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Maires de France

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30/04/2024 AVRIL 2024 - n°422
Aménagement, urbanisme, logement Sécurité - sécurité civile

Rodolphe Amailland, maire de Vertou (44), agressé lors de l'installation illégale de gens du voyage

Rodolphe Amailland, maire de Vertou (26 502 habitants, Loire-Atlantique), a tenté, le 11 juin 2023, d'empêcher 200 caravanes de s'installer, avant d'être jeté dans un fossé.

Par Thierry Butzbach
Le dimanche 11 juin 2023,    
le maire de Vertou (44) est prévenu que 200 caravanes s'installent sur un terrain de la commune. Il s'y rend seul pour discuter avec les gens du voyage mais il est pris à partie lorsqu'il leur demande de quitter le site.
© Radio France
Le dimanche 11 juin 2023, le maire de Vertou (44) est prévenu que 200 caravanes s'installent sur un terrain de la commune. Il s'y rend seul pour discuter avec les gens du voyage mais il est pris à partie lorsqu'il leur demande de quitter le site.
Enfant du pays, conseiller municipal à 23 ans et maire de Vertou (44), au sud de Nantes, depuis maintenant dix ans, Rodolphe Amailland se souviendra longtemps de ce dimanche 11 juin 2023. La vie quotidienne se charge de rappeler aux maires qu’ils sont «à portée de baffes », souligne l’édile. De là à imaginer que la violence physique se concrétiserait dans l’exercice de son mandat…

En cette fin d’année scolaire, l’ancien professeur de tennis regarde la finale de Roland-Garros à la télévision lorsqu’un de ses adjoints l’appelle pour le prévenir qu’il vient de croiser un long convoi d’environ 200 caravanes de gens du voyage qui s’apprête à s’installer sur un terrain de la commune. Une friche urbaine communale en devenir, en partie privée, où un agriculteur fait paître son bétail. Une prairie de 4 ha qui présente l’avantage d’être située en plein centre-ville.

L’endroit est connu et a déjà fait l’objet d’une occupation une dizaine d’années auparavant. Pour empêcher les récidives, un fossé avait même été creusé entre le pré et les chemins d’accès… que les gens du voyage s’emploient à remblayer lorsque le maire arrive. «Je suis parti spontanément après avoir été prévenu pour voir ce qui se passait. J’ai demandé à voir le “pasteur” qui m’a expliqué qu’ils ne resteraient pas longtemps… J’ai appelé la brigade locale de la gendarmerie et, en attendant l’arrivée des forces de l’ordre, je me suis mis en travers du chemin pour les empêcher de passer. »

Sous un soleil de plomb, les moteurs chauffent et les esprits aussi. Deux jeunes prennent rapidement le maire à partie et l’échange vire à l’altercation lorsque Rodolphe Amailland est ceinturé puis jeté dans le fossé. Un acte de «violence aggravée » jugera plus tard le tribunal, le maire s’ayant vu accorder deux jours d’incapacité temporaire de travail (ITT).
 

« Impunité insupportable »

Lorsque les forces de l’ordre arrivent, le maire se met en retrait. Mais on n’arrête pas 200 véhicules déterminés avec 20 gendarmes – qui sont eux aussi pris à partie. L’installation commence alors que les gendarmes n’arrivent même pas à interpeller les deux agresseurs du maire.

Le lendemain, Rodolphe Amailland porte plainte et reçoit de nombreuses marques de soutien. Le secrétaire général de la préfecture, qu’il croise régulièrement lors de diverses commissions et réunions en qualité de conseiller général et de vice-président de l’Association des maires de Loire-Atlantique (AMF 44), lui propose son aide. Ça tombe bien, deux compagnies de CRS sont déployées localement en prévision du prochain festival Hellfest, à Clisson.

« Quand les 200 CRS ont débarqué sur le camp, les deux jeunes ont été livrés en moins de cinq minutes », se rappelle le maire. Qui s’étonne encore que l’on n’ait pas profité de la présence de ces CRS pour faire évacuer le site (lire ci-dessous).

Il est vrai que la procédure habituelle – constat d’huissier, référé du tribunal, signification du jugement, demande de recours à la force publique… pas toujours disponible ! – dure plus d’une semaine. La problématique est récurrente. «J’ai la chance d’avoir une brigade à proximité et d’avoir des relations régulières avec la préfecture, ce qui n’est pas le cas des maires de petites communes. On est face à une acceptation tacite d’occupation qui heurte le principe de propriété et de légalité. Prévoir une présomption d’occupation illicite simplifierait beaucoup les procédures », estime Rodolphe Amailland.

Dans une lettre ouverte publiée le lendemain de son agression, il pointe aussi «l’impunité insupportable » dont bénéficient ces occupants, qui partent le plus souvent d’eux-mêmes quand la menace d’expulsion se matérialise. À l’issue du procès qui a vu la condamnation de ses agresseurs à 800 € d’amende, le maire de Vertou s’est dit satisfait de cette victoire judiciaire.

Mais il déplore néanmoins que le tribunal n’ait pas retenu la circonstance aggravante liée à l’agression d’une personne dépositaire de l’autorité publique. Ce que la loi «Buffet » sur la protection des élus prévoit désormais. 
 

Interview
Rodolphe Amailland,
maire de Vertou (44)
« Nous ne sommes pas reconnus dans l’intégralité de notre statut de maire »

• Que retenez-vous de votre mésaventure ?
Je me suis rendu seul au-devant des caravanes des gens du voyage. En effet, être maire, c’est accepter d’être sollicité à n’importe quel moment du jour ou de la nuit. Quand on est maire, on l’est 24 heures sur 24 ! Et on n’a pas son écharpe tricolore sur l’épaule en permanence… En l’occurrence, c’était un dimanche et j’étais en short. Quand on m’a prévenu de l’arrivée de ces caravanes, j’y suis allé spontanément. Mais à l’audience du procès qui a suivi, j’ai été surpris de constater que mes dires n’avaient pas plus de poids que ceux de la partie adverse.
• Comment avez-vous ressenti ce manque de poids de la parole d’un élu confrontée à celle de son agresseur ? 
Cela ça m’a beaucoup interrogé vis-à-vis de l’engagement des élus. En fait, nous ne sommes pas reconnus dans l’intégralité de notre statut de maire. Au regard de la justice, notre parole n’a pas plus de poids que celle d’un autre citoyen alors même que nous avons la qualité d’officier de police judiciaire et que nous sommes dépositaires de l’autorité publique en ayant autorité de police administrative ! Nous ne sommes pas assermentés, mais nous sommes pourtant habilités à recevoir des plaintes, à constater des infractions pénales et à prononcer des amendes forfaitaires. J’espère que cette contradiction sera résolue dans le prochain texte de loi sur le statut de l’élu.

• Votre agression a donné lieu à un important déploiement de force de police. Pourquoi ne pas en avoir profité pour procéder à l’évacuation ?
Parce qu’il ne s’agissait pas de la même procédure. L’intervention musclée de 200 CRS était liée à l’interpellation de mes deux agresseurs. Elle ne résultait pas de la demande d’évacuation. C’est encore une contradiction. Alors qu’on était en capacité physique de procéder à l’expulsion, la préfecture a considéré que ce n’était pas possible en l’état de la procédure. Là aussi, on marche sur la tête !

 

Les acteurs clés
• Brigade locale de gendarmerie. Comme souvent lors des installations illégales de terrain, l’épisode du 11 juin 2023 a nécessité l’intervention des forces de l’ordre. La municipalité a la chance de disposer d’une brigade locale d’environ 30 gendarmes. Certains membres qui, sitôt alertés par le maire, sont intervenus.

• Peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG). Très vite, une demande de renfort a été faite au PSIG de Rezé, dont dépend Vertou. Ce corps spécialisé d’une trentaine de gendarmes est souvent appelé en support lors des interventions «sensibles ».

• Gendarmes mobiles. Lorsque ces interventions sont jugées encore plus «musclées » – comme ce fut le cas à Vertou –, il est alors fait appel à un ou plusieurs escadrons de gendarmerie mobile… quand ils sont disponibles. Ce qui n’est pas souvent le cas, tant ces escadrons sont sollicités pour des missions de prévention du maintien de l’ordre. Heureusement pour le maire de Vertou, deux escadrons étaient stationnés non loin de là en prévision de la tenue imminente du festival de musique à Clisson (Hellfest).

 

Les expulsions du domaine public
En cas d’occupation d’un domaine privé à usage d’habitation, les propriétaires peuvent invoquer l’article 38 de la loi Dalo (droit au logement opposable) pour demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux, assorti d’un délai d’exécution d’au moins 24 heures.

Lorsqu’il s’agit d’un terrain vague, le recours à la loi Dalo est impossible, il faut alors lancer une procédure classique de dépôt de plainte, constat d’huissier et saisine en référé du tribunal d’instance (le concours d’un avocat n’est pas obligatoire).

Dès lors, le maire peut demander à la préfecture le concours de la force publique pour l’exécution du jugement. En pratique, il est accordé un délai de 48 heures pour l’évacuation qui ne repose pourtant sur aucun texte juridique.

Références :
• Sur la réglementation des occupations illicites : art. 9 de la loi n° 2000-614 du 5/07/2000, art. L. 2214-1 et L. 2214-4 du CGCT
• Sur l’installation illicite sur domaine privé ou public : art. 322-1 et art. 322-4-1 du Code pénal
• Sur la procédure d’expulsion : art. R. 779-1 à R. 779-8 du Code de justice administrative, art. 9 et 9-1 de la loi n° 2000-614 du 5/07/2000, tribunal administratif de Rennes, décision du 7/08/2008, communauté des gens du voyage, n° 083426.

 

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