« Il faut bien le reconnaître, les relations sont un peu crispées depuis le début de notre mandat », témoigne Aurélie Gigan, première femme maire de Saint-Sauveur-Villages (Manche, 3 600 hab.), le 4 juillet dernier. Élue avec plus de 57 % des suffrages sous la bannière « Tous acteurs pour nos villages », sa liste a créé la surprise en battant l’équipe qui était en place depuis la création de cette commune nouvelle. Mais la nouvelle maire en est bien consciente : « Tous les électeurs n’ont pas voté pour nous. » Aujourd’hui, son conseil municipal compte 23 élus issus de sa liste majoritaire, qui siègent désormais en face de 6 opposants issus de l’ancienne équipe. Désireuse de « construire une belle histoire » à Saint-Sauveur-Villages, Aurélie Gigan tient à «r ester attentive à tous les projets qui pourront faire émerger des débats que nous allons organiser dans la commune ». Elle a donc choisi de tenter de composer avec ses « anciens » adversaires, même s’ils ne lui font parfois pas de cadeau. « Les élus de l’opposition interviennent sur des questions de forme. Ils essayent de nous prendre en faute sur la démarche de démocratie participative puisque c’est un programme que nous avons défendu pendant la campagne électorale », poursuit-elle. Séverine Trufer, son adjointe en charge de la vie associative, complète son propos : « En tant qu’élus de la majorité, nous sommes à l’écoute de leurs demandes et questions car un projet doit emporter l’adhésion du plus grand nombre pour qu’il soit accepté au mieux. » En ce sens, le conseil municipal a souhaité mettre en place plusieurs comités consultatifs thématiques ouverts à la population ainsi qu’aux élus de l’opposition. « On invite les habitants de tout bord à participer aux débats pour élaborer des projets communs », précise l’adjointe. À Saint-Sauveur-Villages, la majorité municipale propose également, à chaque conseil, un temps d’échanges et d’information avec l’opposition sur l’évolution des dossiers en cours. Mais Aurélie Gigan souhaite aller plus loin encore dans le sens de l’ouverture. Elle envisage de « donner au public la possibilité de poser des questions, en fin de conseil, lorsque la situation sanitaire le permettra ». « Nos élus de l’opposition pourront s’exprimer sur une demi-page dans notre bulletin municipal semestriel ainsi que sur le site internet de notre commune », complète Séverine Trufer. L’occasion de rappeler que le droit d’expression de chacune et de chacun ainsi que les règles du jeu à respecter sont en principe fixés par le règlement intérieur du conseil (lire ci-dessous). Pour les communes en dessous du seuil de 1 000 hab., ce document demeure facultatif, même s’il reste fortement préconisé. Au-delà de ce seuil en revanche, le règlement intérieur de l’assemblée est obligatoire, de même que dans tous les EPCI.
« Le règlement intérieur adopté par notre conseil communautaire prévoit notamment l’organisation des prises de parole avec des temps limités ou des modalités spécifiques pour poser des questions en transmettant celles-ci en amont », expose François Aubey, président de la communauté d’agglomération Lisieux Normandie (Calvados, 75 000 hab.) et maire depuis plus de vingt-deux ans de Mézidon-Canon (devenue la commune nouvelle de Mézidon-Vallée d’Auge). «Depuis que je suis élu, je me refuse dans la mesure du possible à contrôler les débats par ce biais. Je n’y aurais recours que dans le cas où les interventions viseraient à nuire à la sérénité des échanges ou à décrédibiliser systématiquement tout projet mené », précise-t-il cependant. Au niveau municipal, la notion d’élu d’« opposition » apparaît relativement claire. Selon la loi en effet, il s’agit des « conseillers élus sur une liste autre que celle ayant obtenu le plus de voix lors du dernier renouvellement du conseil municipal ou ayant déclaré ne pas appartenir à la majorité municipale » (article L. 2121-27-1 du CGCT). Mais qu’en est-il à l’échelon intercommunal ? Doit-on prendre en considération les éventuelles appartenances «politiques » entre les conseillers communautaires ? Les inimitiés personnelles ou encore les divergences de points de vue entre les élus de la ville-centre et ceux des autres communes ? «Cette notion d’opposition est contraire à l’esprit de la construction intercommunale », estime, pour sa part, François Aubey. Selon lui, « l’intercommunalité fonctionne bien quand elle est fondée sur un principe gagnant-gagnant, sans concurrence entre les territoires qui la compose, et donc sans concurrence entre les hommes et les femmes qui les représentent ». Mais dans la pratique, « la construction intercommunale, même si elle est censée être collective et partagée, peut être pénalisée par des postures politiciennes qui visent à prendre le contre-pied systématique des propositions qui sont faites. Dans un pareil cas, le seul perdant reste le territoire ». Afin d’éviter cet écueil, il a donc lui aussi tenté le pari de l’ouverture : « J’ai souhaité en tant que président sortant de l’EPCI, réélu à une large majorité, proposer une place significative dans la gouvernance à mes opposants. L’expression des désaccords enrichit le débat démocratique et la formation des opinions doit se nourrir des avis contraires », estime-t-il. Un point de vue que mériteraient sans doute de partager nombre d’élus locaux. À l’instar d’Aurélie Gigan qui perçoit aujourd’hui son opposition municipale comme « un aiguillon » capable de faire avancer sa commune avec plus d’exigence.