« L'entreprise doit justifier ses augmentations de prix»
Laure Bédier, directrice des Affaires juridiques (DAJ) du ministère de l'Économie et des Finances explicite les outils mis à disposition des maires pour accepter des modifications de prix dans leurs contrats de commande publique.

Maires de France : Que peut-on conseiller aux maires qui subissent la pression de leurs fournisseurs pour augmenter leurs tarifs ?
Laure Bédier : La question à se poser est de savoir si les conditions pour modifier les prix sont remplies. Dans son avis du 15 septembre 2022, le Conseil d’Etat a clarifié l’état du droit en précisant qu’il était possible de modifier uniquement un prix, dans le cadre d’un contrat de commande publique, en s’appuyant sur l’article R 2194-5 du Code de la commande publique.
Il s’agit d’une possibilité et non d’un droit pour l’entreprise et il faut répondre à plusieurs exigences : cette modification doit être rendue nécessaire par des circonstances qu’une autorité diligente ne pouvait pas prévoir [au moment de la conclusion du contrat]. En pratique, cela signifie que l’entreprise doit démonter qu’elle se trouve dans une situation où l’augmentation des prix est telle que, quand bien même elle aurait bien fixé le prix du marché, cette flambée des prix ne pouvait pas être anticipée, qu’elle est au-delà du prix limite qui aurait dû ou pu être fixé.
Deuxième condition : la forte hausse des prix est liée à une circonstance extérieure [au marché] comme celle que l’on connaît aujourd’hui en raison essentiellement de la guerre en Ukraine. Troisièmement : la modification des prix ne doit pas dépasser 50 % du prix initial du marché.
En outre, l’acheteur ne peut prendre à sa charge que le surcoût exceptionnel subi par le titulaire. L’augmentation des prix n’est destinée qu’à compenser les seules pertes dépassant les limites maximales envisagées. Les pertes qui correspondent à la part d’aléa normal demeurent à la charge de l’entreprise.
MDF : Quelles précautions faut-il prendre ?
L.B. : L’acheteur doit demander à l’entreprise de justifier ce nouveau prix et vérifier d’où provient l’augmentation des tarifs. Les documents qu’il demande doivent démontrer que le fournisseur subit bien des charges au-delà de ce qui avaient été envisagées. Dans la fiche technique de la DAJ, nous donnons un certain nombre de conseils pratiques à l’acheteur pour effectuer cette vérification.
MDF : La collectivité est-elle obligée d’accepter une hausse des tarifs ?
L.B. : Non, elle n’est pas jamais obligée d’accepter la demande, sauf si on se trouve dans le cas de l’imprévision, c’est-à-dire lorsqu’il y a un bouleversement de l’équilibre économique du contrat. Autrement dit, un problème grave qui remet en cause la poursuite du contrats.
C’est un droit pour le fournisseur d’être indemnisé : il peut même le demander au juge. Il s’agit d’un cas de figure juridique différent de la modification sèche du prix évoquée précédemment. Pour accorder une indemnité d’imprévision, il faut signer une convention, distincte du contrat. Cette indemnité doit permettre à l’entreprise de continuer à exécuter le contrat.
Mais l’acheteur ne peut pas prendre à sa charge 100 % de la charge exceptionnelle. Une part du surcoût qui excède l’aléa normal reste obligatoirement à la charge du titulaire du contrat, contrairement à ce que permet la modification sèche du prix.
Rappelons aussi que l’entreprise titulaire doit poursuivre l’exécution du contrat (quel que soit l’objet des prestations : gestion de piscine, restauration scolaire…), même si celle-ci lui coûte de l’argent. Elle n’a pas le droit d’interrompre le contrat. L’indemnité d’imprévision est là pour l’aider à surmonter ses difficultés.
MDF : Il existe aussi toujours la possibilité de modifier le prix lorsque la modification envisagée est de faible montant ?
L.B. : Absolument. L’article R 2194-8 du Code de la commande publique autorise les modifications de faibles montants, comme l’a rappelé l’avis du Conseil d’Etat : jusqu’à 10 % du montant du marché pour les achats de services et de fournitures, et jusqu’à 15 % pour les marchés de travaux, dans la limite des seuils européens. Cela reste donc limité. Cet article peut être utilisé en cas de circonstances imprévisibles, mais aussi en cas de circonstances pas tout à fait imprévisibles.
MDF : Le prix n’est plus intangible ?
L.B. : Le prix reste un élément qui, en principe, ne doit pas être modifié. Sauf dans le cadre de circonstances imprévisibles et des modifications de faibles montants.
MDF : Que peuvent faire les collectivités dont les contrats, notamment d’énergie, arrivent à échéance et qui sont obligées de lancer de nouveaux appels d’offres ?
L.B. : La difficulté est de réussir à obtenir un prix et à fixer un indice qui soient représentatifs de la situation économique actuelle. Il ne faut pas hésiter à rechercher l’appui de spécialistes pour pouvoir rédiger son cahier des charges de façon à rester attractif, à avoir des réponses. Si ce n’est pas le cas, l’appel d’offres restera infructueux.
MDF : Le gouvernement a récemment pérennisé la possibilité de passer des marchés de travaux de «gré à gré » jusqu’à 100 000 euros HT. Que cela signifie-t-il ?
L.B. : Cela signifie qu’on peut continuer à faire de la publicité et une mise en concurrence, mais on n’y est pas obligé. Pour les travaux d’urgence, on peut contracter avec une seule entreprise.
On peut aussi choisir de demander, et c’est plus prudent, plusieurs devis pour être sûr de choisir une offre économiquement pertinente et faire un bon usage des deniers publics. Cette mesure dispense du formalisme qui doit être adapté à l’objet du marché pour les autres marchés en dessous des seuils européens (marchés dits à procédure adaptée).
Le gré à gré est une mesure de simplification, qui ne dispense pas toutefois de choisir l’offre économiquement la plus avantageuse et la plus pertinente, dans le respect des grands principes de la commande publique (transparence, libre accès, égalité de traitement).
L’acheteur doit faire un bon usage des deniers publics et ne pas contracter systématiquement avec la même entreprise.
MDF : Pour l’achat d’énergies renouvelables, la conclusion de contrats de longue durée n’est actuellement pas bordée juridiquement. Que devrait apporter de ce point de vue le projet de loi sur les énergies renouvelables ?
L.B. : Le projet de loi sur les énergies renouvelables, actuellement en discussion à l’Assemblée nationale, comporte un article consacrant des contrats longue durée pour l’achat d’énergie renouvelable (gaz et électricité), plus connus sous le terme de PPA (Power purchase agreement). Cette mesure permettra de prendre en compte, dans les futurs contrats de livraison d’énergie, la durée d’amortissement des installations pour la production d’énergies renouvelables. Et surtout de sécuriser les acheteurs. Cela sera inscrit dans le Code de l’énergie.
MDF : Qu’en est-il de l’autoconsommation collective ?
L.B. : On va rappeler, également dans le Code de l’énergie, que les acheteurs pourront conclure des contrats de commande publique dans le cadre d’une opération d’autoconsommation collective ou individuelle.
. Fin 2022, mise à jour prévue du guide sur le prix dans la commande publique par la DAJ du ministère de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique.
. Modification du prix ou des tarifs des contrats de la commande publique : Avis du Conseil d’Etat du 15 septembre 2022, fiche technique de la DAJ, circulaire de la Première ministre du 29 septembre 2022.
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Cet article a été publié dans l'édition :
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