut aussi s’avérer dissuasive, comme le fait remarquer Jean-Marie Gourgues, maire de Montferrer (206 hab., 66), village niché à 830 mètres d’altitude : «Le simple fait de voir la voiture bleue des gendarmes qui passe dans la rue, ça calme certains esprits. »

La région Nouvelle-Aquitaine compte 9 brigades dont 7 mobiles. Le général Samuel Dubuis (lire ci-dessous), commandant la région jusqu’en octobre dernier, s’est rendu régulièrement sur le terrain. Il narre cette anecdote, qui révèle, selon lui, l’apport de ces nouvelles unités : lors d’une visite à la brigade territoriale mobile «Gaves et Côteaux » (64), le général est interpellé par une femme qui lui déclare être victime de harcèlement et de violences conjugales : «Elle était peu encline à porter plainte dans une gendarmerie fixe. Je lui ai signalé la présence de la brigade mobile et cela l’a encouragée à franchir le pas. »

Depuis dix ans, le département de la Vienne a subi la fermeture de 8 brigades de gendarmerie. La création d’une nouvelle brigade, comme celle de Scorbé-Clairvaux (2 193 hab.), revêtait donc une saveur particulière. En service depuis le 1er juin 2024, cette unité mobile, composée de 6 militaires, sillonne l’arrondissement de Châtellerault. En véhicule itinérant, avec quatre vélos électriques et une voiture électrique. À la grande satisfaction du maire de Scorbé-Clairvaux, Lucien Jugé, dont la pugnacité a fini par payer : «La présence de cette brigade sur le terrain rassure vraiment la population. C’est un facteur incontestable d’apaisement. De plus, leur local, situé près de la mairie et pour lequel elle a investi 80 000 euros pour sa rénovation, facilite grandement les échanges. »
 

Effet rassurant et intervention plus rapide

Scorbé-Clairvaux et ses alentours subissent, depuis deux ans, une hausse des cambriolages. Trop tôt encore pour savoir si la brigade mobile a permis d’enrayer cette spirale «mais déjà, la capacité de pouvoir facilement et vite porter plainte, surtout pour des personnes âgées ou isolées, de signaler un comportement suspect ou, pour les gendarmes, de patrouiller (…) sont de nature à dissuader le passage à l’acte », estime Julien Crochard, commandant de la compagnie de Châtellerault dont dépend la brigade mobile de Scorbé-Clairvaux.

Les plaintes, sans prise de rendez-vous, sont enregistrées dans le véhicule itinérant : «Nous faisons en sorte d’être présents de commune en commune sur des lieux très fréquentés comme les foires, les marchés, les brocantes ou les événements culturels (...) », explique Julien Crochard.

D’ici à la fin de l’année, les hommes de la brigade mobile auront achevé leur formation sur la protection de l’environnement. Julien Crochard en explique les raisons : «Les contentieux sont de plus en plus nombreux, nous avons vocation à développer les procédures en matière de dépôts sauvages ou d’abandons d’épaves par exemple. »

La brigade territoriale mobile (BTM) de la commune nouvelle Val-de-Cognac (3 480 hab., 16), l’une des toutes premières installées en France en mars 2024, rayonne en fait sur 11 communes (7 000 hab.). Jean-Marc Girardeau, maire de Val-de-Cognac, exprime sa satisfaction : «Les 6 sous-officiers de la brigade, expérimentés et avec une bonne connaissance du terrain, ont été très vite opérationnels. L’osmose avec la population a été immédiate, la confiance s’est nouée. Un ancien m’a avoué «retrouver ses gendarmes ». Avec cette brigade mobile, les forces sont démultipliées. Et cela se ressent pour la protection de l’environnement. Dès qu’ils constatent ou que nous les informons d’un manquement grave, il y a verbalisation. » De leur côté, les mairies ont fait le nécessaire pour mettre à disposition des locaux permettant à la BTM d’assurer des permanences.  

La commune des Tourettes (1 100 hab., 26) disposait aussi de suffisamment d’atouts pour faire partie des heureux élus : position stratégique au bord de la RN7 et à 1 km d’un échangeur de l’A7, lieux de passage où s’opèrent bon nombre d’opérations délictueuses, terrain disponible pour la construction d’une caserne, offres suffisantes de commerces et de services publics. Pour son maire, Jean-Pierre Laval, l’implantation d’une nouvelle brigade fixe sur sa commune, en septembre 2024, est «un argument sécuritaire auquel sont sensibles les citoyens. Pour ceux qui habitent déjà sur notre commune mais aussi pour des familles désireuses de s’installer chez nous ».

Cette nouvelle brigade comptera 11 membres et s’établira dans des locaux dédiés d’ici à quatre ans environ : «La commune ne débourse rien. Il revient à l’office HLM départemental Drôme Aménagement Habitat de la construire. En contrepartie, il percevra de l’État des loyers sur plusieurs années », assure Jean-Pierre Laval. À titre provisoire, la commune des Tourettes a mis à disposition son ancienne bibliothèque en la rénovant à ses frais (50 000 euros) et en l’adaptant aux besoins des forces de l’ordre (apports électriques spéciaux, occultation des fermetures...) : «Cinq hommes y travaillent depuis septembre 2024. Nous les avons aidés à trouver un logement à moins de 15 minutes de leur lieu de travail, condition sine qua non pour le bon exercice de leur métier », souligne l’élu.

Difficile bien sûr de tirer un bilan exhaustif au bout de seulement quelques mois d’exercice mais le major Vincent Schoreels, responsable de cette brigade qui œuvre sur 18 communes (13 500 hab.), note que la simple présence d’une caserne, matérialisée notamment par une quinzaine d’opérations anti-délinquance (contrôles routiers) menées en collaboration avec des réservistes et le Peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie, a porté ses fruits : «Ceux qui avaient de mauvaises habitudes ont migré vers d’autres communes », constate-t-il. Ses deux priorités ? La lutte contre le trafic de drogue, la RN7 et l’A7 étant des lieux de passage très fréquentés, et contre les violences intrafamiliales.
 

Des brigades plus atypiques

En Outre-mer, sur l’île de Saint-Martin, les 6 militaires de la BTM opèrent depuis le 1er mai 2024 sur un mode atypique. Le contexte s’y prête, comme le souligne le lieutenant-colonel Hugues Loyez, à la tête de 200 militaires sur les îles de Saint-Barthélemy et Saint-Martin : «La violence y est extrême. Saint-Martin, gangrenée par le narcotrafic, compte 84 fois plus de vols à main armée et 19 fois plus d’homicides qu’en métropole. »

Face à ces très vives tensions, le général Lavergne, commandant des 7 000 gendarmes d’Outre-mer, et le colonel Wintzer, prédécesseur d’Hugues Loyez, ont opté pour la présence d’une brigade mobile sur un quartier spécifique de la commune de Saint-Martin : Sandy Ground. Environ 2 000 personnes y vivent, souvent jeunes et en situation de pauvreté. «Nous souhaitons réhabiliter l’image de la gendarmerie. Ici, pas d’interpellations mais une relation de proximité, de communication, de services apportés à la population qui se concrétisent par de l’activité sportive, des aides aux devoirs ou aux procédures administratives », explique Hugues Loyez. Les liens se créent naturellement, les langues se délient : «c’est donc aussi pour nous une source de renseignements qui, dans le contexte très particulier de Saint-Martin, peuvent parfois sauver des vies », confie le lieutenant-colonel.

En prenant le pari du temps long et de la médiation, la BTM de Saint-Martin a réussi son ancrage. La plus belle preuve ? Le comité de quartier de Sandy-Ground, un collectif longtemps critique vis-à-vis des forces de l’ordre, accepte désormais de dialoguer. Pour patrouiller, Hugues Loyez n’espère plus que l’arrivée d’un véhicule itinérant.

Dans l’Essonne, alors que trois nouvelles brigades de gendarmerie étaient pressenties, grande a été la déception des élus d’apprendre qu’il n’y en aura finalement qu’une. «Cette annonce résonne comme un sentiment d’abandon de toute la moitié sud du département », ont réagi François Durovray, président du conseil départemental, et Francisque Vigouroux, président de l’Union des maires de l’Essonne.

Une décision difficilement compréhensible selon eux «alors que le département est déjà en sous-effectifs par rapport à des voisins ». L’implantation de la BTM, le 3 juin 2024, s’est finalement portée sur le secteur de Saclay dont le plateau est destiné à accueillir, dans les prochaines années, près de 50 000 personnes chaque jour (habitants, étudiants, chercheurs et salariés) : «Le déploiement de cette brigade permet une réponse opérationnelle allant du conseil auprès des installations sensibles et entreprises en matière d’intelligence économique à la prévention auprès des étudiants », estime Grégoire de Lasteyrie, maire de Palaiseau (36 350 hab., 91) et président de la communauté d’agglomération de Paris-Saclay (323 618 hab., 91). 
 

TÉMOIGNAGE
Général Samuel Dubuis, inspecteur général des armées-gendarmerie, ex-commandant de la région de gendarmerie de Nouvelle-Aquitaine
« Se tenir au plus près des élus
et de la population » 
« La création, en 2024, de 7 brigades mobiles et de 2 brigades fixes en Nouvelle-Aquitaine découle d’une concertation très riche à laquelle ont participé les colonels, les préfets, les maires et les présidents d’EPCI. Sur la région, nous avons souhaité introduire la notion de bassin pour tendre vers une cohérence géographique. De fait, si aucune brigade mobile ne ressemble à une autre, une préoccupation commune domine : se tenir au plus près des élus et de la population pour répondre à leurs besoins, passer d’une logique de guichet à une logique de pas-de-porte.
Cette proximité se traduit d’ailleurs dans les chiffres : depuis l’instauration en Nouvelle-Aquitaine des premières brigades mobiles, en mars 2024, 120 plaintes ont été enregistrées et nous sommes entrés en contact avec 2 800 élus et 4 450 commerces.
Un de mes grands objectifs est de développer les procédures pour atteintes à l’environnement dans une région qui compte 5 parcs naturels régionaux et 200 espaces Natura 2000. Cela répond directement à une très forte demande des élus sachant, par exemple, que les dépôts sauvages ont augmenté de 15 % en Nouvelle-Aquitaine. Pour mener à bien ce travail sur le terrain, les 400 000 e obtenus auprès de la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) et de la région Nouvelle-Aquitaine nous ont permis notamment d’équiper nos brigades mobiles en motos tout terrain, vélos et trottinettes électriques. »
© Gendarmerie de la région Nouvelle-Aquitaine

 

Casernes : régularisation des loyers impayés
En octobre 2024, Édmond Jorda, maire de Sainte-Marie-la-Mer et président de l’Association des maires, des adjoints et de l’intercommunalité des Pyrénées-Orientales, jetait un pavé dans la mare : «Dans 25 communes du département, les gendarmeries ne règlent pas leur loyer.
Dans certains cas, ces impayés s’étalent même sur une année entière. » Et l’édile de citer en exemple les dettes de Cabestany (266 388 euros) ou d’Elne (100 000 euros) : «C’est une double peine. L’État demande aux communes de construire elles-mêmes des gendarmeries, manquant de moyens pour le faire lui-même. Il externalise sa dette vers les collectivités mais en ne payant pas les loyers, il obère une seconde fois la trésorerie des collectivités », déplorait Édmond Jorda.
Un coup de sang qui a incité d’autres élus, de Normandie ou de l’Yonne, à dénoncer le même problème. Le ministère de l’Intérieur a régularisé la situation en réglant les loyers de septembre, octobre et novembre aux communes grâce aux crédits débloqués par la loi du 6 décembre 2024 de finances de fin de gestion pour 2024. Les élus restent vigilants pour décembre et l’année 2025.

 

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Cet article a été publié dans l'édition :

n°431 - FEVRIER 2025
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