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01/01/1970 MARS 2021 - n°388
Sécurité - sécurité civile

Sécurité locale : le partage des informations en question

Les échanges entre les maires et les différents acteurs intervenant dans le champ de la sécurité locale sont encore loin d'être simples et systématiques, en dépit de la mise en place de nombreux dispositifs. Par Sarah Finger

Le conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance de Saint-Yon (91) permet à l'ensemble des acteurs locaux d'échanger sur la délinquance et les incivilités.
Le conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance de Saint-Yon (91) permet à l'ensemble des acteurs locaux d'échanger sur la délinquance et les incivilités.

 " Le maire doit rester le pivot de la sécurité dans sa commune », dixit le Livre blanc sur la sécurité intérieure, rendu public en novembre 2020. Cependant, dans les faits, les maires ont-ils accès aux informations touchant à la sécurité locale ? « La situation est inégale sur le territoire. Mais qu’ils soient en zone police ou gendarmerie, les maires souhaitent avoir des points réguliers qui leur offrent une vision nette sur ce qui se passe sur leur commune, notamment en termes de délinquance », résume Marie-Laure Pezant, lieutenant-colonel de gendarmerie et chargée de mission prévention-sécurité à l’AMF. En zone police, le partage d’informations se révèle parfois complexe, notamment en raison d’une organisation territoriale cloisonnée qui pénalise les contacts avec les élus locaux. Les relations seraient plus fluides avec les forces de gendarmerie selon Françoise Gatel, conseillère municipale de Châteaugiron, sénatrice d’Ille-et-Vilaine et présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. « La gendarmerie s’efforce de travailler en étroite relation avec les élus et, généralement, les informations passent bien. Le temps où un maire apprenait par un concitoyen qu’une tentative de hold-up était survenue sur sa commune, comme cela m’est arrivé, est révolu. » Une autre élue d’Ille-et-Vilaine confirme : « Nous avons avec les services de gendarmerie des relations régulières et de proximité autour des questions de sécurité locale », se félicite Anne-Sophie Patru, maire de ­Pleumeleuc.

« Les élus ruraux se sentent davantage éloignés
du parquet que ceux des centres-villes. »
Nathalie Koenders, 1re adjointe au maire de Dijon (21)

« En revanche, avec la préfecture, c’est plus compliqué : les informations passent davantage par les associations départementales d’élus, et les maires sont loin d’être toujours mis dans la boucle. » Pourtant, les maires attendent beaucoup des échanges avec le préfet, comme l’indique Rémy Pointereau, conseiller municipal de Lazeray, sénateur du Cher et co-auteur d’un rapport d’information sur l’ancrage territorial de la sécurité intérieure (lire ci-dessous) : « Si des réunions sont volontiers organisées entre les préfectures et les présidents d’intercommunalité, les maires sont trop souvent mis de côté du fait de la complexité à organiser ces rencontres. » Un phénomène illustré par Alexandre ­Touzet, maire de Saint-Yon (91) et président du groupe de travail sur la prévention de la délinquance et de la radicalisation à l’Assemblée des départements de France (ADF) : « Notre communauté de communes a créé un conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance et une cellule de veille. Elle réunit les 16 maires de l’EPCI, des représentants de la police intercommunale et de la gendarmerie afin de faire des points réguliers sur la délinquance et les incivilités, explique-t-il. Grâce à cette structuration, nous bénéficions d’une oreille plus attentive de la part des services préfectoraux. »

Renforcer les relations avec la justice

Adoptée par les députés en première lecture, le 24 novembre dernier, la proposition de loi sur la sécurité globale permet l’extension des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), qui deviendraient obligatoires dans les communes de plus de 5 000 habitants. « Les communes qui en sont dotées sont mieux armées et entretiennent davantage de liens avec le préfet. Les CLSPD devraient être renforcés et devraient pouvoir s’implanter sur de plus petites communes », estime Rémy Pointereau. « Les textes récents témoignent de la volonté du ­gouvernement d’associer davantage les élus locaux aux questions de sécurité », souligne Nathalie Koenders, première adjointe au maire de Dijon (21) et co-présidente de la commission prévention de la délinquance et sécurité de l’AMF. Mais «

la question des moyens alloués à la justice pour mettre en œuvre toutes les mesures d’information systématique du maire sur les suites judiciaires données aux faits survenus sur le territoire de la commune » se pose, selon l’AMF. Certains élus pâtissent ainsi, au quotidien, d’un manque d’information à la suite des signalements liés à des violences ou des incivilités. « J’ai actuellement le cas d’une personne qui pose problème sur ma commune, raconte Anne-Sophie Patru. J’ai déposé plainte pour dégradation, une procédure est en cours mais à l’issue de son audition, cette personne a été vue en train d’attaquer les portes et vitrines de la mairie à coups de marteau. Or, sans flagrant délit, pas moyen d’agir. Dans un cas comme celui-là, nous n’avons ni retour d’informations ni accompagnement. On se sent seul et démuni. » De telles situations interrogent sur les relations des communes avec la justice : la question des plaintes, dont les maires ignorent les suites, revient de façon récurrente. « Les maires se sentent délaissés, résume Rémy Pointereau. Les magistrats leur paraissent souvent inaccessibles, alors que la relation maire-parquet apparaît comme fondamentale. » Le principe d’une réunion d’information entre les magistrats du parquet et les maires élus lors des dernières municipales figurait parmi les mesures de la loi « engagement et proximité » du 27 décembre 2019. Une circulaire de juin 2020 souhaitait que ces réunions se tiennent dès septembre ; le 15 décembre 2020, le garde des Sceaux invitait les procureurs, dans une autre circulaire, à renforcer le dialogue institutionnel avec les maires. Dans les faits, de nombreux élus n’ont pas connaissance de cet objectif. « En Côte-d’Or, le préfet a récemment réuni tous les maires en présence du procureur. Mais il faut reconnaître que les élus ruraux se sentent davantage éloignés du parquet que ceux des villes-centres », résume Nathalie Koenders, qui ajoute : « De son côté, la justice fait avec les moyens dont elle dispose. » Certaines initiatives vont toutefois dans le bon sens : « Le parquet d’Évry a nommé un chargé de mission politique de la ville qui fera le lien avec élus », se réjouit Alexandre Touzet. À Dijon, Nathalie Koenders indique que des postes ont aussi été créés par la justice afin de faciliter de telles relations. Rémy Pointereau cite, quant à lui, l’exemple du procureur de Valenciennes qui « a instauré des relations régulières avec les maires et mis en place une boîte mail sécurisée permettant un dialogue direct avec les élus ». Toutefois, les échanges d’information reposent encore souvent sur des relations privilégiées entre les maires et les acteurs de la sécurité locale. « Un tel partage devrait devenir un réflexe afin qu’au-delà d’événements exceptionnels, le maire soit régulièrement informé », estime Marie-Laure Pezant. « Les circulaires, les textes, les structures existent, constate Alexandre Touzet. L’important, c’est la manière dont les interlocuteurs les mettent en œuvre pour que l’information passe… ou pas. »

Interrogations autour des « fichés S »
Élaborée en concertation avec l’AMF, la circulaire du 13/11/2018 pour l’information des maires en matière de prévention de la radica­lisation établit les modalités du dialogue entre maires et préfets (www.amf.asso.fr, réf. BW39139). Mais une question fait débat : les maires veulent-ils savoir si des personnes fichées S (qui, rappelons-le, présentent un ­profil varié qui peut être très éloigné du terrorisme) évoluent sur leur commune ? « Certains maires aimeraient en avoir connaissance et d’autres pas, répond Marie-Laure Pezant, chargée de mission prévention-sécurité à l’AMF. Les questions qui se posent à eux, c’est que faire d’une telle information ? Et ont-ils les moyens de réagir ? » Alexandre Touzet, maire de Saint-Yon (91), confirme : « Tous les maires ne sont pas demandeurs de telles informations qui interrogent sur la responsabilité des élus et la répartition des rôles en la matière. » Toutefois, poursuit-il, les collectivités devraient y avoir accès quand elles visent leurs agents : « Aujourd’hui, on ne sait pas si certains de nos collaborateurs sont fichés S. Cela pose un vrai problème, par exemple dans des cas de radicalisation au sein du personnel périscolaire. »

 

Sécurité locale : les dix recommandations des sénateurs
Les sénateurs Rémy Pointereau (Cher) et Corinne Féret (Calvados) ont dévoilé, le 28 janvier, leurs dix préconisations pour renforcer l’ancrage territorial des forces de sécurité (rapport n° 621). Parmi celles-ci : opérer une « nouvelle répartition police-gendarmerie », en concertation avec les élus, basée sur les bassins de vie et de délinquance. Ils émettent des réserves sur l’extension des compétences des policiers municipaux, prévue par la proposition de loi « sécurité globale » ­débattue mi-mars au Sénat, qui ne doit pas pallier, selon eux, « le désengagement de l’État ». 

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