Les élus en guerre contre la " mafia des déchets "
Durant plusieurs années, des déversements sauvages de déchets de chantiers ont défiguré et pollué des sites naturels de la Côte d'Azur. Notamment à Puget-sur-Argens (Var, 9 000 habitants).
Maire de Puget-sur-Argens (Var, 9 000 habitants), Paul Boudoube assiste, dès 2017, à un ballet de camions chargés de terre et de gravats : «J’ai alerté ma police municipale puis prévenu la gendarmerie et la sous-préfecture, raconte-t-il. Dans nos petites communes, les relations sont étroites, et les maires restent les premiers interlocuteurs quand les choses tournent mal. Nous avons appris que des propriétaires avaient souhaité faire venir un peu de terre végétale sur leur terrain mais qu’ils avaient été trompés : ce sont finalement des montagnes de gravats qui avaient été déversées. »
Les procès-verbaux, les plaintes et les signalements se multiplient. En poste au tribunal judiciaire de Draguignan depuis septembre 2018, Mathilde Gauvain-Puigbert, substitut du procureur, regroupe l’ensemble des procédures et des rapports établis par des policiers municipaux et des gendarmes. Une information judiciaire est ouverte, la section de recherches de la gendarmerie saisie. «Sur la vingtaine de sites concernés, la plupart étaient privés mais présentaient un intérêt public », précise-t-elle. Certains particuliers, trompés sur la nature des contenus des camions, ont été menacés de mort. Des faits graves qui n’étonnent pas Paul Boudoube : «Chacun prend des risques dans de tels dossiers car il y a forcément beaucoup d’argent au noir, les sommes en jeu peuvent être énormes. »
Un réseau de «déballes »
L’enquête met en effet à jour un véritable réseau de «déballes » : ce système d’évacuation des gravats et de déversement de déchets est facturé aux professionnels du bâtiment cinq fois moins cher qu’au tarif règlementaire.
« La Côte d’Azur voit sa population croître, tout comme la demande de logements sociaux. Or, qui dit construction, dit démolition. Les entreprises cherchent par conséquent des endroits pour se débarrasser à moindre coût des gravats », explique le maire de Puget-sur-Argens.
En juin 2020, un coup de filet est opéré par les gendarmes et les agents de l’état : six sociétés intervenant dans le secteur du bâtiment, des travaux publics, du transport ainsi que dix prévenus sont mis en examen pour abandon et gestion irrégulière de déchets en bande organisée. Des poursuites pénales sont également engagées pour escroquerie, menaces de mort, extorsion par violence, infraction à la législation du travail. Le jugement rendu le 14 décembre 2021 par le tribunal correctionnel de Draguignan condamne l’ensemble des prévenus et des sociétés. La remise en état des sites saccagés sera exécutée par l’état, mais aux frais des condamnés, dans un délai d’un an.
À Puget-sur-Argens, Paul Boudoube a pris de nouvelles dispositions : «Nous avons équipé d’appareils photographiques et de caméras les lieux de passage relativement isolés où des personnes avaient pour habitude de déverser des gravats. Des brigades environnementales multiplient les tournées. C’est le prix à payer pour conserver un territoire indemne. » Les élus sont désormais en première ligne face à ce fléau : personne n’a oublié la mort tragique, en août 2019, de Jean-Mathieu Michel, maire de Signes (Var), renversé par une camionnette chargée de déchets tandis qu’il voulait verbaliser son chauffeur.
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maire de Saint-Raphaël (83) et président
de la Communauté d’agglomération Var-Estérel-Méditerranée (Cavem)
« Organiser une surveillance active
des terrains »
Nous avons appris par la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) qu’un terrain de plusieurs hectares, situé sur la commune de Roquebrune-sur-Argens, laquelle fait partie de la Cavem [avec Puget-sur-Argens], avait été l’objet de décharges illégales. Environ 80 000 m3 de déchets du bâtiment, contenant notamment de l’amiante, avaient été déposés en l’espace de quelques semaines sur ce terrain qui, de fait, n’était plus utilisable. Dès qu’elle a eu connaissance des faits, la Cavem s’est constituée partie civile dans ce dossier. Cette décision a d’ailleurs été votée à l’unanimité par le conseil communautaire.
• À quelles difficultés avez-vous été confronté ?
Il a fallu nous justifier vis-à-vis de l’état et démontrer que nous étions effectivement victimes, car l’ancienne équipe municipale de Roquebrune-sur-Argens avait fait preuve de négligence et n’était pas intervenue comme elle aurait dû le faire dans cette affaire. Cette défaillance a compliqué nos relations avec l’état et, pour notre collectivité, ce fut la double peine.
De plus, les frais de remise en état du site risquent en partie d’incomber à la Cavem, malgré le jugement qui a été rendu. En effet, je ne me fais pas beaucoup d’illusions sur la solvabilité des condamnés.
Or, il faudra bien dépolluer ce terrain.
• Quels enseignements tirez-vous de ce dossier ?
Il faut être très vigilant et organiser une surveillance active des terrains susceptibles de devenir des décharges illégales. La réaction doit être forte et immédiate. Mais surveiller en permanence l’ensemble du territoire communal est, bien sûr, impossible. Pour parvenir à être plus efficace, il faut que l’état, par l’intermédiaire de la Dreal ou de la gendarmerie, réagisse dès que ses services sont alertés par les communes. De plus, je conseille aux communes de se constituer systématiquement partie civile dans ce type de dossiers.
La direction régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement : elle a joué un rôle essentiel dans la constatation des infractions. Sur chaque site concerné, elle a dressé un diagnostic précis, évalué les quantités de déchets déversés et l’ampleur des surfaces impactées.
Le parquet : Mathilde Gauvain-Puigbert, substitut du procureur au tribunal judiciaire de Draguignan, a lancé et orchestré la procédure.
France Nature Environnement : elle s’est portée partie civile, a assuré le relais médiatique de cette affaire afin de renforcer son aspect exemplaire. Le Var, les fédérations du bâtiment et des travaux publics du Var et des Alpes-Maritimes se sont aussi portées parties civiles pour atteinte à leur image et préjudice moral.
L’AMF et la Gendarmerie nationale ont aussi rédigé un « Mémento sur la gestion des atteintes à l’environnement » (www.amf.asso.fr, BW41093) qui «doit permettre la mise en place rapide et efficace de réponses adaptées grâce à une connaissance plus précise des prérogatives des différents acteurs impliqués et de la réglementation particulière en matière de lutte contre les atteintes à l’environnement ».
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