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01/01/1970 MARS 2021 - n°388
Citoyenneté

Opposition : établir des relations constructives pour avancer

Difficile parfois de gérer les relations avec ses opposants au sein d'un conseil municipal ou communautaire. Une mission pas impossible pour autant. Par Christophe Robert

Débats lors du conseil, vote des délibérations, questions orales ou écrites, droit d’expression dans le bulletin municipal et sur le site internet de la collectivité lorsqu’il existe… Pour les équipes municipales en place, les occasions ne manquent pas de croiser le fer parfois avec les élus d’opposition. Fort heureusement, cette réalité ne concerne pas toutes les communes de France et reste tout de même relative dans la majorité d’entre elles, en particulier dans les communes soumises au vote par panachage. Difficile en revanche d’échapper à cette délicate question lorsque la commune dépasse le seuil fatidique des 1 000 habitants, seuil à partir duquel les élus sont choisis au scrutin proportionnel de liste avec prime majoritaire. Reste qu’une fois la campagne électorale passée et les résultats du scrutin proclamés, il faut bien apprendre à travailler ensemble. Et ce, jusqu’à la fin du mandat si possible. Une tâche pas toujours aisée, mais loin de constituer une mission impossible, si l’on fait preuve d’ouverture et de patience.
 

Composer avec ses adversaires

« Il faut bien le reconnaître, les relations sont un peu crispées depuis le début de notre mandat », témoigne Aurélie Gigan, première femme maire de Saint-Sauveur-Villages (Manche, 3 600 hab.), le 4 juillet dernier. Élue avec plus de 57 % des suffrages sous la bannière « Tous acteurs pour nos villages », sa liste a créé la surprise en battant l’équipe qui était en place depuis la création de cette commune nouvelle. Mais la nouvelle maire en est bien consciente : « Tous les électeurs n’ont pas voté pour nous. » Aujourd’hui, son conseil municipal compte 23 élus issus de sa liste majoritaire, qui siègent désormais en face de 6 opposants issus de l’ancienne équipe. Désireuse de « construire une belle histoire » à Saint-Sauveur-Villages, ­Aurélie Gigan tient à «r ester attentive à tous les projets qui pourront faire émerger des débats que nous allons organiser dans la commune ». Elle a donc choisi de tenter de composer avec ses « anciens » adversaires, même s’ils ne lui font parfois pas de cadeau. « Les élus de l’opposition interviennent sur des questions de forme. Ils essayent de nous prendre en faute sur la démarche de démocratie participative puisque c’est un programme que nous avons défendu pendant la campagne électorale », poursuit-elle. Séverine Trufer, son adjointe en charge de la vie associative, complète son propos : « En tant qu’élus de la majorité, nous sommes à l’écoute de leurs demandes et questions car un projet doit emporter l’adhésion du plus grand nombre pour qu’il soit accepté au mieux. » En ce sens, le conseil municipal a souhaité mettre en place plusieurs comités consultatifs thématiques ouverts à la population ainsi qu’aux élus de l’opposition. « On invite les habitants de tout bord à participer aux débats pour élaborer des projets communs », précise l’adjointe. À Saint-Sauveur-Villages, la majorité municipale propose également, à chaque conseil, un temps d’échanges et d’information avec l’opposition sur l’évolution des dossiers en cours. Mais ­Aurélie Gigan souhaite aller plus loin encore dans le sens de l’ouverture. Elle envisage de « donner au public la possibilité de poser des questions, en fin de conseil, lorsque la situation sanitaire le permettra ». « Nos élus de l’opposition pourront s’exprimer sur une demi-page dans notre bulletin municipal semestriel ainsi que sur le site internet de notre commune », complète ­Séverine Trufer. L’occasion de rappeler que le droit d’expression de chacune et de chacun ainsi que les règles du jeu à respecter sont en principe fixés par le règlement intérieur du conseil (lire ci-dessous). Pour les communes en dessous du seuil de 1 000 hab., ce document demeure facultatif, même s’il reste fortement préconisé. Au-delà de ce seuil en revanche, le règlement intérieur de l’assemblée est obligatoire, de même que dans tous les EPCI.
 

Les droits des élus minoritaires 
1 Obligatoire dans les communes de 1 000 hab. et plus, le règlement intérieur fixe notamment les modalités d’expression des élus minoritaires.

2 Ils ont aussi le droit d’être informés des affaires de la commune qui font l’objet d’une délibération (les documents en lien avec celle-ci peuvent leur être communiqués).

3 Ils ont, comme tous les autres élus, le droit de consulter les projets de contrats de services publics ou de marchés publics.

4 Dans les communes de 1 000 hab. et plus, ils sont représentés dans les commissions créées par le conseil municipal. Ils disposent d’un espace d’expression dans les supports de communication (bulletin municipal, site internet, etc.).

5 Dans les communes de plus de 3 500 hab., ils ont le droit de disposer sans frais du prêt d’un local (et de prestations diverses dans les communes de plus de 100 000 hab.) et ont accès à certaines informations à travers la note ­explicative de synthèse des dossiers.

6 Ils ont accès à la formation dans les conditions définies par le conseil municipal.

 

L’intercommunalité aussi

«  Le règlement intérieur adopté par notre conseil communautaire prévoit notamment l’organisation des prises de parole avec des temps limités ou des modalités spécifiques pour poser des questions en transmettant celles-ci en amont », expose François Aubey, président de la communauté d’agglomération Lisieux Normandie (Calvados, 75 000 hab.) et maire depuis plus de vingt-deux ans de Mézidon-Canon (devenue la commune nouvelle de Mézidon-Vallée d’Auge). «Depuis que je suis élu, je me refuse dans la mesure du possible à contrôler les débats par ce biais. Je n’y aurais recours que dans le cas où les interventions viseraient à nuire à la sérénité des échanges ou à décrédibiliser systématiquement tout projet mené », précise-t-il cependant. Au niveau municipal, la notion d’élu d’«  opposition » apparaît relativement claire. Selon la loi en effet, il s’agit des « conseillers élus sur une liste autre que celle ayant obtenu le plus de voix lors du dernier renouvellement du conseil municipal ou ayant déclaré ne pas appartenir à la majorité municipale » (article L. 2121-27-1 du CGCT). Mais qu’en est-il à l’échelon intercommunal ? Doit-on prendre en considération les éventuelles appartenances «politiques » entre les conseillers communautaires ? Les inimitiés personnelles ou encore les divergences de points de vue entre les élus de la ville-centre et ceux des autres communes ? «Cette notion d’opposition est contraire à l’esprit de la construction intercommunale », estime, pour sa part, François Aubey. Selon lui, « l’intercommunalité fonctionne bien quand elle est fondée sur un principe gagnant-gagnant, sans concurrence entre les territoires qui la compose, et donc sans concurrence entre les hommes et les femmes qui les représentent ». Mais dans la pratique, « la construction intercommunale, même si elle est censée être collective et partagée, peut être pénalisée par des postures politiciennes qui visent à prendre le contre-pied systématique des propositions qui sont faites. Dans un pareil cas, le seul perdant reste le territoire ». Afin d’éviter cet écueil, il a donc lui aussi tenté le pari de l’ouverture : « J’ai souhaité en tant que président sortant de l’EPCI, réélu à une large majorité, proposer une place significative dans la gouvernance à mes opposants. L’expression des désaccords enrichit le débat démocratique et la formation des opinions doit se nourrir des avis contraires », estime-t-il. Un point de vue que mériteraient sans doute de partager nombre d’élus locaux. À l’instar d’Aurélie Gigan qui perçoit aujourd’hui son opposition municipale comme « un aiguillon » capable de faire avancer sa commune avec plus d’exigence.

 

témoignage
Aurélie Gigan, 
maire de Saint-Sauveur-Villages (50)
« Un aiguillon qui nous permet d’avancer »
Il est fondamental d’être à l’écoute des élus de l’opposition. L’équilibre entre élus majoritaires et opposants au sein du conseil est suffisamment avantageux pour ceux qui l’ont emporté pour que l’on s’engage dans des relations respectueuses. Il me semble qu’il faut voir l’expression des élus d’opposition comme un aiguillon qui nous permet d’avancer, avec plus d’exigence. Aujourd’hui, cette cohabitation nous permet de mettre concrètement à l’épreuve notre vision de la démocratie participative, avant de le faire avec les habitants dès que la situation sanitaire nous le permettra à nouveau.

 

témoignage
François Aubey
, maire de Mézidon-Vallée d’Auge (14),
président de la Communauté d’agglomération Lisieux Normandie
« La vérité n’existe pas dans la position d’un seul »
Je suis convaincu que la vérité n’existe pas dans la position d’un seul, ni même forcément dans la position d’une majorité exprimée. La décision majoritaire, et donc l’expression démocratique, doit être le fruit des différents avis exposés afin que chacune et chacun puisse conforter ou non sa position. Ces échanges permettent la construction d’une opinion éclairée. C’est pourquoi, il me semble nécessaire que l’opposition, si on doit la qualifier comme telle, puisse exprimer son désaccord et son point de vue. Il s’agit là d’un droit important à préserver. La limite, bien entendu, est que chacun adopte une attitude constructive. L’« opposition » se doit aussi de respecter la décision issue d’un processus démocratique au sein duquel chacun a pu s’exprimer. 

 

Infos pratiques
Lire Maires de France n° 381 de juillet-août 2020, pp. 55-57https://www.mairesdefrance.com/m/article/?id=441
Le «Guide du maire 2020 » édité par l’AMF, pp. 50-51.

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