Accessibilité numérique : comment la rendre effective
La dématérialisation reste théorique pour beaucoup de Français faute d'une accessibilité suffisante des sites et des services. Par Olivier Devillers
De quoi parle-t-on ?
Trop souvent, l’accessibilité numérique est réduite à l’adaptation des sites internet aux personnes souffrant de déficiences visuelles ou auditives pour leur permettre de consulter des contenus et d’utiliser des services numériques de manière autonome à l’aide de traducteurs braille ou de logiciels de synthèse vocale. Si cette dimension reste primordiale, elle est réductrice. L’accessibilité numérique ne doit pas cibler une catégorie d’usager mais bénéficier à tous avec un contenu plus clair, mieux organisé, lisible par les usagers comme par les machines ou les moteurs de recherche. L’accessibilité s’entend aussi comme la possibilité de consulter un contenu numérique quelle que soit la qualité de sa connexion internet, sur un téléphone mobile comme sur n’importe quel autre terminal connecté. Enfin, les dispositifs accessibles, plus sobres et moins chargés en images inutiles, contribuent aussi à la sobriété énergétique comme le souligne un rapport du Conseil national du numérique (CNNum).
C’est la part de la population souffrant
d’un handicap au sens de la loi de 2005 qui en définit cinq : physique, sensoriel, mental, cognitif, psychique ou multifactoriels. (Source : Enquête HID de l’INSEE de 2001).
Les grands principes
Le règlement général d’amélioration de l’accessibilité (RGAA), mis à jour en septembre 2019, définit l’ensemble des règles techniques à respecter. Il s’articule autour de quatre grands principes :
• un contenu web doit être perceptible. Cela suppose notamment de proposer un équivalent textuel à tout contenu non textuel : image, vidéo, tableau, etc. Cela peut impliquer de concevoir un contenu alternatif à un média difficilement sous-titrable comme une illustration dynamique ou un graphique ;
• l’utilisabilité implique que toutes les fonctions soient exécutables avec le clavier (navigation, grossissement, etc.) ou encore que l’orientation de l’utilisateur soit facilitée par un menu, un cheminement, etc. ;
• un contenu doit être compréhensible, autrement dit clair, ordonné et lisible. Cela suppose aussi d’expliquer la nature ou le format de la réponse attendue dans un formulaire ou encore de proposer un contrôle de saisie automatique ;
• un contenu doit être « robuste » pour résister à l’obsolescence technologique et s’adapter aux besoins des futurs utilisateurs.
Aller au delà du site
L’accessibilité concerne l’ensemble des interfaces numériques utilisées par la collectivité, en interne comme en externe. Les obligations impactent donc les sites internet mais aussi les applications mobiles, les applications métier, le mobilier urbain ou encore les télévisions locales et les cours en ligne (Mooc). On notera que la partie éditoriale d’un site (contenus rédactionnels ou multimédias), pilotée par un gestionnaire de contenu ou CMS, n’est souvent que la partie émergée du dispositif de communication. De plus en plus de services sont issus d’applications métier avant d’être intégrés au site de la collectivité via une «web app » ou un «plug-in ». Toutes ces briques sont concernées par des obligations d’accessibilité que la collectivité rappellera aux prestataires en les intégrant au cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du marché public. Parmi ces briques, une attention particulière sera portée aux formulaires, au paiement en ligne et autres services quotidiens. À défaut de leur pleine accessibilité, la collectivité a l’obligation de proposer une alternative accessible (guichet, papier, etc.).
Choisir le bon moment
Le meilleur moment pour gérer l’accessibilité numérique est celui de la conception ou de la réfection du site internet ou d’une application. Construire un dispositif nativement accessible ne génère en effet pas de surcoût. Car pour beaucoup, l’accessibilité repose sur une bonne structuration des contenus, un codage HTML adapté, une charte de couleurs respectant les exigences des malvoyants (contrastes, couleurs, etc.), des descriptions d’images ou de liens rendus obligatoires… Une partie de ces contraintes peut être directement intégrée aux modèles de pages du gestionnaire de contenus. Une possibilité consiste à proposer des pages spécifiques pour les personnes handicapées. En dehors de la prise en compte de certains handicaps, comme l’ajout d’explications en langue des signes pour les personnes sourdes, cette option est plutôt à éviter : le risque est de développer un mini site moins bien mis à jour.
Un processus continu
Une fois la mise en accessibilité réalisée, les administrations doivent afficher le niveau d’accessibilité sur leur site internet. Les collectivités peuvent également faire labelliser leur site (labels e-Accessible ou Accessiweb). L’accessibilité doit ensuite être appréhendée comme une exigence permanente, transverse à la collectivité. Cette exigence passe d’abord par la sensibilisation des agents. Le CNFPT mais aussi des structures comme Braillenet ou Access42 proposent des formations spécialisées. La formation concerne d’abord le webmaster et les éventuels développeurs auxquels on demande de connaître en détail les obligations du RGAA et d’être capables d’évaluer l’accessibilité d’une application tierce. Mais une sensibilisation de l’ensemble des contributeurs au site internet et de tous ceux qui, d’une manière plus générale, « produisent » des services numériques (relation citoyen, guichet, CCAS, etc.) doit aussi être envisagée.
Maintenir un service numérique accessible exige enfin de procéder régulièrement à des évaluations. Si des consultants spécialisés proposent des audits, il est aussi possible de recourir aux outils en ligne listés dans le RGAA.
Jérémie Boroy, membre du Conseil
national du numérique (CNNum)
« L’accessibilité doit bénéficier
de la même attention que le RGPD »
« L’accessibilité numérique, entre nécessité et opportunité » du CNNum. L’accessibilité doit bénéficier de la même attention que le RGPD avec la création de Mooc et la structuration d’une véritable filière de l’accessibilité. Nous préconisons aussi de rationaliser son pilotage national en créant une délégation ministérielle de l’accessibilité numérique et en désignant un référent dans chaque administration. Nous estimons que la notion de «charge disproportionnée » permet de contourner la loi et préconisons qu’elle soit conditionnée par une étude d’impact. Depuis le rapport du CNNum, certaines avancées sont en cours (plateforme VoxUsagers, formation, mise en accessibilité des formulaires) mais il reste encore beaucoup à faire. »
Le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) a pour mission de favoriser leur activité professionnelle. Il propose des aides financières à l’accessibilité numérique. Ces aides vont de 1 600 à 4 000 € pour réaliser un audit d’accessibilité que la collectivité peut solliciter, de 4 000 à 6 000 € pour améliorer le site de la collectivité et/ou les applicatifs métiers « internet », internes et externes. www.fiphfp.fr
• Décret n° 2019-768 du 24 juillet 2019 définissant les exigences d’accessibilité, précisant les sanctions et l’exception d’accessibilité.
• Arrêté du 20 septembre 2019 portant référentiel général d’amélioration de l’accessibilité (version 4 du RGAA).
• Guide pratique " Contribuer sur le web de manère accessible " : http://disic.github.io/guide-contribuer_accessible/
• Formations et guides : www.braillenet.org
• Rapport du Conseil national du numérique sur l’accessibilité numérique, février 2020 : https://cnnumerique.fr
• Rapport n° 711 du Sénat sur l’illectronisme, septembre 2020 : www.senat.fr
Cet article a été publié dans l'édition :
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