Perles-et-Castelet en deuil de ses arbres
La commune (220 hab., Ariège) a été victime, en 2021, de l'abattage sauvage de centaines d'arbres par une entreprise espagnole, sur des terrains privés. Alerté, le maire, Gérard Durand, est intervenu.

Son interlocuteur cesse d’argumenter et les ouvriers plient bagage. Avec un adjoint, le maire inventorie les dégâts. Cinq hectares ont été rasés indûment, près de 400 arbres abattus – dont 100 chênes de toute beauté – et un propriétaire, parmi la vingtaine de victimes, voit sa parcelle intégralement ravagée. Le maire, à titre privé, perd quatre «jolis arbres », et la commune déplore la détérioration de l’un de ses chemins et des murs abattus. «Autour de moi, c’est le choc, dit Gérard Durand, d’autant plus qu’avec leurs camions, les ouvriers ont abîmé des parcelles sans arbres, répandu de l’huile, endommagé la faune et la flore. »
Le lendemain, nouveau choc : des stères de bois, en bord de chemin, ont disparu. Le maire s’en veut : «Je n’aurais pas pensé qu’ils allaient revenir la nuit et récupérer le fruit de leurs coupes, j’aurais dû neutraliser l’accès. » Il dépose plainte au nom de la collectivité à la gendarmerie pour dégradation du chemin communal. Il encourage les propriétaires de parcelles à faire de même. Enfin, à eux tous, ils décident d’alerter la presse. «Notre idée était de mettre la pression sur cette entreprise, sur l’enquête, afin que jamais plus un tel écocide ne puisse se reproduire », dit Gérard Durand.
Une filière bien organisée
Pari réussi : après un article publié dans La Dépêche du Midi, pendant «un mois », médias régionaux et nationaux viennent à Perles-et-Castelet. «Presque tous les jours », le maire va en forêt avec les journalistes.
Il émet une hypothèse : l’opérateur espagnol aurait eu un contrat en bonne et due forme, en décembre 2020, sur une parcelle voisine, puis aurait profité de l’absence de témoin pour procéder à des coupes sauvages, plusieurs semaines durant, sur les parcelles voisines, plus riches, jusqu’à ce qu’il se fasse repérer. Les mois passent, l’enquête ouverte pour «vols avec dégradation et en réunion » suit son cours.
Un expert, mandaté par le tribunal, évalue les dommages, les plaignants établissent des devis de remise en état des terrains.
En août 2021, c’est le soulagement : le «forestier » espagnol est mis en examen, une caution lui est demandée et l’une de ses remorques placée sous séquestre. «C’est un premier pas vers la réparation », dit Gérard Durand. Les faits sont édifiants : le mis en examen a tenté, par mail, de dédommager les propriétaires, «50 euros par arbre, une misère », souligne l’élu qui estime qu’avec cet écrit, «le crime est signé ».
L’affaire a été jugée à Foix, le 14 décembre dernier. Le procureur a requis contre l’entrepreneur espagnol deux ans de prison, dont un avec sursis, l’obligation d’indemniser les parties civiles et 200 000 euros d’amende contre son entreprise. Le jugement sera rendu le 15 février 2022. Les élus doivent rester vigilants : comme en témoigne le président de l’Association des communes forestières de l’Ariège (lire ci-dessous), ces coupes sauvages ne devraient pas cesser. «Résineux ou feuillus, les arbres manquent pour la construction ou le meuble, notamment en Chine et aux États-Unis. Résultat, nos arbres sont convoités et les réseaux prêts à tout pour les exporter. »

Gérard Durand, maire de Perles-et-Castelet (Ariège)
« Un crime contre la nature »
Oui, le procès vient d’avoir lieu et c’était une étape importante. Ce qui nous est arrivé révèle quelque chose de grave. J’alerte maires et pouvoirs publics : que se passe-t-il autour des arbres ? On voit, par chez nous, des camions de troncs aller en Espagne. D’où viennent-ils ? Où vont ces troncs ?
• Le jugement sera rendu le 15 février 2022. Comment le procès s’est-il passé ?
Le procureur et l’avocat des parties civiles ont démontré que le bûcheron avait mis en place un mode opératoire pour, à partir d’une parcelle exploitée légalement, étendre son emprise aux parcelles voisines en toute illégalité. Ce qui est incroyable, c’est que l’avocat de l’entrepreneur a demandé sa relaxe, et que le système de défense de ce dernier a consisté à dire : «Ce n’est pas moi, ce sont mes ouvriers qui se sont trompés. »
• Votre affaire a été très médiatisée. Cela vous a-t-il étonné ?
Oui, j’ai reçu des dizaines de messages de soutien. Mais après coup, je trouve cela normal. Nous avons vécu un crime contre la nature, des arbres coupés, décapités, un sol mis à nu, des chemins et des murs détruits… Cela est insupportable. C’est arrivé chez nous mais les gens ont compris que cela pouvait survenir n’importe où. Ce saccage a ému des habitants aux larmes. Aujourd’hui, notre massif, point de départ des randonneurs et poumon de la commune, est balafré.
• Que retenez-vous de cet épisode ?
Si la médiatisation a du bon, je retiens qu’il ne faut cependant pas trop en dire aux journalistes. J’avais parfois du mal à garder pour moi des informations, afin de préserver l’enquête. Je conseille aux élus de prendre un avocat. Je n’avais jamais déposé plainte et c’est complexe.
Notre conseil m’a aidé à formuler la demande de réparation au titre du préjudice moral, matériel et financier. C’est un allié précieux face à ce maudit opérateur espagnol.
La justice : «Les enquêteurs ont bouclé leur enquête en six mois. Je disais à mes administrés lésés de replanter des arbres, d’être patients. Ils trouvaient ça long. Je savais que les investigations avançaient, et je me félicite de la tenue du procès en fin d’année dernière, un an après la commission des faits. »
Les propriétaires : «Découvrir son terrain ratiboisé, c’est traumatisant. J’ai vu des propriétaires pleurer, leurs grands-parents avaient planté ces arbres. Tous ont bien fait de se regrouper afin de porter plainte. Leur malchance : avoir eu une parcelle loin des regards, alors que les terrains en bord de route sont moins exposés au vol. »
Frédéric Laffont recommande aux maires de se méfier de certains appels en mairie. «Les voleurs passent par des rabatteurs qui repèrent une parcelle, à l’écart des regards, et s’informent, via le cadastre, de l’identité de ses propriétaires. » Il conseille aux mairies de demander leur nom ou une adresse à leur interlocuteur «et vous verrez, cela les freinera… ». Il explique leur méthode : une fois la parcelle repérée, les voleurs pillent vite et fort en prétextant, si besoin, l’erreur et en produisant un contrat (véritable) de coupe sur une parcelle voisine. Les élus doivent redoubler de vigilance.
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Cet article a été publié dans l'édition :
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