Comment les réseaux sociaux transforment la relation maire-citoyen
Facebook et Twitter excluent la « communication gadget » au profit d'une interaction sans filtre entre élus et administrés qui, parfois, a ses limites.
Former les agents
Un exemple à suivre, selon Noémie Buffault. Répondre aux questions, remarques, interpellations – quel que soit le ton employé par l’administré – est le premier conseil que cette ancienne « community manager » de Paris, de Nantes (44) et de bailleurs sociaux donne à ceux qui animent des comptes de collectivités sur les réseaux sociaux (1). « Lorsque la ville est saisie publiquement, c’est que les canaux traditionnels n’ont pas fonctionné. Les réseaux sociaux permettent une prolongation du service public », estime celle qui est aujourd’hui conseillère en stratégies numériques. «La mairie de La Lande-Chasles est ouverte deux jours par semaine. En réalité, avec les réseaux sociaux, elle ne ferme jamais », confirme son maire.
Une des questions qui se pose surtout est « comment répondre aux interpellations ? » Si les plus grandes collectivités s’offrent les services de community managers ou de « social media managers » aguerris, les plus petites peuvent plus difficilement – souvent par manque de moyens – adopter une stratégie orientée réseaux sociaux. Ainsi, selon l’Observatoire socialmedia des territoires (2), seules 9 % des communes de moins de 10 000 habitants étaient présentes sur les réseaux sociaux en 2018 (contre 70 % des communes de 10 000 à 20 000 habitants).
Afin d’optimiser les coûts et d’être à la fois efficace, la formation des agents – déjà en poste – pourrait être une piste. «Ils sont imprégnés de l’action de la municipalité. Ce sont des connaissances précieuses, assure Noémie Buffault. Pourquoi ne pas envisager une montée en compétence d’agents qui répondent au standard téléphonique par exemple ? Et les faire répondre aussi aux administrés sur Twitter… »
Problème potentiel : les circuits de validation, parfois lourds dans les collectivités, peuvent être un obstacle à l’interactivité que supposent les réseaux sociaux. À cet état de fait, Noémie Buffault répond que « l’on peut essayer d’atténuer cette culture de la prudence ». En « apportant un premier niveau de réponse dans les 8 heures, puis en saisissant le service concerné – par exemple,
les services techniques s’il s’agit d’éteindre un réverbère allumé en plein jour – et en lui transmettant le message de remerciement lorsque le problème est réglé. On sensibilise ainsi les autres agents ».
« Les réseaux sociaux sont le lieu de la relation horizontale, explique Noémie Buffault. Jouer le jeu de la conversation d’égal à égal avec les citoyens me paraît essentiel. » « Et leur parler en se mettant à leur niveau, et pas seulement en faisant de la communication gadget », complète Franck Confino, fondateur de l’Observatoire socialmedia des territoires.
D’autant plus au moment où le niveau d’exigence des citoyens envers l’administration est élevé. «Parfois, je reçois un message sur Messenger (NDLR : messagerie instantanée de Facebook) à 23h30. Le lendemain, à 8 heures, la même personne m’envoie un nouveau message avec deux points d’interrogation car je n’ai pas encore répondu », témoigne Nicolas Soret, président de la communauté de communes du Jovinien (89) et premier adjoint au maire de Joigny. « Le temps de réponse, c’est 1 heure à 1h30 de boulot supplémentaire chaque soir », constate-t-il.
« Avec les citoyens, il faut faire preuve de pédagogie et de transparence », abonde dans son sens Reynald Tuillet, responsable de la communication à la mairie d’Arraches-la-Frasse (74). «Si on cherche à cacher des informations, cela sortira. Si les travaux ne sont pas finis en temps et en heure, il faut expliquer ce retard. Cela permet de mettre fin aux «on dit » et d’avoir un temps d’avance par rapport aux futures plaintes ou aux « fake news » – fausses informations – qui pourraient être relayées. »
Sur les réseaux sociaux, les attaques, les insultes sont effectivement légion. Selon l’association Respect Zone (3), les commentaires violents augmentent en flèche (+ 66,6 % entre 2017 et 2018). Ils représentent 9,5 % des messages. Le 14 janvier, David Valence, maire de Saint-Dié-des-Vosges (88), en a fait la douloureuse expérience.
E-démocratie
Insulté sur Facebook en raison de son homosexualité, il a porté plainte pour « injures homophobes ». « Rien ne justifie qu’on injurie un élu en raison de sa vie privée », s’est-il indigné. Plus tard, le 26 janvier, une tribune, intitulée « Engageons-nous contre la haine en ligne » et signée par 245 parlementaires, a été publiée dans Le Monde.
Nicolas Dumont, lui, « rêve d’anonymat ». Le maire d’Abbeville (80) a été victime en 2013 d’un photomontage lorsqu’il a autorisé dans sa commune la démolition de l’église qui menaçait de s’effondrer. « Une photo de moi me montrant aux commandes d’un bulldozer en train de détruire l’église, avec une mosquée à côté a beaucoup circulé. La modération était impossible », déplore-t-il.
Afin de s’épargner les «mauvais côtés » des réseaux sociaux, Julien Didry, maire de Bras-sur-Meuse (55), a créé «Entre Brasiliens » (4), une conversation privée sur Messenger réservée aux 740 habitants de la commune. «C’est notre salle de réunion – virtuelle – à nous », résume-t-il. Ils ne sont que trois à en posséder la clef : la secrétaire de mairie, l’élue à la communication et lui. «Les gens sont identifiés, ce qui évite les insultes. À la base, on a vu cette communauté comme un groupe d’entraide entre habitants », explique le maire. Très vite, Julien Didry a souhaité faire de cette conversation un outil de démocratie participative. Consultés sur un projet d’installation de zones 30 km/h, les habitants ont ainsi indiqué au maire qu’il faisait fausse route. « Je n’ai pas envie d’avoir raison tout seul. » Nicolas Soret fait le même constat : avec les réseaux sociaux, la relation mairie-citoyen s’est transformée. « Il y a vingt ans, lorsqu’un administré voulait se plaindre, il écrivait un courrier, payait une enveloppe, un timbre. Aujourd’hui, au fin fond de son canapé, il dégaine… » Invité au Congrès des élus au numérique, organisé fin janvier à Puteaux (92), Alain Anziani, maire de Mérignac (33), résumait la situation actuelle ainsi : « La place publique, c’est désormais la place du marché et les réseaux sociaux. Il faut répondre aux interpellations émanant des deux. »
(1) Elle a créé les comptes Twitter «Paris, j’écoute »
(2) https://myobservatoire.com/
(3) www.respectzone.org/
(4) www.facebook.com/groups/brasiliens/
Trois questions à… Philippe Bluteau,
avocat en droit des collectivités et droit administratif général
On observe deux accélérations simultanées : les procès pour diffamation et injures publiques à l’initiative des élus ; et, depuis 2012, une explosion des réseaux sociaux. Les phrases que l’on pouvait prononcer accoudé au zinc laissent des traces une fois retranscrites sur les réseaux sociaux. Longtemps, les élus ont laissé faire mais les citoyens de leur commune ont désormais accès à tout ça. Il faut responsabiliser l’internaute lambda et les élus d’opposition. Les réseaux sociaux ne sont pas un exutoire.
Comment réagissent les élus lorsqu’ils sont attaqués ?
Lorsqu’un élu m’envoie une capture d’écran, neuf fois sur dix, je lui conseille de ne pas aller en justice. La jurisprudence leur est défavorable. Depuis 1986, la Cour européenne des droits de l’homme part du principe que la limite de la critique admissible est plus large pour un élu que pour un particulier. Parfois, il s’agit pourtant bien de propos diffamatoires mais le juge refuse de condamner un élu d’opposition qui serait, par principe, de bonne foi. Exemple : si la chambre régionale des comptes épingle une commune, évoque des irrégularités dans une procédure, un élu d’opposition peut parler de pratiques douteuses, de favoritisme, en somme extrapoler du moment qu’il y a une base factuelle suffisante.
Qu’en est-il lorsqu’il s’agit d’attaques d’un tiers ?
Il faut réussir à identifier la personne qui utilise un pseudonyme et cela aboutit souvent à un non-lieu. Deux fois par semaine, j’ai des cas de maires qui veulent intenter des actions. J’en lance à peu près dix par an quand il y a matière et que l’on peut gagner. Par exemple quand l’imputation diffamatoire concerne la vie privée de l’élu (adultère, accusation par un tiers de conduite automobile en état d’ivresse…) ou lorsqu’elle est dépourvue de toute base factuelle (accusation de corruption inventée de toute pièce).
Un plan contre les propos haineux
Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État au Numérique, et Marlène Schiappa, secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes, ont présenté, le 14 février, leur plan d’action pour lutter contre les contenus haineux et le cyberharcèlement. Un projet de loi sera présenté «au deuxième trimestre 2019 » en Conseil des ministres et « comportera une obligation de retrait de ces contenus pour les plateformes qui ont une responsabilité particulière comme Facebook, Twitter, YouTube et Webedia ». En parallèle, Laetitia Avia, députée La République en marche de Paris, déposera au printemps une proposition de loi pour combattre les propos haineux en ligne.
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Cet article a été publié dans l'édition :
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