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Maires de France

Dossiers et enquêtes
01/07/2025 JUIN 2025 - n°435
Agriculture Environnement Santé

Préserver la qualité de l'eau : un défi quotidien

Pesticides, nitrates, PFAS... Confrontés aux pollutions détectées sur leur territoire, des élus s'efforcent de protéger leurs captages et d'assurer la qualité de l'eau distribuée. Face à des traitements de plus en plus coûteux, ils tentent de privilégier une gestion préventive de la ressource.

Par Sarah Finger
Le 5 juillet 2024, François Ravoire (au centre avec le badge), président de l'EPCI Rumilly Terre de Savoie (74), a inauguré, avec d'autres élus, la station de traitement qui, via des charbons actifs, rend potable l'eau contaminée aux perfluorés en 2022.
Le 5 juillet 2024, François Ravoire (au centre avec le badge), président de l'EPCI Rumilly Terre de Savoie (74), a inauguré, avec d'autres élus, la station de traitement qui, via des charbons actifs, rend potable l'eau contaminée aux perfluorés en 2022.
L’information officielle est diffusée le 25 avril dernier : la préfecture du Haut-Rhin annonce que dans onze des quarante communes regroupées au sein de Saint-Louis Agglomération, les personnes fragiles ne doivent plus consommer l’eau du robinet. En cause : un «dépassement régulier des normes » concernant les PFAS, communément appelés «polluants éternels ». Environ 3 000 habitants du territoire sont concernés par ces restrictions de consommation. Cette décision, largement relayée par les médias nationaux, détaille l’origine de cette pollution, pour le moins surprenante, comme le reconnaît Thierry Litzler, maire de Rosenau et vice-président de Saint-Louis Agglomération chargé de la délégation de l’eau.

Il raconte : «Nous avons été informés, fin 2023, par l’agence régionale de santé Grand-Est [ARS], à la suite de campagnes exploratoires qu’elle avait menées sur notre territoire, que trois de nos sites de captage d’eau présentaient des teneurs trop élevées en PFAS. Les analyses ont pointé une origine dont nous ignorions tout : ces PFAS proviennent en effet des mousses anti-incendie pourtant dûment certifiées et longtemps utilisées par les pompiers durant les exercices obligatoires qu’ils organisent sur l’aéroport international de Bâle-Mulhouse, proche de notre commune. »

Depuis l’annonce de cette pollution aux élus de l’agglomération, les décisions se sont enchaînées : fermeture d’un puits de captage dès 2023, mise en place d’un comité de pilotage coordonné par le sous-préfet de Mulhouse, information de la population. Et, sur le terrain, les solutions s’organisent : trois unités mobiles de filtration vont être louées d’ici à la fin 2025, avant la construction de trois stations de traitement par charbon actif, pour une enveloppe globale estimée à 20 millions d'euros. Des négociations sont en cours avec la plateforme aéroportuaire afin qu’elle cofinance ces travaux aux côtés de l’Agence de l’eau Rhin-Meuse. Thierry Litzler souligne qu’« en 2025, il n’y aura pas d’augmentation du tarif de l’eau pour les abonnés ». Le vice-président de Saint-Louis Agglomération ne cache pas son inquiétude pour autant : «Nous devons échanger entre élus sur cette thématique et nous interroger sur les moyens mis en œuvre pour protéger nos zones de captage. »
 

PFAS : une ardoise salée

Même déflagration et semblables questionnements à Rumilly Terre de Savoie, lorsque cette communauté de communes apprend par l’ARS, fin 2022, que deux de ses ressources en eau sont polluées, là encore par des PFAS. «Ce fut un coup de massue, résume François Ravoire, président de cet EPCI de Haute-Savoie et maire de Vallières-sur-Fier. Face à une telle information, on se sent soudain seul et vraiment démuni, d’autant que les services de l’État ont découvert le problème en même temps que nous. »

La principale origine de ces polluants semble identifiée : ils proviendraient de l’usine produisant des poêles de la marque Tefal, établie à Rumilly. «Cette entreprise est liée à notre territoire depuis les années 1960. Tout le monde ici connaît quelqu’un qui travaille chez Tefal », souligne François Ravoire qui se souvient avoir, «en toute transparence », informé les habitants de la situation. «Comme nous ne pouvions plus distribuer cette eau polluée, nous avons dû en acheter au Grand-Annecy, poursuit-il. Puis nous avons lancé le projet d’une nouvelle unité de traitement aux charbons actifs. À notre grande surprise, une seule entreprise a répondu à notre appel d’offres. Mais il fallait agir face à cette urgence : fournir de l’eau à nos habitants. »

Cette nouvelle station de traitement, opérationnelle depuis 2024, a coûté 1,8 million d'euros. « L’État a pris en charge environ 20 %, le département 40 %, et notre communauté 40 %, détaille François Ravoire. Pour nous, c’est un lourd poids financier. Nous avons donc dû augmenter nos tarifs et passer de 1,80 €/m3 à 2,34 €/m3… Oui, c’est cher ! » L’entreprise Tefal a participé aux frais de renouvellement des filtres à charbons actifs. Mais, précise l’élu, cet effort financier n’a été consenti que pour 2024. «Tefal ne voulait pas être la seule entreprise à mettre la main à la poche car d’autres industriels ont, eux aussi, utilisé des PFAS sur notre territoire : une tannerie aujourd’hui fermée et le fabricant de skis Salomon, autrefois établi à Rumilly. » Mais de cette situation difficile, François Ravoire souhaite retenir un aspect positif : «Comme des pollutions aux PFAS sont découvertes un peu partout, les représentants d’autres territoires viennent désormais nous voir pour se renseigner. Aujourd’hui, avec notre expérience, nous pouvons les conseiller. »

La frustration des élus s’avère sans doute plus marquée lorsque l’origine de la pollution reste indéterminée. C’est la situation à laquelle est confronté Benoît Gouin, maire du Castellet (Alpes-de-Haute-Provence). En 2022, sa commune a été privée d’eau potable durant plus de quatre mois en raison de la présence d’un métabolite (sous-produit de pesticides) dans la source qui l’alimentait. Les 300 habitants se voient remettre des packs d’eau : ces distributions rythmeront longtemps la vie locale avant que le réservoir de la commune ne soit alimenté en eau potable par camion-citerne. Près de trois ans plus tard, le maire du Castellet attend toujours des réponses. «Notre source est encore polluée et nous ne savons toujours pas d’où provient cette pollution. L’enquête de l’ARS et les investigations de l’Office français de la biodiversité sont toujours en cours », explique-t-il.

À l’époque, plusieurs pistes sur l’origine de ces métabolites avaient été évoquées : celle d’une entreprise implantée près du Castellet et spécialisée dans le traitement de panneaux solaires, ainsi que des vergers situés, eux aussi, à proximité et dans lesquels des fongicides auraient été utilisés. «Mais nous ne sommes toujours sûrs de rien et nous avons très peu de retours de l’ARS », déplore Benoît Gouin, exaspéré par la longueur de l’enquête.

En charge des compétences eau et assainissement depuis 2013, Durance Luberon Verdon Agglomération (DVLA), à laquelle est rattaché le village du Castellet, espérait, d’abord, que cette crise serait passagère. Face à la persistance de la pollution, la régie de l’eau de DVLA a dû entreprendre, «en juin 2023, de créer des conduites à partir d’Oraison, un village situé à 6 km du nôtre et avec lequel nous sommes à présent interconnectés, explique Benoît Gouin. Ce chantier a coûté près d’1 million d'euros. S’agissant des travaux de captage qui avaient été réalisés pour notre source désormais inexploitée, ils ne servent aujourd’hui à rien… Pas plus que le terrain que notre commune avait acheté pour ce captage. »
 

Premier levier : sensibiliser les agriculteurs

Selon de récents chiffres du ministère de la Transition écologique, 53 % des eaux de surface et 39 % des eaux souterraines contiennent des résidus de pesticides. Ces chiffres ont sans doute incité l’État à présenter, fin mars, sa feuille de route sur la protection des captages d’eau potable qui donne la priorité à la «protection préventive » (lire notre article). «Une grande partie de nos ressources et de nos milieux naturels sont désormais pollués », déplore Christophe Lime, président de France Eau Publique, un réseau réunissant opérateurs publics et collectivités autour de la gestion de l’eau. Selon lui, «la philosophie de la gestion publique consiste à s’attacher au préventif plutôt qu’au curatif ». En la matière, les acteurs locaux disposent de quelques leviers et déjà, des élus concentrent leurs efforts sur l’amont, autrement dit sur la prévention de sources potentielles de pollution.

En tant que vice-président du Grand Besançon Métropole (GBM) chargé de la gestion de l’eau potable, des eaux fluviales et des eaux usées, Christophe Lime résume le dispositif mis en œuvre sur son territoire, lequel compte 32 captages d’eau : «Nous avons multiplié les contrats avec les acteurs de terrain : les agriculteurs, les industriels ou les collectivités. Nous cherchons toujours à anticiper, puis à établir un dialogue constructif sur le temps long. »

Premier levier, donc : sensibiliser les agriculteurs afin de stabiliser, voire de faire régresser la pollution liée à leurs activités. «Sur notre territoire, sont notamment produits du Comté et du Morbier, détaille Christophe Lime. De gros efforts ont été faits par ces producteurs, soutenus par l’agence de l’eau, pour travailler dans le respect de la terre, dans le cadre d’une agriculture raisonnée. Des parcelles ont été ramenées en prairie ou en bio. Pour les éleveurs fournissant du lait dit traditionnel, la situation s’avère plus compliquée car certains d’entre eux se trouvent en très grande difficulté économique. »

Et d’insister : selon lui, les élus doivent engager des discussions avec les agriculteurs. «Je vais à leur rencontre avec le maire de la commune concernée et un représentant de leur activité, par exemple un membre de la chambre d’agriculture. Je leur dis qu’en évoquant ce problème, nous les protégeons, eux aussi, de produits nocifs qui peuvent provoquer un cancer chez certains. »

Avec les acteurs industriels, le principe appliqué par GBM est identique : «Déterminer qui pollue, le rencontrer, le sensibiliser et faire évoluer ses process. Des diagnostics, financés par l’agence de l’eau, sont établis en fonction des activités industrielles afin de déterminer quels produits sont dangereux, puis trouver des alternatives. » Christophe Lime cite le cas des coiffeurs utilisant des produits chimiques, celui de la SNCF ayant recours aux désherbants sur ses lignes ferroviaires, les particuliers jetant des restes de peinture dans les égouts… Informer, donner des clés : dans le cadre d’une telle démarche, l’élu rappelle l’importance du journal municipal pour «mieux sensibiliser la population ».

Mais c’est avant tout avec le monde agricole que nombre de collectivités s’efforcent d’établir un dialogue constructif afin de faire évoluer les pratiques. Parmi ces acteurs locaux, citons le Syndicat mixte d’eau et d’assainissement du Caux Central (SMEACC), en Seine-Maritime : issu de la fusion, en 2013, de 8 syndicats, il regroupe 34 communes, soit environ 34 000 habitants. Gérard Legay, maire des Hauts-de-Caux et premier vice-président du SMEACC, se souvient de la première réunion qu’il a organisée avec les agriculteurs : «D’un côté se trouvaient les agriculteurs dits traditionnels et, de l’autre, ceux qui pratiquaient le bio ou les cultures raisonnées. Entre eux, la discussion était quasi-impossible. C’était en 2010. Aujourd’hui, ils travaillent ensemble. »
 

Faire évoluer les pratiques agricoles

Certes, souligne Gérard Legay, de tels échanges ont aidé les agriculteurs à faire évoluer leurs pratiques. Mais de nombreux problèmes de produits polluants persistent. «Sur notre territoire, la disparition de l’élevage au profit de cultures industrielles entraîne une perte de l’herbage, lequel représente un des filtres les plus efficaces », déplore l’élu. «Cette évolution constitue un réel problème, confirme Géraldine Lemaistre, directrice du SMEACC. L’agence de l’eau nous a donc proposé de mettre en place le paiement pour services environnementaux. Encadré par l’Europe, ce dispositif permet de rémunérer une activité agricole favorable à l’environnement. Dans notre cas, il s’adresse aux agriculteurs qui maintiennent des prairies ou remettent de l’herbe dans les champs où nous rencontrons des problèmes de ravines qui alimentent nos bétoires (NDLR : petit entonnoir naturel). » Ces bétoires forment en effet des points d’infiltration pour les eaux de surface vers les eaux souterraines, permettant ainsi aux produits polluants de gagner la nappe.

Le SMEACC a donc intensifié ses efforts sur le traitement des eaux en aval. «Une nouvelle usine, mise en service en 2022, traite les problèmes de turbidité et de pesticides et assure une décarbonatation », détaille Gérard Legay, qui souligne toutefois que «cette usine a coûté 7 millions d'euros. Sans le SMEACC, il aurait été pour nous impossible de mener un tel projet. » Et, selon cet élu, les collectivités locales devront continuer à investir : «On découvre sans cesse de nouvelles molécules qui nécessiteront peut-être d’adapter encore nos usines de traitement ou d’en créer… »

Une analyse partagée au sein de Rumilly Terre de Savoie par François Ravoire : «Nous sommes nombreux à penser que plus nous allons chercher de micro-polluants, plus nous allons en trouver. » Or, le curatif n’est pas sans coûts environnementaux ; les process sont lourds sur le plan énergétique, et coûteux.

Comment dès lors parvenir à la réduction des pollutions, en passant d’une logique curative à une démarche préventive ? Le sujet sera l’un des thèmes des conférences territoriales sur l’eau lancées, le 7 mai, par le Premier ministre, et qui se tiendront de juin à octobre 2025 en concertation notamment avec les élus locaux. Objectifs : lever les points de blocage, capitaliser les bonnes pratiques «et procéder aux ajustements réglementaires voire législatifs à mener pour accélérer ou compléter les démarches en cours ».

 

TÉMOIGNAGE
Franco Novelli, expert technique et directeur adjoint du département cycle de l’eau à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR)
« La qualité de l’eau pèse toujours plus sur les collectivités »
« En cas de teneur trop élevée de polluants (nitrates ou pesticides), une collectivité peut alerter les autorités sanitaires mais elle aura peu de leviers pour inciter un agriculteur ou un éleveur à modifier ses procédés de production, a fortiori pour le contraindre. Ce qui a conduit des collectivités à abandonner un captage pour en chercher un autre, moins pollué.
Cette situation n’est guère satisfaisante, d’autant que la qualité du captage abandonné ne sera plus surveillée. Et cela amène à une sur-dépendance vis-à-vis des captages exploités et à une vulnérabilité accrue de l’alimentation en eau potable, notamment en cas de sécheresse.
Autre difficulté : les grandes agglomérations disposent d’importantes unités de traitement tandis que le milieu rural a plus de mal à installer de telles unités qui mobilisent des compétences pointues et des ressources financières.
Un autre écueil repose sur la faisabilité technique des traitements sophistiqués en raison de l’énergie nécessaire et du traitement des matières polluées qui en sont issues. Des petites communes sont ainsi livrées à elles-mêmes et un maire peut se sentir démuni, sauf s’il réussit à impulser un changement de pratiques sur l’activité à l’origine de la pollution. Au final, la qualité de l’eau pèse toujours plus sur les collectivités alors qu’il faudrait faire le choix, au niveau national, d’une vraie politique de prévention. »
Photo © @MaudFee

 

Pesticides et tarifs de l'eau
Le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) et l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ont remis, en novembre 2024, leur rapport d’inspection sur les risques liés à la présence de pesticides et de leurs métabolites dans l’eau destinée à la consommation humaine. Il établit un panorama très détaillé de la situation en France, et plutôt alarmant. Il pointe ainsi «l’échec global de la préservation de la qualité des ressources en eau concernant les pesticides ».
De plus, selon ce document, «le morcellement persistant des services d’eau dans les secteurs ruraux ne facilite pas la gestion face aux nouveaux défis qui émergent ». Illustration de ces disparités au travers des départements surtout touchés par les métabolites de pesticides : le Calvados (2,49 €/m3), l’Aisne (2,55 €/m3) et l’Oise (3,07 €/m3) présentent des prix moyens de l’eau plus élevés que la moyenne nationale (2,13 €/m3). 

 

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Cet article a été publié dans l'édition :

n°435 - JUIN 2025
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