Plan de relance : un casse-tête pour les élus communaux
Trop d'appels à projets, un manque d'ingénierie ou des délais trop courts font craindre aux petites communes de passer à côté des aides du plan de relance. Alors que les projets ne manquent pas ! Par Philippe Pottiée-Sperry
" Il n’y a jamais eu autant d’argent à disposition des collectivités. Face à la crise, et malgré les incertitudes sur l’avenir, il faut investir et ne pas rester attentiste. » Pour Franck Leroy, le maire d’Épernay, également président d’Épernay Agglo Champagne et de l’Association des maires de la Marne, il n’y a pas une minute à perdre. Le plan de relance est là, avec ses aides, et il faut s’en saisir. Mais il reconnaît un frein pour les petites communes en manque d’ingénierie pour monter des projets. Le même constat revient dans tous les témoignages. Selon Éric Krezel, maire de Ceffonds (450 hab., Haute-Marne), « le plan de relance repose sur de bonnes intentions mais après, il y a choc du réel et de nos moyens. L’écart urbain/rural risque de s’aggraver encore avec les seules villes et agglomérations en capacité de déposer des projets ». Les appels à projet (AAP) ou à manifestation d’intérêt (AMI), lancés dans le cadre de France relance, se multiplient depuis la mi-décembre. Une démarche devenue classique mais qui reste complexe pour beaucoup d’élus. Avec le plan de relance, la complexité s’accroît encore et il n’existe pas vraiment de guichet unique. Les élus pointent un manque d’information sur les procédures à suivre et les calendriers. C’est souvent du cas par cas local. « Il faut vraiment simplifier les choses et nous permettre de porter directement les projets car nous sommes en contact direct avec les artisans et les très petites entreprises », insiste Éric Krezel. En ligne de mire aussi : les EPCI, devenus l’échelon de référence des services de l’État, par lesquels doivent passer beaucoup (trop ?) de projets. Les futurs contrats de relance et de transition écologique (CRTE), signés pour six ans à l’échelle intercommunale, confirment cette tendance. L’AMF estime ainsi que « le caractère automatique et minimum de l’échelle intercommunale retenue pour les CRTE doit être revu » (https://www.mairesdefrance.com/m/article/?id=632).
Des délais trop courts
Autre reproche : des délais beaucoup trop courts pour déposer les dossiers en préfecture. Et cela, dans un contexte d’installation tardive des nouvelles équipes municipales, à cause de la crise sanitaire, qui, de plus, ont besoin de temps pour s’emparer des dossiers. « Cela est encore plus vrai pour des sujets techniques. Les délais ne sont pas clairs, certains préfets plaident pour aller très vite alors que d’autres disent que ça sera bon jusque fin juin », remarque John Billard, maire du Favril (370 hab., Eure-et-Loir) et secrétaire général de l’Association des maires ruraux de France (AMRF). Dans les Alpes-de-Haute-Provence, qui compte 136 communes de moins de 500 habitants, Jean-Jacques Lacamp, maire de Nibles (43 hab.), craint de ne pas bénéficier du plan de relance. « Il y a pourtant un potentiel énorme de projets », lance-t-il en citant notamment celui de son syndicat intercommunal d’eau potable (rénovation du réseau pour 600 000 €). « Le problème est le plafond du subventionnement à 80 %. 120 000 € restent un montant très élevé pour nous. Il faudrait faire sauter ce verrou et le porter au moins à 90 %. La relance devrait permettre de sortir de la rigidité. Notre projet est prêt mais risque de ne pas pouvoir être lancé. » Les élus peuvent donc être tentés de baisser les bras et de passer à côté du plan de relance. « Il y a un risque de n’utiliser que 30 à 40 % des aides prévues alors que beaucoup de projets existent », s’alarme Laurent Favreau, maire de Venansault (4 600 hab., Vendée). Côté information sur les dispositifs de relance, les élus reconnaissent que les préfectures jouent souvent le jeu. « Cela a été le cas chez moi avec la direction départementale des territoires qui m’a intégré au groupe sur la transition énergétique », salue Jean-Jacques Lachamp. « Souvent, les préfectures informent les intercommunalités, censées faire le relais auprès des communes mais ce n’est pas toujours le cas », regrette, pour sa part, John Billard. « Il faut améliorer les relations communes-EPCI, insiste Franck Leroy. L’intercommunalité doit retisser des liens de confiance en trouvant des compromis et la bonne gouvernance. Elle doit rester un outil au service des communes en les informant sur les aides en matière de rénovation thermique ou de numérique. » Un rôle que joue parfois les régions. Également vice-président du Grand Est, le maire d’Épernay cite le travail fait par les maisons de la région ou le site web, mis en place par la région avec la préfecture. Le guichet unique des aides du plan de relance ainsi que des AAP et AMI, Aides-territoires (https://aides-territoires.beta.gouv.fr), mis en place par l’État, est aussi un précieux relais d’information. UN soutien à l’ingénierie insuffisant « Inquiet depuis six mois », John Billard reconnaît que sa réunion du 5 février avec le sous-préfet à la relance du Centre-Val de Loire, et les présidents départementaux des maires ruraux de la région, l’a rassuré. « Nous avons pu poser toutes les questions, avec des réponses à chaque fois, souligne-t-il. Ayant bien intégré la complexité des mesures, le sous-préfet a ouvert un guichet unique pour déposer tous nos projets “ relance”, même pas totalement aboutis, avec un soutien de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) pour les traiter et les répartir entre les services concernés. » Côté délais, s’il s’agit de projets structurants, ils pourront être montés tout au long de 2021 en s’inscrivant dans les dispositifs existants. Satisfait, le maire du Favril doute juste un peu de l’aide de l’ANCT sur l’ingénierie qui va se limiter au recrutement, en avril, d’un «volontaire territorial en administration (VTA) pour un an » (lire ci-dessous). « L’ANCT n’a pas assez de moyens, regrette John Billard. Dans les préfectures, les personnes fléchées ANCT continuent d’exercer leurs missions et n’ont donc pas le temps. » Pour sa part, Jean-Jacques Lachamp a la nostalgie de la défunte Atesat (assistance technique pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire), supprimée par l’État, « qui nous aidait bien pour un coût minime ». Face au manque d’ingénierie, la solution peut aussi passer par les collectivités elles-mêmes. C’est le cas notamment des syndicats départementaux d’énergie comme en Vendée (lire le témoignage ci-contre). Un atout pouvant être gagnant sachant que beaucoup d’aides du plan de relance sont fléchées sur la transition écologique et énergétique.
Laurent FavReau, maire de Venansault (Vendée)
Et président du Sydev
« Plan de relance : guide à destination des maires », publié par l’État. Il liste les mesures et les financements disponibles, et précise les modalités pratiques (calendrier, contractualisation). www.amf.asso.fr, réf. BW40486.
Cet article a été publié dans l'édition :
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