Les stations de ski préparent la transition
En paralysant les remontées mécaniques, la pandémie a douloureusement mis en exergue la dépendance de certains territoires à la seule pratique du ski alpin. Une manne remise en cause aussi par le réchauffement climatique, surtout pour les communes de moyenne montagne. Après la ruée vers l'or blanc, l'heure est à la diversification économique et touristique. Par Thierry Butzbach
Pour la majorité des stations dont les remontées mécaniques sont gérées en régie communale ou par l’intermédiaire d’un syndicat mixte, l’enjeu est, en effet, de taille. Selon une note publiée fin 2020 par le Groupe de suivi des conséquences économiques du confinement, les 250 stations de ski françaises accueillent 10 millions de touristes chaque hiver, dont 26 % d’étrangers. Le poids économique total du tourisme de montagne en hiver est estimé à 10 milliards d'euros, soit 15 % du chiffre d’affaires touristique national. Chaque euro dépensé en forfait de remontées mécaniques s’accompagne de 6 € de dépenses supplémentaires en station ou dans les vallées. Cette manne explique en partie pourquoi tant de communes ont investi des fortunes dans les remontées mécaniques (un télésiège de base coûte au moins 4 millions d'euros), alors que l’activité est structurellement déficitaire. Les recettes de la taxe sur les remontées mécaniques (TRM, de l’ordre de 3 à 5 % du chiffre d’affaires) servent, quant à elles, plus souvent à financer indirectement l’activité de la station (parking, navette, salles hors-sacs, etc.) qu’à participer à l’aménagement du territoire, comme le prévoyait la loi Montagne de 1984. De fait, les stations sont particulièrement dépendantes du tourisme d’hiver, l’emploi touristique (120 000 emplois directs plus 360 000 emplois indirects) représentant plus du tiers de l’emploi total des territoires.
Le poids économique total du tourisme
de montagne en hiver (soit 15 % du chiffre d’affaires touristique national).
En dépit des mesures exceptionnelles de soutien de l’État (fonds de solidarité, prêts garantis, chômage partiel, etc.), évaluées à 400 millions d'euros, l’inquiétude des élus prévaut tant la crise sanitaire révèle la grande fragilité du modèle économique des stations de ski : leur dépendance au «tout ski », s’est illustrée par la livraison en hélicoptère de tonnes de neige à la station pyrénéenne de Luchon-Superbagnères (31), en février 2020. Une dépendance d’autant plus problématique que les domaines skiables de moyenne montagne seront très probablement inexploitables d’ici vingt ans faute d’enneigement suffisant. En 2018, la Cour des comptes alertait sur la «vulnérabilité croissante » des stations des Alpes du Nord de basse altitude et appelait à un «nouveau modèle de développement » fondé sur un tourisme de proximité. Le danger est réel : selon Jean-Michel Armand, sénateur des Hautes-Alpes, la population du département a décru, l’an passé, pour la première fois en 35 ans. Et ceux qui restent désertent de plus en plus vallées et villages de montagne pour se concentrer dans les agglomérations – surtout à Gap.
Réinventer un modèle de développement
Face au réchauffement climatique, beaucoup de stations ont investi dans des équipements de production de neige artificielle. Aujourd’hui encore, la petite station de La Féclaz, près de Chambéry (73), prévoit de créer un lac artificiel de 25 000 m3 pour alimenter 30 canons à neige (3,5 millions d'euros d’investissement) pour «organiser la période de transition » et «faire le lien avec le futur » selon les paroles de Sandra Ferrari, maire de la commune des Déserts, sur laquelle le domaine est situé. Le recours à la neige de culture n’est cependant pas considéré comme une solution optimale pour les stations de moyenne montagne puisqu’il faut non seulement beaucoup d’eau pour la produire, mais aussi et surtout des températures assez froides pour que la neige de culture tienne.
Dans ce contexte, certains territoires préparent depuis plusieurs années la transition. « Les élus concernés reconnaissent le besoin de réinventer un modèle déstabilisé en proposant de nouvelles activités aux touristes. Mais pour l’heure, on est plus dans la prospective que dans l’opérationnel », estime Jeanine Dubié, députée des Hautes-Pyrénées et nouvelle présidente de l’Association nationale des élus de la montagne (ANEM). En 2018, l’Isère a fait établir un diagnostic précis sur les perspectives d’enneigement de ses massifs et analysé leur impact sur les 23 stations du territoire pour imaginer le tourisme de demain, orienté vers les dimensions de bien-être et de santé – sports nature (randonnées, vélo, etc.), manger local, traitement de maladies chroniques, etc. Une démarche synonyme d’aide à la décision pour les investissements futurs, portée par la nouvelle marque « Alpes Ishere » pour les trois années à venir.
Si toutes les stations réfléchissent à leur stratégie de transition, d’autres ont déjà achevé leur mue. C’est le cas de Puigmal, première station de ski… sans ski alpin, dont la métamorphose a été inaugurée fin décembre. Implantée sur la commune de Err (66), à environ 1 800 mètres d’altitude, cette petite station, sans hébergement touristique ni service, souffrait d’un manque chronique de neige qui avait creusé un déficit de 9 millions d'euros et conduit le syndicat intercommunal (6 communes) à arrêter définitivement en 2013 ses 9 remontées mécaniques. Après avoir cherché en vain un repreneur, la communauté de communes Pyrénées-Cerdagne (19 communes) s’est faite accompagner par le service Outdoor Experience de Rossignol. Ce partenaire privé a décliné un concept qui fait la part belle au trail, au VTT, au ski de randonnée et à la marche nordique. Le pari est simple : ne plus uniquement compter sur la neige et le ski alpin, mais faire de Puigmal le premier véritable site d’accueil «4-saisons » des Pyrénées pour les activités en pleine nature. «Cette diversification nous a coûté 140 000 €, dont 70 % financés par la région et le département. L’investissement a essentiellement porté sur le balisage des parcours. Pour limiter l’impact environnemental, nous avons travaillé sur l’aménagement et la transformation des sentiers et pistes existantes », explique Georges Armengol, président de l’EPCI. Si la réouverture du site sous un autre visage montre qu’il n’y a pas de fatalité, il reste néanmoins à trancher l’épineuse question des installations des remontées mécaniques dont les communes concernées continuent de rembourser les dettes…
L’activité liée au tourisme d’hiver qui génère aussi 360 000 emplois indirects.
Dans le Doubs, le site du Mont d’Or où sont situées trois stations (Métabief, Trois Tremplins, Chaux-Neuve) travaille depuis un peu plus de deux ans à diversifier ses activités touristiques. L’ancien directeur de la station de Métabief, Olivier Erad, a laissé sa place à son adjoint pour prendre la direction du syndicat mixte du Mont d’Or (SMMO) avec une mission d’ingénierie destinée à favoriser l’émergence de nouveaux produits touristiques sur l’ensemble du territoire, afin de compenser les pertes du ski de descente. «On se donne dix ans. En 2030, il faudra que l’on soit en capacité de vivre sans le ski », prévient-il. C’est un « deuil culturel », mais on doit se résoudre à ne plus ouvrir de nouvelles remontées mécaniques. » Plutôt qu’une modernisation complète de l’équipement qui lui aurait coûté 15 millions d'euros, le syndicat a choisi de maintenir à niveau ses installations vieillissantes (21 remontées mécaniques) pour seulement 4 millions d'euros (entretien compris) afin de «sécuriser » l’activité ski pour la prochaine décennie. Parallèlement, une enveloppe de 10 millions d'euros sera consacrée au développement de nouvelles activités touristiques. L’équation est simple : «L’économie touristique du territoire pèse 70 millions d'euros. Le ski alpin représente 30 % de l’activité, le ski nordique 20 %. Les 50 % restant sont réalisés l’été, mais avec des professionnels qui travaillent aussi grâce à la saison hivernale. Il nous faut donc faire émerger une économie de nouvelles activités à hauteur de plus de 30 millions d'euros », calcule Olivier Erad. Les leviers portent, bien sûr, sur le développement des activités de plein air (VTT de descente, luge sur rail, etc.) mais aussi sur l’enrichissement du «parcours client » dans sa globalité, en particulier au niveau de l’hébergement et de la mobilité. Selon Olivier Erad, chaque professionnel reste sur son domaine de prédilection alors qu’il faudrait rendre les offres plus visibles avec des formules «tout compris ». Le maire de Frasne (25) s’est ainsi battu pour que la promotion du territoire soit confiée à un office du tourisme géré à l’échelle du Pays pour mettre fin à la guerre des clochers. «Le tourisme, ça se travaille », martèle Philippe Alpy, président du SMMO, persuadé que la montagne peut devenir autre chose qu’une «usine à loisirs ».
Au Ballon d’Alsace, non loin de Belfort (90), c’est un syndicat mixte interdépartemental qui pilote le changement. «Seul le département possède la taille critique pour mener à bien la transition. Même si nous avons investi dans 45 enneigeurs voici cinq ans, l’objectif est maintenant de bâtir un modèle économique basé sur neuf mois d’activités autres que le ski ; et si, en plus, on peut skier, ce sera la cerise sur le gâteau », souligne Florian Bouquet, président du conseil départemental du Territoire-de-Belfort. Le site mise ainsi sur le ski de fond, moins gourmand en neige, et surtout le vélo depuis que sa route d’accès a été labellisée «Route historique ». Par ailleurs, près de 2 millions d'euros ont été mobilisés pour raser les anciens bâtiments d’accueil collectif et construire à la place des structures d’hébergement, mieux intégrées à l’environnement. Le syndicat a aussi repris le restaurant de la station pour le mettre en location-gérance.
Pierre-Alexandre Métral, doctorant
n géographie à l’Université Grenoble-Alpes
" la reconversion suppose
de se réinventer "
Dès la fin des années 1980, l’enneigement limité a révélé la fragilité du modèle unique basé exclusivement sur le ski alpin. Les stations les plus vulnérables doivent réfléchir à une stratégie de reconversion selon 3 trajectoires : la reconversion en base de loisirs multi-activités de 4 saisons ; la «migration d’agrément » en transformant la station en village de montagne au foncier attractif pour périurbains ; le maintien d’une activité partielle d’initiation au ski alpin (avec un financement alternatif et une gestion associative), en complément du développement d’autres activités. Avec, à chaque fois, l’obligation de se réinventer en intégrant les spécificités locales. »
Développer une offre «sur-mesure »
Prises entre deux feux, les stations doivent offrir des activités complémentaires pour accroître la saison estivale tout en continuant à investir dans les remontées mécaniques et la neige artificielle. Car le ski de descente reste encore la seule locomotive économique capable de générer assez de recettes pour financer de nouvelles activités de substitution. «Pendant le confinement, on a développé le snowtubing, les raquettes, une tyrolienne, etc., mais c’est loin de compenser le ski alpin », admet Dominique Fourcade, le maire d’Ax-les-Thermes (09), une des rares stations de moyennes montagne ouverte toute l’année grâce aux cures thermales. Pour autant, Nicolas Rubin, maire de Châtel et président de l’Association des maires de Haute-Savoie, en est convaincu : «La montagne est un puits de loisirs sans fond. Elle ne communique pas encore assez, mais c’est une destination qui va séduire de plus en plus. Il faut l’animer, entre pastoralisme, tradition, animation, sport… Il y en a pour tous les goûts. La diversification de l’offre est donc naturelle. Les EPCI, qui ont pris la compétence tourisme, sont en train de se positionner. Cette situation est nouvelle, il faut construire et organiser les plans d’actions. L’histoire du tourisme est faite de reconversions. »
Dès que l’on enlève le ski, le dynamisme découle davantage d’un territoire que d’une seule station. La transition est donc un sujet politique qu’il faut aborder de façon pragmatique en tenant compte du climat, de l’état d’endettement de la commune, de son équipement existant (accessibilité, nombre de lits, etc.) et de ses atouts propres (patrimoine culturel, label touristique, appellation agricole, etc.). «Il y a clairement un cercle vertueux à construire autour des activités de montagne, fait valoir Lionel Gay, maire de Besse, où est installé la station Super Besse et conseiller départemental du Puy-de-Dôme. L’hiver 2019/2020, la station a réalisé 50 % de son chiffre d’affaires alors qu’il n’y avait pas de neige ! Nos efforts de diversification portent leurs fruits : aujourd’hui, plus de 20 % de l’activité est réalisé l’été, grâce à la rénovation du parc d’aquaculture, l’installation d’une tyrolienne et le développement des activités sportives de nature. C’est un bon palier. »
(1) https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/programme-montagne-112
Cet article a été publié dans l'édition :
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