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21/06/2022
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Élus en situation de handicap. Des conditions d'exercice difficiles

Les élus concernés déplorent l'insuffisance des moyens pour exercer leur mandat correctement. Ils plaident pour une véritable égalité.

Monique Castro
Illustration
Yann Jondot, premier adjoint au maire de Langoëlan (56), en avril 2021, lors d'un projet intégrant un parcours pour les personnes à mobilité réduite dans le parc de Pen-Mané.
C’est un paradoxe. D’un côté, les personnes en situation de handicap sont invitées à participer à la vie politique du pays et, de l’autre, les conditions qui pourraient leur permettre d’exercer des mandats électifs au même titre qu’une personne valide sont insuffisantes selon les principaux intéressés.

«  Notre intégration dépend du bon vouloir des élus. Il faudrait une règlementation qui permettent de compenser vraiment certains handicaps », recommande Sébastien Breton, conseiller municipal d’Obernai (10 800 habitants, Bas-Rhin). À la suite d’un accident survenu en 2015, il souffre de problèmes visuels mais arrive à se «  gérer tout seul » grâce à la bienveillance du maire et des autres élus vers lesquels il se tourne quand il «  a besoin de creuser un sujet ».

En janvier 2019, il a rejoint l’Association pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées (APHPP, lire ci-dessous) dont il est aujourd’hui vice-président chargé des territoires, et milite activement pour l’inclusion des personnes en situation de handicap dans les assemblées locales.
 

Une loi pas assez inclusive

Combien y a-t-il de maires ou de membres de conseils municipaux handicapés en France ? Impossible de le savoir précisément, aucun recensement n’ayant été réalisé. L’Assemblée nationale, quant à elle, ne compte plus qu’un seul député ayant un handicap visible sur 577 élus et le Parlement européen six personnes sur 751 membres (aucun d’eux n’est Français).

La France a bien adopté la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, qui énonce le principe du droit à compensation du handicap et de l’obligation de solidarité de l’ensemble de la société à l’égard des personnes handicapées. Mais ce texte n’est pas jugé assez inclusif. À commencer par l’intitulé même du texte qui pose problème. «  On parle d’égalité des chances, mais il faut dire égalité d’accès. C’est la même chose à l’école : il ne s’agit pas d’égalité des chances mais d’égalité de réussite », s’emporte Yann Jondot, paraplégique depuis qu’un accident de moto l’a privé de l’usage de ses jambes, maire de 2014 à 2020 de la commune de Langoëlan (378 habitants, Morbihan) dont il est aujourd’hui le premier adjoint.
 

Absence de sanctions

Une mise au point qui trouve une illustration dans la situation qui oppose le maire de Toulouse et président de Toulouse Métropole (31), Jean-Luc Moudenc, à Odile Maurin, conseillère municipale et métropolitaine, autiste haut potentiel, atteinte du syndrome d’Ehlers-Danlos, maladie génétique rare qui la prive de son autonomie et de sa mobilité. Chacun se livrant à une lecture différente des textes.

Le Code général des collectivités territoriales (CGCT) dispose que les élus handicapés doivent bénéficier d’aides pour prendre part aux séances (lire ci-dessous).

Ce que prévoit le CGCT
Selon l’article L. 2123-18-1 du CGCT, les élus en situation de handicap peuvent bénéficier du remboursement des frais spécifiques de déplacement, d’accompagnement et d’aide technique qu’ils ont engagés pour se rendre à des réunions ayant lieu sur et hors du territoire de la commune.

Le décret n° 2021-258 du 9 mars 2021 précise que la prise en charge de ces frais s’effectue toujours sur présentation d’un état de frais et, désormais, dans la limite, par mois, du montant de l’indemnité maximale susceptible d’être versée au maire d’une commune de moins de 500 habitants (991,80 e brut, en 2022). Ce remboursement est cumulable avec ceux des frais de mission et des frais de transport et de séjour.


Odile Maurin réclame une aide pour lui permettre de préparer les réunions en amont, car elle reçoit les dossiers dans des délais trop proches de la tenue des conseils municipaux. Son état ne lui permet pas de les traiter en si peu de temps. «La règlementation dit que je dois être accompagnée pour pouvoir prendre part aux conseils municipaux ou métropolitains. Mais comment y prendre part si je ne peux pas me préparer correctement ? », interroge-t-elle.

Jean-Luc Moudenc a écrit à Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées sous la précédente mandature, pour lui signaler l’insuffisance des moyens fixés compte tenu des besoins d’Odile Maurin. Elle lui a répondu, le 27 septembre 2021, que «le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP, qui n’intervient que pour le compte des agents des trois fonctions publiques, ndlr) s’est engagé à travailler afin que les élus en situation de handicap puissent bénéficier des aides à l’occasion de l’exercice de leur mandat (aménagement des postes de travail) sur une similarité avec les agents de l’État ». À suivre.

« Ce n’est pas la peine de changer la loi, celle de 2005 sur l’accessibilité prévoit tout…, sauf les sanctions ! Personne n’est en charge de surveiller, il n’y a pas d’autorité de contrôle ! », estime, pour sa part, Sylvain Nivard, maire de Méry-sur-Cher (700 habitants, Cher) pendant deux mandats (2008-2020), avant de devenir le premier président aveugle de l’association Valentin Haüy, spécialisée dans l’accompagnement des personnes déficientes visuelles. Dans son village, il n’a pas eu besoin d’accompagnement particulier. Tout reposait sur le travail d’équipe et la confiance. «On se répartissait le travail, je n’étais pas le mieux placé pour aller visiter un chantier. En revanche, c’est moi qui m’occupais du Code de l’urbanisme, des finances ou des comptes administratifs. »
 

Faciliter l’accès aux outils numériques

Cependant, l’ancien élu pointe la difficulté d’avoir accès à tous les documents numériques. Son ordinateur est équipé d’un traducteur vocal capable de lire les textes mais inopérant face à un tableau ou à une image.

Quand la communauté de communes Vierzon Sologne Berry, dont fait partie la commune, a préparé le PLU intercommunal, un cabinet de conseil a été choisi pour les accompagner : «  sauf que nous n’avions pas précisé dans l’appel d’offres que les outils devaient être accessibles aux non-voyants. Malgré la loi, ce n’était pas évident pour le prestataire. J’ai dû “ ramer ” pour avoir les informations. Il y avait aussi un espace ­participatif où chacun pouvait intégrer ses remarques mais je n’y avais pas accès ».

En revanche, lors de la révision du PLUi, l’accessibilité du site web a été inscrite dans l’appel d’offres et Sylvain Nivard a été associé à sa conception. Il rappelle que les adaptations ne coûtent pas plus cher, «  il faut juste qu’elles soient anticipées ». Par exemple, s’il y a une vidéo, pour que son logiciel puisse la lancer, il suffit qu’à côté de la caméra sur laquelle on clique il y ait une légende «  lancer la vidéo » et son logiciel peut la lire. «  Tout est question de bonne volonté », estime-t-il.
 

Des kits d'accessibilité

Ce que ne démentira pas Yann Jondot. Quand il a été élu, en 2014, les réunions qui se tenaient à l’étage sans ascenseur ont été naturellement délocalisées au rez-de-chaussée et il en a été de même dans toutes les mairies de la communauté de communes où se tenaient des réunions communautaires. Cela facilite les rapports et met sur un pied d’égalité tous les participants, souligne celui qui est devenu, en 2018, ambassadeur national des «ambassadeurs de l’accessibilité », un dispositif créé par l’État. Il organise ainsi l’action des jeunes en service civique chargés de cette problématique dans les communes.

L’élu a aussi créé une charte et un «kit d’accessibilité » à moindre coût afin d’inciter les petites communes à s’engager pour les élus et pour l’ensemble des administrés.
 

TÉMOIGNAGE
Matthieu Annereau, conseiller municipal
à Saint-Herblain (47 415 hab., Loire-Atlantique), conseiller métropolitain
de Nantes Métropole
« Créer un fonds national pour les élus handicapés »
" Devenu progressivement aveugle, j’ai créé, en septembre 2017, l’Association pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées (APHPP) qui réunit des élus, des personnes handicapées, des entrepreneurs et des aidants. En matière d’intégration d’hommes ou de femmes handicapés en politique, la France est en retard. Car les personnes en situation de handicap sont perçues comme vulnérables.

Nous demandons un portage politique plus important du handicap, avec la création d’un ministère dédié. Nous souhaitons l’instauration d’un quota de 6 % de personnes en situation de handicap dans les assemblées élues [NDLR : comme cela existe dans la fonction publique et le secteur privé].

Afin qu’elles puissent exercer leur mandat dans de bonnes conditions, l’APHPP demande la création d’un fonds national dédié au financement des aménagements, accompagnements humains, techniques et technologiques. »

Un fonds qui pourrait être le pendant du Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP).
© @MAnnereau


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Cet article a été publié dans l'édition :

n°402 - JUIN 2022
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