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27/10/2021
Marchés publics

Démarche commercial : prudence !

Entre exigence de bonne gestion des deniers publics et pratiques commerciales parfois agressives, les maires doivent redoubler de vigilance. Témoignages.

Christophe Robert
Illustration
© AdobeStock
De l’achat de simples fournitures de bureau aux marchés de travaux publics en passant par les produits d’entretien et les prestations de service, les relations avec les représentants commerciaux et les opérateurs privés font partie du quotidien des élus locaux. Si, d’un côté, c’est avant tout la bonne gestion des deniers publics et le respect des règles de concurrence qui doivent guider le choix des acheteurs publics, force est malheureusement de constater que telles ne sont pas toujours les priorités de certains représentants des entreprises. En particulier à l’égard des nouveaux élus aux rênes de leur municipalité depuis un peu plus d’un an.

En témoigne l’expérience vécue par Jean ­Bouissou, élu maire de Marcillac-la-Croze ­(Corrèze, 175 hab.) depuis l’année dernière. «Quelques mois à peine après mon élection, j’ai reçu la visite de deux agents commerciaux en mairie venus me proposer des produits alternatifs pour le désherbage », relate l’édile. A priori, une aubaine inattendue pour le maire, surtout quand on connaît les contraintes règlementaires à respecter compte tenu notamment de l’interdiction d’utiliser des produits phytosanitaires pour les espaces verts.

Mais l’élu nous fait part de sa surprise : «D’emblée, avant toute discussion, et alors qu’ils ne m’avaient même pas présenté leurs produits, ces deux commerciaux m’ont tout de suite posé sur la table une valise d’outillage comme “cadeau de bienvenue” et proposé une caisse de bouteilles de champagne ! J’ai bien sûr refusé en leur expliquant que ce n’était pas dans mes méthodes », poursuit-il. Après avoir présenté au maire un vague bon de commande pour des produits dont les prix n’étaient pas mentionnés sur leur catalogue, les deux commerciaux finissent par repartir. Dans le doute, Jean Bouissou contacte la société pour confirmer à son responsable qu’il n’avait formellement souscrit aucune commande et qu’il ne voulait plus entendre parler d’eux.
 

Vente forcée déguisée

Mais «quelques jours plus tard, un camion vient en mairie pour livrer ces produits que je n’avais pas commandés en me présentant une facture de plus de 3 000 euros ! », sourit aujourd’hui l’élu, finalement parvenu à renvoyer chez lui le livreur, les produits et surtout… la facture.
« Après en avoir discuté avec d’autres collègues, je réalise que ce genre de pratique est en réalité assez fréquent, notamment à l’égard des nouveaux élus », analyse, avec recul, le maire de Marcillac-la-Croze, déplorant une pratique qui «s’apparente de très près à de la vente forcée ». Aussi, l’élu conseille-t-il à ses homologues de se «méfier des démarcheurs commerciaux en tout genre ; ils vous passent la main dans le dos dans le seul but de vous faire signer au plus vite ! »

« Les démarchages commerciaux sont fréquents en mairie, en particulier dans le domaine de la téléphonie et des télécommunications, avec des sociétés n’hésitant pas à se faire passer pour des sous-traitants d’opérateurs bien connus », confirme Lauriane Mounier-Faraut, présidente de l’Association nationale des directeurs d’associations de maires (ANDAM) et directrice de l’Association des maires de Haute-Savoie. La directrice évoque aussi «l’insistance de certaines structures prétendument spé- cialisées en matière de protection des données personnelles qui n’ont pas hésité à vendre leurs services aux collectivités à des tarifs prohibitifs, utilisant l’argument du risque encouru en cas de non-conformité avec le règlement général sur la protection des données ».

Dans la Vienne, son homologue, Lucie Bébin-Brossard, pointe des démarches similaires dans le secteur des télécommunications et de l’éolien avec certains commerciaux qui n’hésitent pas à «passer chaque semaine en mairie déposer des cadeaux à destination des élus ». «Que ce soit via l’AMF ou via l’ANDAM, la communication au sein de notre réseau est précieuse en la matière car elle nous permet de réagir vite et efficacement pour alerter les communes de nos départements respectifs », souligne Lauriane Mounier-Faraut.

En outre, l’AMF est régulièrement saisie par certains édiles se rendant compte du caractère onéreux de certains contrats. Il faut être d’autant plus vigilants quand il s’agit de locations de matériels (copieurs, téléphonie, défibrillateurs, etc.) car l’Association a observé la signature de contrats en cascade (crédits-bail et contrats de maintenance).

« Les démarchages en mairie par des représentants de sociétés privées sont réguliers, notamment pour du mobilier urbain ou pour des travaux énergétiques », confirme Thomas Dupont-Federici, élu maire de Bernières-sur-Mer (14) en mai 2020 (lire ci-dessous). Selon lui, «il faut être surtout prudent, en particulier lorsque l’on est nouvel élu ».
 

TÉMOIGNAGE
Thomas Dupont-Federici,
maire de Bernières-sur-Mer
(Calvados, 2 337 habitants)
« Il existe bel et bien un risque d’influence »
« Élu maire depuis mai 2020, le démarchage en mairie par des représentants de sociétés privées constitue, aujourd’hui, une pratique fréquente. Je constate qu’il existe bel et bien un risque ­d’influence pour les élus locaux. Je ne mesure pas le niveau de conscience des maires, mais c’est effectivement un risque, compte tenu de la relative incompétence des élus dans des domaines techniques notamment. En tant qu’élus locaux, nous avons tous nos capacités d’expertise mais aussi nos lacunes. Et les offres proposées par les professionnels peuvent ­berner des élus dans bien des domaines qu’ils ne maîtrisent pas. Pour ma part, je n’hésite pas à toujours demander l’avis de plusieurs professionnels, des conseils aux techniciens municipaux ainsi qu’à ceux d’autres collectivités tout comme à d’autres élus. Enfin, il est important pour un maire, son équipe et ses agents de se former et d’être régulièrement à jour des obligations réglementaires. »


De fait, qu’il s’agisse de l’achat d’une simple ramette de papier, de produits d’entretien ou d’une prestation de travaux, tous ces actes quotidiens constituent un acte de commande publique, soumis aux règles du Code de la commande publique qui prévoit que «les acheteurs (…) respectent le principe d’égalité de traitement des candidats » et de transparence des procédures. Une prudence d’autant plus nécessaire que les textes législatifs et réglementaires ne plaisantent pas en cas de faux pas.

Selon le Code pénal en effet, le fait pour une personne publique d’accepter «des dons, des présents ou des avantages quelconques pour elle-même ou pour autrui » en contrepartie de l’octroi d’un marché ou de toute autre décision favorable constitue un délit passible de dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 000 000 euros (art. 432-11 du Code pénal).

Consciente des pressions subies par les élus, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique a, pour sa part, engagé une «étude de faisabilité » pour étendre le répertoire des représentants d’intérêt (lobbies), établi au niveau national, aux collectivités. Dans une interview à Maires de France (n° 391 de juin 2021, pp. 16-17), son président, Didier Migaud, expliquait : «Il faut déterminer, en concertation avec les associations d’élus locaux, quelles peuvent être les obligations qui seraient imposées aux représentants d’intérêt, les seuils pertinents, les secteurs concernés en priorité (transports, BTP, gestion des déchets et de l’eau, etc. ».

Ce répertoire, «qui devrait être opérationnel en juillet 2022 », pourrait «contribuer à une transparence utile pour les élus et les citoyens et, peut-être, à une certaine régulation des pratiques ». L’avenir le dira.      

Quatre conseils pratiques
1. Refuser tout cadeau lors d’un démarchage commercial, surtout lorsqu’il n’a rien à voir avec le produit ou le service concerné.
2. Ne pas céder à l’acquisition d’un produit ou d’un service dont votre collectivité n’a pas un besoin préalablement identifié.
3. Comparer les offres des différents prestataires ou fournisseurs en gardant une trace de l’analyse.
4. Éviter tout conflit d’intérêts en conservant en tête qu’un élu ne peut pas être à la fois prescripteur et bénéficiaire.


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Cet article a été publié dans l'édition :

n°394 - OCTOBRE 2021
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