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10/02/2025 FEVRIER 2025 - n°431
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Loi handicap de 2005 : un bilan mitigé

Reconnue comme une grande loi de la République, la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées peine pourtant à être pleinement appliquée.

Par Bénédicte Rallu
Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre chargée de l'Autonomie et du Handicap (3e en partant de la gauche), s'est rendue, le 9 janvier, à l'Institut des jeunes aveugles de Lille, en présence notamment de Brigitte Liso, députée du Nord (1re à gauche).
© LinkedIn Charlotte Parmentier-Lecocq
Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre chargée de l'Autonomie et du Handicap (3e en partant de la gauche), s'est rendue, le 9 janvier, à l'Institut des jeunes aveugles de Lille, en présence notamment de Brigitte Liso, députée du Nord (1re à gauche).

 

« La loi de 2005 est fondatrice et majeure pour placer les personnes en situation de handicap au cœur de la société. Il y a eu énormément d’avancées sur de nombreux chantiers. Elle a transformé la France dans sa manière d’intégrer. Les Jeux paralympiques en sont l’apothéose », estime Charlotte ­Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’Autonomie et du Handicap.  

La loi, en définissant pour la première fois le handicap, et de manière très large (bien au-delà du seul angle médical), en posant les principes d’accessibilité universelle et de compensation «a donné beaucoup d’espoirs et d’attentes », analyse Françoise Descamps-­Crosnier, conseillère municipale de Rosny-sur-Seine (78), présidente du Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP), lui-même créé par ce texte. «Le monde a changé vis-à-vis du handicap, et en bien. Ce qu’on appelle la “loi handicap” de 2005 nous a obligé à avancer, c’était une bonne loi », confirme Isabelle Assih, maire de Quimper (66 725 habitants, Finistère), et référente handicap et accessibilité de l’AMF.

Xavier Odo, maire de Grigny-sur-Rhône (69, 10 011 habitants), autre référent handicap et accessibilité de l’AMF, juge que «la loi de 2005 a été un catalyseur du changement des mentalités. Les agendas d’accessibilité programmée (Ad’AP), créés en 2015, ont permis à chacun de s’approprier la loi. C’est une vraie évolution. Aujourd’hui, on ne peut plus imaginer construire un bâtiment sans appliquer les normes d’accessibilité. À l’école, on n’accepte plus qu’un enfant en situation de handicap ne soit pas scolarisé. On peut dire que les communes ont fait le job ! Elles sont plutôt bonnes élèves pour l’accessibilité des bâtiments, les aménagements et la sensibilisation sur le terrain ».
 

Une application hétérogène

Les collectivités sont aussi les employeurs les plus vertueux avec un taux d’emploi des personnes en situation de handicap de 6,89 % des effectifs contre une moyenne de 5,66 % dans la fonction publique et de 4,3 % dans le secteur privé. Même le Collectif Handicaps, qui regroupe 54 associations, reconnaît, dans le bilan très critique qu’il fait de la loi de 2005, que le texte «est sans nul doute l’une des grandes lois de notre République », écrit Arnaud de Broca, le président du Collectif, en préambule du bilan (en ligne sur le site www.collectifhandicaps.fr). Mais «si la loi de 2005 (…) ne semble pas dépassée, elle n’est juste pas appliquée dans son entièreté. Pire, elle est appliquée de manière très hétérogène selon les départements », constate Arnaud de Broca. «Nous ne sommes pas au niveau, regrette Charlotte Parmentier-Lecocq. Les agendas d’accessibilité programmée ne sont pas toujours respectés. Tout est prévu dans la loi, mais dans le quotidien, celle-ci n’intègre pas réellement les personnes en situation de handicap dans la société. » L’exercice de la citoyenneté s’avère compliqué (lire ci-dessous).

« Près de la moitié des établissements recevant du public (ERP) reste inaccessible, 50 ans après la loi de 1975, 20 ans après celle de 2005 et 10 ans après l’objectif fixé pour 2015, critique le Collectif Handicaps dans son bilan de la loi. Le retard dans l’accessibilité des transports, des espaces publics, culturels, sportifs et même des services numériques continue de restreindre l’autonomie des personnes en situation de handicap. » Par exemple, selon la Drees, seules 24,4 % d’entre elles vont au cinéma au moins une fois dans l’année contre 48,2 % dans le reste de la population. Leur taux de chômage reste presque deux fois supérieur (12 % selon l’Insee) à la moyenne nationale (7 %).
 

Personnes exclues, marginalisées et discriminées

« Il y a aussi, vraiment, un changement de paradigme à opérer sur l’école inclusive, poursuit Isabelle Assih. On accueille de plus en plus d’enfants, ce qui est une bonne chose, mais “école inclusive” ne signifie pas “embauche exponentielle d’accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH)”. Nous devons trouver d’autres modèles, d’autres façons de faire, par exemple en favorisant l’accès à l’école des professionnels du médico-social. » Le budget 2025 prévoit de créer 2 000 postes d’AESH. Mais depuis que l’État doit les prendre en charge depuis 2024 pendant la pause méridienne (loi du 27 mai 2024), «nous n’avons pas encore vu le bout d’un titre », déplore Xavier Odo. Or, pour le Collectif Handicaps, «le temps est compté. Chaque mois perdu sans agir, ce sont des personnes handicapées qui continuent d’être exclues, marginalisées et discriminées ». Le collectif demande «l’effectivité des droits et la concrétisation des promesses du titre de la loi de 2005 (…). Impossible de se contenter de simples satisfécits sur l’héritage des Jeux paralympiques, qui semblent déjà très loin ».

Beaucoup d’élus continuent de travailler ardemment. Évreux (48 335 habitants, 27) se présente ainsi comme une «ville expérimentale ». Lors d’une audition, le 16 janvier, au Sénat, sur le bilan de la loi de 2005, Francine Maragliano, adjointe au maire d’Évreux chargée des personnes en situation de handicap, accessibilité, aide aux victimes (lire notre article), explicitait quelques fondamentaux : besoin d’un portage politique au plus haut niveau, et travail de concert avec les personnes en situation de handicap. Elle collabore actuellement avec Afnor sur des recommandations et financements possibles.

Xavier Odo propose de faire un bilan fin de la loi dans chaque département, «en s’appuyant sur les associations des maires locales pour relever ce qui fonctionne et les freins, pourquoi le Fonds territorial d’accessibilité (FTA) n’a pas davantage été actionné ». Environ 80 % de son budget n’aurait pas été dépensé… La ministre souhaite le simplifier : «le FTA est doté de 300 M€ [jusqu’au 31 décembre 2028]. Les maires ont un rôle clé pour le faire connaître auprès des commerces, des centres de santé… Le budget en appui est important avec 1,5 Md€ sur cinq ans pour rendre accessible les transports, le numérique… » Après 20 ans, les associations du handicap réclament des sanctions contre les acteurs qui n’appliquent toujours pas la loi. Xavier Odo estime que ce n’est «pas la bonne solution. L’idée est plutôt de voir comment on se ressaisit, dans le dialogue. Il ne faut pas bloquer le processus qui est plutôt vertueux aujourd’hui ».

L’obstacle à franchir semble davantage culturel que technique et financier. Les innovations, les solutions, les aides et accompagnements existent (mairesdefrance.com/2437). Mais il faut du volontarisme. Car il s’agit avant tout de surmonter les peurs et les préjugés toujours bien présents. «Trop souvent, les valides ont une vision validiste », constate Françoise Descamps-Crosnier. Comme le dit si bien Gaël Rivière, le joueur de football en cécifoot, il y a une «présomption d’incapacité » des personnes en situation de handicap, alors qu’elles ont des compétences parfois bien supérieures aux autres ».

Cette loi est bénéfique pour toute la société. «La personne en situation de handicap, c’est vous, c’est moi ! 80 % des handicaps arrivent au cours de la vie, via des accidents, le vieillissement… Tout le monde est concerné, d’autant plus avec l’augmentation des problèmes de santé mentale, notamment chez les jeunes. Le handicap n’est pas toujours visible, il ne faut pas l’oublier. Il faut continuer le combat sans rien lâcher. Ce n’est pas un sous-sujet, on parle de droits fondamentaux ! », rappelle Isabelle Assih.
 

Un exercice de la citoyenneté laborieux
L’exercice de la citoyenneté s’avère compliqué. Une personne en situation de handicap sur trois (30,3 %) ne serait pas inscrite sur les listes électorales, peut-on lire dans le bilan du Collectif Handicaps sur la loi du 11 février 2005. Si de gros efforts ont été faits pour l’accessibilité des bureaux de vote, l’implication des personnes en situation de handicap dans la vie politique communale reste un parcours du combattant (lire notre article).
La ministre chargée de l’Autonomie et du Handicap, Charlotte Parmentier-Lecocq, invite tous les candidats aux municipales 2026 à intégrer la question de l’inclusion dans leur programme et à inscrire des personnes en situation de handicap dans leur liste : «C’est le meilleur moyen d’envoyer un énorme signal. Avoir des élus en situation de handicap dans les conseils municipaux aide à réfléchir en amont, à rendre la cité plus accessible », explique-t-elle.
Le futur statut de l’élu, s’il est voté avant 2026, comporte un volet handicap.
Par ailleurs, une réflexion est engagée pour que le FIPHFP puisse aider et accompagner à la mise en place de solutions en faveur des élus. Aujourd’hui, sa compétence se limite aux agents de la fonction publique.

 

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