La sécurité des ponts reste un casse-tête pour les élus
Ce patrimoine qui se dégrade est un problème aigu pour les petites communes. Ingénierie et financement manquent toujours.
Un rapport du Sénat de 2019 sonne l’alarme (entre 30 000 et 35 000 ouvrages seraient «en mauvais état structurel »). L’État lance, en décembre 2020, le programme national ponts (PNP) que le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) met en œuvre. Alors que le Sénat estimait que 18 à 20 % des ponts des petites communes présentaient une structure altérée ou gravement altérée, le recensement du Cerema, dans le cadre du PNP, confirme que 22-23 % des ponts présentent des défauts importants. Si importants que certains doivent être fermés à la circulation routière.
C’est le cas à Tigeaux (400 hab., Seine-et-Marne) qui, dès 1977, limite la circulation aux 3,5 t sur son pont Eiffel. Des études successives confirment la dégradation croissante du pont, finalement fermé en mai 2014. Si peu d’habitants de Tigeaux sont impactés, cette fermeture mécontente les automobilistes qui, en l’empruntant, contournaient un péage autoroutier. Une demande de subvention pour les travaux, estimés à plus d’1 M€ HT, est acceptée.
Mais, malchance, la commune change d’arrondissement en 2015, la demande de subvention est transférée et disparaît. «En 2018, le conseil municipal a suspendu la procédure de reconstruction », regrette le maire, Francis Poisson. En 2019, la communauté de communes (CC) du pays Créçois se dissout et Tigeaux rejoint la communauté d’agglomération Coulommiers Pays de Brie. Or, celle-ci ne compte pas la voirie dans ses compétences. «Les discussions avec l’EPCI ne donnent rien. Avec 70 % de subvention, nous pourrions faire les travaux. Le sous-préfet nous dit “commencez les travaux, vous verrez après… ” ». On se doute de la réponse du maire.
Qui doit agir ?
Qui est compétent pour intervenir ? Pas toujours simple de le démêler. La bande de roulement du magnifique pont en pierre du XVIIIe siècle du canal des Cinq abbés, endommagée lors de la tempête Xynthia en 2010, est partagée par les communes de Sainte-Radégonde-des-Noyers (900 hab., Vendée) et Marans (4 500 hab., Charente-Maritime), qui en sont donc propriétaires. Mais une obscure tradition historique laisse penser que, du côté de Marans, une famille en serait en réalité propriétaire.
« Un contrôle du Cerema a préconisé une première tranche de travaux pour 30 000 €. Une remise en état complète irait de 500 000 à 1 M€ », explique René Froment, maire de Sainte-Radégonde-des-Noyers, qui refuse de lancer les travaux. À cela plusieurs raisons : l’incertitude sur la propriété et «le flou » des aides de l’État.
En attendant, le combat porte sur le respect du tonnage acceptable. «Je me bats depuis 2008, déplore le maire. Le pont est taré à 3,5 t mais il est emprunté par des 30 t et des engins agricoles qui endommagent les garde-corps. Les personnes travaillant dessous voient les fissures et la poussière tomber lors du passage des tracteurs. » Le pont jouxte en effet les portes marines séparant les eaux du canal de celles de l’océan. «Si les dégradations se poursuivent, je fermerai le pont. S’il s’écroule, la mer risque de rentrer dans le canal, justifie le maire. Aujourd’hui, l’état du pont est stationnaire. En attendant la prochaine tempête. »
La CC Vallées et plateau d’Ardenne (31 communes, 25 000 hab., Ardennes) n’est pas compétente en matière de voirie. Elle a pourtant mis la main à la poche. Plus ou moins contrainte et forcée. En 2016, une étude prescrit la réfection dans les cinq ans du pont de la commune des Hautes-Rivières (1 300 hab., Ardennes), qui fait partie de l’EPCI.
Budget : 314 000 € HT avec une subvention au titre de la DETR. La CC, aux «finances incertaines » selon l’expression du maire, Denis Disy, refuse de participer au financement. L’État accepte finalement d’augmenter sa part si la CC participe aussi. L’État verse donc 94 000 €, la CC 80 000 € et la commune 140 000 €. Les travaux ont ainsi pu être menés et le tonnage remonté de 3,5 à 7,5 t, «surtout pour les bus de ramassage scolaire ». Denis Disy regrette cependant que le projet ait été lancé avant le début du PNP, qui aurait aidé financièrement aux études.
La communauté urbaine (CU) Creusot Montceau (34 communes, 97 000 hab., Saône-et-Loire), elle, porte la compétence voirie et l’assume. «Tous les ouvrages d’art sont suivis par nous et des diagnostics des ponts ont été réalisés lors de l’entrée des communes dans la CU », relate Jean-Yves Vernochet, maire de Montchanin (5 200 hab., Saône-et-Loire) et vice-président à la voirie. Les ponts sont globalement en bon état. Sauf l’un d’eux, à Marmagne, «classé 3US ». C’est-à-dire à la structure porteuse nécessitant des travaux urgents car dangereuse pour la sécurité des usagers. «Il sera totalement démonté, le tablier enlevé et refait pour un coût de 230 000 € ». Travaux prévus au printemps 2023.
Des pistes de financement
D’autres ponts exigeront des travaux, suivant un calendrier établi jusqu’en 2026 à la suite d’un diagnostic réalisé par un bureau d’études privé. «Les élus, surtout ruraux, connaissent bien le problème, affirme le vice-président. Ils alertent quand ils voient des dégradations. Tous les mois, les maires ou les adjoints aux travaux recensent les besoins pour intervenir à temps. Ils apprécient que les équipes de la CU puissent agir. »
Toutes les collectivités n’ont pas la chance de pouvoir compter sur leur EPCI. Le Sénat, en juin dernier, proposait des pistes de financement des travaux :
- intégrer dans la section investissement des budgets la maintenance des ouvrages d’art, qui relèvent toujours de la section de fonctionnement ;
- envisager la prise en compte de l’amortissement des ponts dans les outils de comptabilité publique ;
- créer un fonds pérenne doté de 350 M€ et abondé de 130 M€ par an pour accompagner les collectivités dans la surveillance, l’entretien et la réparation de leurs ponts.
Or, l’État n’a pour l’instant pas suivi cette recommandation (lire ci-dessous).
Le Sénat regrette des «moyens insuffisants, dispersés et peu lisibles ». Certes, le programme national ponts, piloté par le Cerema, est une avancée. Mais les 40 millions d'euros déployés au titre du plan de relance ne peuvent «enrayer la spirale de dégradation des ponts », estime-t-elle.
Sachant qu’aucun financement n’est prévu pour accompagner les travaux de réparation et de reconstruction des ponts des collectivités. La commission évalue pourtant «les besoins de financement en matière de travaux de réparation entre 2,2 et 2,8 milliards d'euros pour le seul bloc communal ».
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David Zambon, directeur infrastructures de transports et matériaux au Cerema
« 32 000 ouvrages d’art ont été évalués »
Fin août, 32 000 ouvrages avaient été évalués sur un total de 40 000. Environ 22 % des ponts visités demandent des interventions dans les mois ou les années qui viennent. Les communes reçoivent un «carnet de santé » de leur(s) pont(s) avec des préconisations sur les actions à mener. 10 000 carnets ont été déjà remis. Maintenant, nous préparons la suite pour aider les élus à utiliser ce carnet.
Comment organiser une programmation des travaux, que faire si l’ouvrage est en mauvais état, prévoir des études complémentaires… Pour le financement, les collectivités peuvent se tourner vers les subventions de l’État, certains départements et la Banque des territoires. »
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Cet article a été publié dans l'édition :
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