Finances locales : la lassitude des élus face aux conséquences des ponctions en 2025
De nombreux maires ont fait savoir, lors du débat sur les finances locales du 21 novembre, qu'ils « ne supportent pas que l'on change les règles du jeu » et que l'on mette ainsi en péril les projets en cours.
Et, en premier lieu, les trois mécanismes inscrits dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 par l’exécutif visant à ponctionner de 5 milliards d’euros les recettes des collectivités : le gel de la dynamique de la TVA, l’amputation du FCTVA et la création d’un fonds de précaution. Un effort jugé «pas envisageable » par le président du Sénat qui veut le ramener à deux milliards d’euros et dont les 8 associations du bloc local (AMF, APVF, France urbaine, AMRF, Intercommunalités de France, Villes de France, Ville & banlieues et Unccas) ont demandé la suppression pure et simple dans une motion commune présenté le 20 novembre.
Des menaces lourdes sur l'investissement
Si Michel Barnier a annoncé, quelques heures plus tard, dans son discours de clôture, de manière encore évasive, que deux derniers dispositifs (amputation du FCTVA et création d’un fonds de précaution) seraient «modifiés en lien avec le Sénat » (lire dans ce numéro, pp. synthèse), les élus locaux intervenant lors du débat ont largement ciblé les autres mesures défavorables aux collectivités dans ce projet de budget, telles que la baisse de 1,5 milliard d’euros du Fonds vert, la hausse de la cotisation à la Caisse de retraites des agents (CNRACL) pour 1,3 milliard d’euros ou encore la non-indexation de la dotation globale de fonctionnement (DGF) sur l’inflation.
Des mesures qui font peser des «menaces lourdes » sur les collectivités, ont à nouveau expliqué les deux co-présidents de la commission Finances de l’AMF, Antoine Homé, maire de Wittenheim (15 260 habitants, 68), et Emmanuel Sallaberry, maire de Talence (45 225 habitants, 33). Car après «une première alerte en 2023 », l’épargne brute des collectivités a déjà «chuté de 20 % en 2024 » et «cette dégradation va s’accentuer en 2025 avec ces prélèvements », a déploré ce dernier en insistant sur le fait que «toutes les collectivités vont être impactées, pas seulement les 450 » qui seront ponctionnées de 3 milliards d'euros au titre du fonds de précaution.
« Est-ce que ça va au moins améliorer la situation financière du pays ? Pas du tout », a ironisé, Antoine Homé. «C’est une erreur stratégique » aux yeux d’Emmanuel Sallaberry qui s’inquiète du «risque d’effondrement de l'investissement ».
« Comment j’agis aujourd’hui ? Je subis ! »
Des perspectives qui ont de quoi fortement «angoisser » et mettre «en colère » ce maire d’une petite commune rurale de 220 habitants venu apporter son témoignage et qui «ne supporte pas qu'on change les règles du jeu à partir du moment où l’on a mis en œuvre des projets ». Depuis 2018, il a mis «toute son énergie » et sa «sueur » dans la rénovation de l’église de son village «dans les conditions financières des dernières années ». Un projet qui était «bien engagé », mais «voilà qu’on m’annonce qu’on va me réduire le FCTVA » alors qu’il comptait sur le retour de 170 000 euros de TVA pour ces travaux d'un million d'euros financés notamment par «la mission Bern » sur le patrimoine. «Mais où va-t-on ? Comment je fais, comment j’agis aujourd’hui ? Je subis ! », s’est-il insurgé.
Même analyse de la part de la maire de Savonnières (3 300 habitants, 37), Nathalie Savaton, qui s’inquiète de «la rupture de confiance, depuis dix ans, entre l’Etat et la collectivité, et de fait entre les collectivités et (leurs) habitants ». «Les règles du jeu changent brutalement (...). Cela nous impacte systématiquement (...) et nous empêche d’aller jusqu’au bout de nos projets », a-t-elle dénoncé.
Sacrifier une école, un pont ou la santé ?
Avec l’importante diminution annoncée du Fonds vert, la maire de Noyal-sur-Vilaine (6 100 habitants, 35), Marielle Muret Baudoin, a dit se retrouver «au milieu du gué ». Si les études prévues pour la végétalisation des cours de ses écoles ont bien été prises en charge par ce dispositif, dorénavant «on ne sait pas si les travaux, qui est la partie la plus importante, le seront ». «On est un petit peu dans l’attente», dit-elle en cherchant déjà de nouvelles solutions pour faire aboutir ce projet. D’autant qu’elle a découvert que la hausse de cotisation à la CNRACL lui coûtera «entre 800 et 1 000 euros par ETP » (équivalent temps plein), soit «un total d’environ 70 000 euros ».
« Si nous n’avons pas ce levier de l'investissement, on ne pourra pas aménager nos territoires », s’inquiète Muriel Abadie, maire de Pujaudran (1 660 habitants, 32) alors que sa commune devrait «perdre 20 000 euros » en 2025 à cause des futures mesures budgétaires, ce qui représente «deux ans d’accompagnement des associations qui la font vivre ».
« Nous nous retrouvons donc à arbitrer des choix complètement aberrants : Est-ce que nous allons investir pour l'école ou pour le pont ? Et est-ce que nous allons arrêter d’investir pour soutenir la santé et l’arrivée de médecins ? », a témoigné le maire de Saint-Martin-le-Vinoux (5 825 habitants, 38), Sylvain Laval, également co-président de la commission Transports de l’AMF.
Suppression de 1,9 milliard d'euros de TVA en 2024
A cela s’ajoute une autre mauvaise nouvelle relevée par le 1er vice-président délégué de l’AMF et maire d’Issoudun (11 000 habitants, 36), André Laignel : «La semaine dernière, on m’a averti que l’on me supprimait, pour 2024, 175 000 euros de TVA censée compenser la suppression de la CVAE. Au total, cela représente 1,9 milliard d’euros, dont plus de 500 millions d’euros pour le seul bloc communal ». Et «ça ne va pas s’arrêter là car, bien entendu, pour l’an prochain nous allons repartir sur des bases nouvelles qui seront diminuées de 1,9 milliard d’euros », a fustigé le président du Comité des finances locales (CFL).
Le président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, Bernard Delcros, a assuré que les sénateurs allaient «essayer d’améliorer la copie du gouvernement ». Il est ainsi prévu que la «chambre des territoires » retire complètement la mesure visant le FCTVA et ramène le fonds de précaution - s’il n’est pas possible de le supprimer totalement - à «un milliard d’euros », au lieu de 3 milliards, a précisé le sénateur du Cantal.
Afin d’éviter des «pertes sèches » aux petites communes, Bernard Delcros a annoncé qu’il déposerait un amendement pour améliorer la compensation de l'extension de l'exonération du foncier non bâti inscrite dans le PLF pour 2025. Pour les petites communes rurales, c’est une ressource importante qui représente parfois «50 % de recette fiscale », a-t-il expliqué
L’AMF, pour sa part, demande toujours l'indexation de la DGF sur l'inflation et "le retrait" de toutes les mesures du projet de budget qui impactent les collectivités.
Revoir la vidéo " Financer toujours plus de politiques publiques avec moins de moyens "
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