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Maires de France
Pratique
22/12/2022
Marchés publics

Commande publique : les outils anti-crise

L'envolée des prix et les difficultés d'approvisionnement percutent les règles de la commande publique. Des moyens permettent d'assurer la continuité du service public.

Par Bénédicte Rallu
Illustration
© AdobeStock
Trois principes régissent les marchés publics et les concessions (dont font partie les délégations de service public) : transparence, concurrence, libre accès. S’y ajoutent quelques règles comme l’intangibilité des prix : on n’est pas censé revenir sur les prix fixés pour un contrat en cours, en dehors des cas que celui-ci prévoit (clauses de révision des prix, actualisation des prix selon des indices de référence…).
 

I - Contrats en cours

Modifications de contrat. Pour s’adapter aux imprévus, réglementation et jurisprudence autorisent les modifications de contrat, dites non substantielles : dans la limite de 10 % du montant du contrat initial des marchés de fournitures et de services ; 15 % pour les marchés de travaux. Dans les cas les plus délicats, ces modifications peuvent aller jusqu’à 50 %, mais les conditions étaient jusqu’en septembre dernier très strictes.

Le 15 septembre, le Conseil d’État (avis n° 405540) a admis la «modification sèche » du prix et de la durée des contrats publics. Attention, prévient Cécile Fontaine, cheffe du service juridique à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), «ne pas respecter les différents cas de figure [où cette modification sèche des prix est autorisée] reviendrait à remettre en cause les conditions de mise en concurrence initiale, ce qui affecterait la légalité du contrat. Or, la collectivité est responsable de la légalité des contrats qu’elle signe ».

Ces modifications sèches des prix restent en effet encadrées : situation «imprévisible » lors de la conclusion du contrat, modification du prix dans la limite de 50 % du montant du contrat initial, les conséquences financières sur l’entreprise (dépenses exceptionnelles, pertes de recettes) sont effectivement dues à la situation imprévisible et dépassent les limites «ayant pu raisonnablement être envisagées par les parties lors de la passation du contrat », respects des principes constitutionnels (bon emploi des deniers publics, interdiction des libéralités notamment).

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C’est le nombre d’acomptes validés (sur les 11 000 collectivités identifiées comme bénéficiaires) par les DDFiP, dans le cadre du «filet de sécurité » pour aider  les collectivités à faire face à leurs dépenses d’électricité et de gaz. Ce dispositif sera reconduit en 2023 avec l’amortisseur électricité et le bouclier tarifaire.
(Source : ministère de l’Économie).

 

Une circulaire de la Première ministre du 29/09/2022 liste les garde-fous qui peuvent inspirer les collectivités : la modification de prix doit être «strictement limitée dans son champ d’application et dans sa durée à ce qui est rendu nécessaire par les circonstances imprévisibles pour assurer la continuité du service public et la satisfaction des besoins de la personne publique. L’acheteur devra donc vérifier la réalité et la sincérité des justificatifs apportés par le titulaire pour éviter de payer des sommes sans lien avec les circonstances imprévisibles ou dont la réalité ne serait pas objectivement justifiée ».

C’est un point essentiel : la collectivité a la responsabilité de s’assurer que les difficultés financières de l’entreprise cocontractante sont bien dues à la crise et non à un problème de stratégie, d’anticipation ou de gestion de sa part.

Par ailleurs, les collectivités n’ont pas toujours intérêt à renégocier les prix de leurs contrats. Elles ne sont en aucun cas contraintes de prendre l’initiative ou d’accepter des modifications au contrat ! «Attention à ne pas signer tout ce que les fournisseurs présentent, insiste Cécile Fontaine. Si modification il y a, elle doit être le résultat d’un accord des parties et consensuelle ».

Gare aussi aux renégociations lorsque la collectivité n’a pas d’expert spécialiste de l’objet du marché : il n’est pas toujours aisé de comprendre les mécanismes de construction des prix des entreprises.

Autre point de vigilance : la crise et ses conséquences étant maintenant connues, il sera dorénavant difficile de plaider une «situation que l’on ne pouvait pas prévoir » dans les futurs contrats ou à tout le moins ceux passés en cette fin 2022.

« La théorie de l’imprévision ». Cet outil permet d’indemniser le cocontractant en passant avec lui une convention spécifique (document distinct du contrat). Cette indemnité peut être accordée par l’acheteur ou par le juge. «Pour la détermination du montant de l’indemnité, la jurisprudence laisse traditionnellement à la charge du titulaire une partie de l’aléa variant de 5 à 25 % du montant de la perte effectivement subie », précise la circulaire. Elle doit être versée au moment le plus proche du bouleversement de l’équilibre du contrat (lors des difficultés rencontrées par l’entreprise).   

Alléger la charge du titulaire. La collectivité peut décider de le faire en n’appliquant pas au titulaire les pénalités contractuelles dues en cas de retard, «tant que [l’entreprise] »  ne peut pas «s’approvisionner dans des conditions normales », explique la circulaire. Si les deux parties ne trouvent pas d’accord, le contrat peut être résilié.    

II - Futures procédures

Ici, l’enjeu sera de trouver la formule d’achat suffisamment attractive pour obtenir des offres satisfaisantes, à des prix supportables. Si la solution relève du cas par cas, on peut toutefois définir quelques grandes lignes.

Des prix révisables (avec une formule de révision de prix faisant au moins référence à un des indices officiels de fixation de ces cours) seront sans doute plus adaptés que des prix fermes, en particulier pour les marchés de plus de trois mois directement affectés par les fluctuations de cours mondiaux. C’est l’usage dans les marchés de travaux et de transports. Plus ces clauses de révisions de prix retiendront des fréquences de révision, des références ou des formules de calcul assez représentatives des conditions économiques de variation des coûts, plus la mise en concurrence aura de chance d’être fructueuse. À noter : les marchés pour l’achat de matières premières agricoles et alimentaires doivent être conclus à prix révisables.

Flexibilité. Pour les marchés d’énergie, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) conseille aux collectivités et acheteurs soumis au Code de la commande publique (CCP) «de ne requérir que les dispositions de flexibilité leur étant absolument indispensables ». Les clauses de flexibilité pour contrats multisites, prix unique… sont à utiliser avec modération car, «dans le contexte actuel de prix de gros élevés et volatils, ces dispositions sont très coûteuses pour les fournisseurs », prévient la CRE.

Massifier les achats est une autre technique pour créer du volume (certains fournisseurs ne répondent toutefois pas en ce moment à de trop gros volumes, faute de visibilité sur leur propre approvisionnement) et pour pouvoir négocier en cours de contrat. Rejoindre un groupement de commandes local pour un nouveau marché peut être une solution. Mais là encore, attention à une éventuelle éligibilité au tarif réglementé pour l’électricité (TRVE). Être membre d’un groupement peut compliquer, voire empêcher le retour au TRVE d’une collectivité qui pourrait y être éligible (voir ci-dessous).  
 

Marchés de travaux facilités

Les procédures de passation des marchés publics de travaux jusqu’à un seuil de 100 000 € HT sont allégées. Ces marchés de gré à gré exigent de respecter les principes de transparence, de concurrence et de libre accès, mais sans formalisme précis (un écrit est toutefois recommandé).

Le délai inscrit dans le cahier des clauses administratives générales des marchés publics (si l’acheteur y fait référence) entre la notification d’un marché et l’ordre de service de démarrage effectif des travaux, afin d’éviter une inflation des coûts durant cette période, est passé de six à quatre mois.

 

AVIS D'EXPERTS
Cécile Fontaine, cheffe du service juridique à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), et Lionel Guy, chef du service énergies renouvelables à la FNCCR
« Des solutions d’achat à choisir
au cas par cas »
« Les prix de l’énergie sont si volatils à ce jour qu’il n’y a que des mauvaises solutions pour acheter. C’est du cas par cas. Les toutes petites communes (par ex. avec 11 agents, donc non éligibles au tarif réglementé de l’électricité - TRVE), qui ont de petits volumes et pourraient négocier leur contrat en consultant trois fournisseurs, n’ont pas intérêt à se lancer seules car elles ne recevront que des offres avec des tarifs exorbitants.

Être dans un groupement de commandes procure un pouvoir de négociation du fait des volumes importants. Cela apporte surtout des compétences en ingénierie, l’achat d’énergie s’apparentant parfois à de l’achat boursier. Il faut y être rôdé. Mais pour une collectivité éligible au TRVE qui a aujourd’hui un contrat aux tarifs du marché, être dans un groupement la pénalise.

Or, il est toujours difficile de quitter un groupement de commandes pour des raisons juridiques (on ne sort d’un achat groupé qu’après la fin du marché) et politiques (en général, les membres du groupement se sont engagés par convention à ne pas en sortir en cours de marché).

Sur les dispositifs de soutien financier de l’État pour 2023, nous manquons encore de visibilité sur leur mise en œuvre. Les collectivités ont toutefois tout intérêt à se signaler dès maintenant auprès de leur fournisseur et des services de l’État si elles pensent y avoir droit. »

© @MaudFee et Antonin Weber/Hans Lucas

 

En savoir + :
• Code de la commande publique :  modification du marché (art. R2194-1 à R2194-10), de la concession (R3135-1 à R3135-10), prix affectés par la fluctuation des cours mondiaux (art. R2112-14).

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Cet article a été publié dans l'édition :

n°407 - DÉCEMBRE 2022
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