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Maires de France


Dossiers et enquêtes
01/01/1970 JANVIER 2021 - n°386
Santé

Santé. Les communes en première ligne

Durant la crise sanitaire, les communes renforcent leur offre de proximité pour prendre soin des habitants. Certaines avaient déjà lancé les bases d'une politique locale de santé. D'autres y réfléchissent et souhaitent agir pour mieux coordonner les acteurs. Toutes soulignent leur rôle essentiel en matière de prévention, notamment dans le champ de la santé mentale. Par Emmanuelle Stroesser

Le CCAS de Rochefort (17) propose un atelier d'e-sophrologie une fois par semaine sous la houlette d'une coordonnatrice. Les participants peuvent échanger sur leur situation, ce qui leur permet de « déstresser » en période de crise sanitaire.
© Emmanuelle Stroesser
Le CCAS de Rochefort (17) propose un atelier d'e-sophrologie une fois par semaine sous la houlette d'une coordonnatrice. Les participants peuvent échanger sur leur situation, ce qui leur permet de « déstresser » en période de crise sanitaire.

À Cognac (18 825 hab., Charente), on a plus souvent l’habitude de pousser la porte de la Salamandre pour assister à un festival, comme celui du polar ou des littératures européennes. Cette après-midi de décembre, aucun livre ni auteur dans les environs. La porte vitrée s’ouvre au compte-gouttes. Deux boxes font face en bas des marches menant au grand hall. Derrière les paravents, une infirmière prépare les solutions dans lesquelles plonger les écouvillons pour les tests antigéniques. Charlotte sur la tête, gazes sur les chaussures, blouse, masque, gants, elle essaye de détendre M. F, 60 ans. Le test est rapide, tout autant que l’attente du résultat. «Négatif », monsieur est soulagé. 13 personnes se sont inscrites comme lui cet après-midi. Avant lui, c’était un couple de retraités. «Ils voulaient se rassurer avant les fêtes », confie l’infirmière. C’est aussi l’élu qui se rassure car «ça y est, les inscriptions s’emballent », observe Michel Berger, adjoint au maire en charge de la prévention, de la santé et des relations avec les établissements de santé. Ce centre de dépistage temporaire a ouvert depuis une semaine. Christelle Riboulet est infirmière libérale, elle a répondu à l’appel de la mairie. «Mais nous n’en avons que trois », se désole Michel Berger. Ancien généraliste, médecin du travail au centre hospitalier, l’élu est familier du milieu médical. «C’est l’agence régionale de santé (ARS) qui nous a suggéré d’ouvrir un tel centre », comme à Angoulême ­(Charente). Michel Berger a dit oui, «car on l’avait déjà fait au printemps ». Mais l’ARS l’agace un peu. Elle a eu la bonne idée d’inciter les enseignants à se faire dépister avant les vacances scolaires de Noël et a demandé à la mairie de leur réserver des créneaux horaires. Résultat, les plannings explosent. L’élu, pince-sans-rire, raconte avoir «suggéré à l’ARS d’envoyer des infirmières de l’Éducation nationale... ». Il sourit. L’ouverture de cet «espace test » sert d’échauffement pour la prochaine campagne de vaccination. Même s’il en sait peu sur la façon dont elle va se dérouler, le gouvernement n’ayant pas précisé en cette fin d’année comment il y associera les collectivités. C’est la même incertitude à Douai (39 700 hab., Nord). Son maire, ­Frédéric Chéreau, préfère ne pas attendre de recevoir «la veille au soir un protocole en 15 pages, rédigé à la virgule près, pour nous expliquer ce qu’il faudra faire, comme de recueillir des listes auprès des EHPAD, etc. ». Il confie : «on ne sort pas forcément plus impliqué dans les questions de santé avec ce deuxième confinement, mais différemment. » Depuis août, il a mis sur pied une cellule Covid. Y participent la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS), l’hôpital, la sous-préfecture, l’ARS, l’Éducation nationale, la police. Elle se réunit en visio-conférence, tous les mardis, de 8h30 à 9h00. «On y échange des informations sur les tests, les cas Covid, etc. Résultat : on dispose de chiffres plus fins et plus tôt que l’État. » La CPTS, instaurée par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, y joue un rôle moteur. Cette communauté, créée début 2020, couvre 21 communes du grand Douaisis et 200 professionnels de santé sur les 750 du territoire qui y ont adhéré. Le maire de Douai en est enchanté. «Elle s’est mise en place avant l’épidémie, elle a été un accélérateur dans le renforcement de nos relations avec les professionnels de santé. C’est notre interlocuteur aujourd’hui, elle marche très bien. »

DES TESTS AUX VACCINS, UNE MÊME LOGIQUE : LA RÉACTIVITÉ ET LA PROXIMITÉ

Sa présidente, Saliha Grévin, pharmacienne, l’avait appelé pour installer une cellule d’appel téléphonique lors du premier confinement. La ville a prêté une salle. «C’était notre pentagone », sourit la pharmacienne qui en garde des souvenirs intenses. «Cela nous a soudés. » Des praticiens s’y sont relayés pendant deux mois pour répondre aux appels de la population. Au deuxième confinement, la mairie a mis à disposition deux autres salles : l’une pour les dépistages, l’autre pour la vaccination contre la grippe. «Nous avons resserré des liens qui nous ont fait travailler également avec le CCAS. Cela a permis de faire vacciner une trentaine de personnes vulnérables, sans abri, qui n’étaient prises en charge par personne », explique Saliha Grévin. Douai privilégie aussi l’information et la prévention : Élodie Evrard coordonne la plateforme de santé du Douaisis (64 communes, 46 000 hab.). Elle anime, entre autres, l’atelier santé ville dans les quartiers. Elle travaille à un projet de formation des habitants pour favoriser la diffusion de l’information sur la prévention autour du Covid. «On a déjà fait ce genre de campagne pour le dépistage du cancer du sein ou de l’utérus, et cela fonctionne très bien, car on fait souvent plus confiance à son voisin. » L’idée est de faire de même sur le Covid, pour sensibiliser toujours aux gestes barrières et lutter contre la désinformation. Un autre fléau... À Leers (1 526 hab., Nord), ce n’est pas la visio-conférence mais le fil «Whatsapp » qui relie une partie des professionnels de santé. Dans cette commune, ni la mairie ni le CCAS n’ont de politique santé. Mais «nous avons senti le besoin de resserrer les liens », explique la directrice du CCAS, Élisabeth Audric. L’idée a été suggérée par une infirmière libérale. «Pour s’entraider et échanger des informations car tout le monde se sentait un peu perdu. » C’était lors du premier confinement. Ce fil numérique s’est imposé comme la solution la plus simple et la moins coûteuse. Il a été ouvert aux pharmaciens, infirmières et généralistes du territoire. Soit une vingtaine de personnes. Seul un médecin l’a refusé. Le fil n’a pas été coupé à la fin du confinement. Au contraire. «Nous nous interrogeons aujourd’hui pour l’élargir aux aides à domicile, explique la directrice, car nous souhaitons travailler sur l’isolement des personnes âgées. » Ici, comme dans beaucoup de communes, la Covid a «chamboulé tous les projets » et mis en lumière de nouvelles priorités : la directrice veut ainsi travailler sur la prévention de la dépendance. C’est l’option prise depuis plusieurs années par le CCAS de Rochefort (24 150 hab., Charente-Maritime). Vendredi, 14h00. La salle d’activités du programme «prévention seniors » est tristement silencieuse et sombre. Désertée par les femmes et les hommes qui, d’ordinaire, fréquentent les ateliers de «Rochefort seniors ». Des mois que c’est ainsi se désole la directrice, Sandra Rondet. Par réflexe, elle rouvre les rideaux donnant sur la cour d’entrée du CCAS. Toujours ce vendredi, c’est dans une autre salle que se rend Stéphanie, la coordinatrice de ces ateliers. Une salle réaménagée en studio de visio-conférence. L’aménagement est sommaire, une grande télévision, un téléphone et une télécommande. La coordinatrice accueille les premières connectées pour la deuxième séance de «e-sophrologie ». Environ 10 participantes les rejoignent les unes après les autres. Sandra Rondet a eu l’idée d’organiser à distance des ateliers du parcours prévention santé seniors. «Nous avons formé de nombreux seniors à l’usage de tablettes, avec la MSA notamment. Autant que cela serve ! », résume-t-elle. «Le premier confinement a été si mal vécu. » Et le second s’est révélé «pire encore ». Il a donc fallu soutenir les personnes. La séance de e-sophrologie a lieu tous les vendredis. Le jeudi, ce sont les «e-café papotage ». Entre 20 et 25 personnes s’y inscrivent. Ils ont été mis en place à la sortie du premier confinement, en mai. Par groupe de 5 personnes. «C’était pour que les gens puissent parler de la façon dont ils avaient vécu ce confinement, qu’ils se retrouvent. Il y avait un gros besoin d’évacuer, de parler des frustrations vécues, comme celle, par exemple, de n’avoir pas vécu la naissance d’un petit-enfant », explique la coordinatrice. Devant leur succès, le CCAS les a maintenus. Lorsqu’il a fallu se reconfiner, fin octobre, la formule a simplement été adaptée. «Au e-café, on a pris l’habitude de tous aller se chercher une boisson au même moment. On le partage à distance », devant son écran, installé dans son fauteuil ou à un bureau. «On se reçoit au salon en quelque sorte », sourit Stéphanie. Derrière l’écran, tous ont la chance de pouvoir se parler sans masque ! Pour la séance d’e-sophrologie, la coordinatrice ouvre la connexion 30 minutes avant le début de l’atelier. Cela permet de régler les contretemps techniques, mais surtout que chacun se dise bonjour, échange, s’installe. Les dames se confient. Ces ateliers «m’aident à me déstresser », dit Dany. Pour Yvette, «c’est une tranche de vie normale ». Du «réconfort » pour ­Jacqueline. «Une sorte de plaisir collectif ! », témoigne Renée. Sandra Rondet, directrice du CCAS, le confiera plus tard : «Cela fait 23 ans que je fais ce métier et, ces derniers mois, il y a des jours où j’ai pleuré dans mon bureau. » «La majorité des gens vont survivre physiquement, mais à quel prix psychologiquement pour certains », analyse Stéphanie, la coordinatrice. Les deux femmes sont d’autant plus déterminées à relancer les activités en présentiel dès que cela sera possible. Beaucoup le disent, ce deuxième confinement a été «moins bien vécu que le premier » par les personnes âgées notamment. Cognac a donc revu les conditions du confinement dans la résidence-autonomie. «Cela avait été trop dur pour les résidents et les familles, explique le directeur, Ludovic Poujade. Nous avons fait des activités en petits groupes. » Cela se ressent sur l’ambiance générale et dans la vie de chacun et chacune des 90 résidents. «Il y a moins d’angoisse la nuit, moins de stress. » Pour lui, la crise a souligné l’intérêt qu’il y aurait à «renforcer la médicalisation de ces structures », sans en faire des EHPAD. Cela permettrait d’« éviter des hospitalisations inutiles ».

APRÈS-DEMAIN, PENSER BIEN-ÊTRE ET SANTÉ MENTALE

« Nous ne sommes ni soignants ni médecins, notre rôle est plus de mettre tout le monde autour de la table, d’accompagner, de communiquer », estime Frédéric Chéreau. À Douai, le maire s’attache à soutenir les projets de prévention entre ville, hôpital, libéraux, etc. «On doit élargir, changer de paradigme, penser un système de santé local où tout le monde se parle et où les personnes à risque sont placées au cœur de nos réflexions, notamment les personnes atteintes de maladies chroniques. » L’élu cite l’exemple du sport sur ordonnance, né de l’initiative d’un adjoint de Strasbourg. «C’est l’illustration que la santé ne s’arrête pas au sanitaire. » Et donc que les communes doivent s’en mêler davantage. L’idée d’un contrat local de santé (CLS) chemine à Rochefort. «Nous n’en sommes qu’au diagnostic. La crise a ralenti l’avancée du projet mais elle a exacerbé son besoin », estime ­Isabelle Gireaud, adjointe au maire déléguée aux solidarités et conseillère communautaire de l’agglomération Rochefort Océan, en charge du développement d’actions sur la santé. Son idée est aussi de mettre en place un contrat local de santé mentale (CLSM), «car nous avons un large panel de personnes, de tous les âges, qui souffrent ». Notamment les jeunes. Dans le Tarn-et-Garonne, la communauté de communes Terres des confluences (22 communes, 42 000 hab.) a le même projet de CLSM. «La crise sanitaire le retarde mais c’est réellement le moment d’y aller car on constate qu’une partie de la population est en perte de repères, déprimée. On observe une recrudescence des scarifications et des tentatives de suicide des jeunes », témoigne le maire de Saint-Porquier (1 400 hab.), Xavier Prévédello. Également cadre de santé dans un service de psychiatrie infanto-juvénile, il part d’un principe simple : «à l’hôpital, je soigne et, en tant qu’élu, je prends soin ». Il a récemment combiné ces deux vies, professionnelle et publique, en consacrant un mémoire universitaire aux conditions de création d’un CLSM. Il y tenait avant la crise, il y tient aujourd’hui plus encore. Mais l’élu attend de pouvoir faire des réunions en présentiel pour formaliser le projet.   Même attente du côté de la coordinatrice du CLS de Cognac. Les six CLS de Charente se sont d’ailleurs rapprochés dans «l’entre-deux » des confinements, afin «de travailler davantage ensemble » en 2021. 

 

Témoignage
Aude Caria, directrice de Psycom (1) 
« Il n’y a pas de santé sans santé mentale »
" Lassitude, fatigue, colère, déprime…, les maires ont été aux premières loges pour constater que la crise sanitaire liée à la Covid-19 a un impact sur notre santé mentale à tous et toutes, et notamment pendant les confinements. La santé mentale, c’est un continuum entre un état de bien-être et des troubles psychiques. Nous évoluons tous en permanence entre des moments où nous allons très bien et d’autres, moins bien. Cela peut aller d’un mal-être à des troubles psychiques. La santé mentale, c’est donc la recherche permanente d’un équilibre. Elle dépend beaucoup des déterminants sociaux de la santé. Car la santé n’est pas que le soin, c’est aussi avoir un logement confortable, un environnement sécurisant, etc. C’est en ce sens que les élus ont en partie les manettes pour agir sur ces déterminants, et donc contribuer au bien-être de la population. Pour les aider à agir, le centre collaborateur de l’OMS pour la santé mentale (2) présente des initiatives à prendre, comme, par exemple la création d’espaces d’écoute pour les jeunes. Le contrat local de santé mentale est un bon moyen pour réunir toutes les parties prenantes et organiser des actions portant sur l’accès aux soins, la parentalité, la prévention du suicide, etc. » (1) Organisme public d’information sur la santé mentale. www.psycom.org (2) www.ccomssantementalelillefrance.org

 

Dans une tribune publiée au printemps 2020, plusieurs associations, dont «Élus, Santé Publique & Territoires », soulignent l’importance des «dynamiques territoriales de santé » (atelier santé-ville, CLS, CLSM…) pour apporter des réponses aux habitants, notamment en période de crise. Et demandent à l’État de les conforter. www.espt.asso.fr

 

L'AMF demande des moyens pour les communes
Le premier Baromètre santé-social AMF-Mutualité française, ­présenté le 8 décembre (lire p. 20), souligne l’inégalité de l’offre médico-sociale entre les territoires et les attentes fortes des Français en faveur d’une réponse de proximité incarnée par les communes. Dans sa résolution générale, adoptée le 10 décembre, l’AMF estime que «le temps est venu de réfléchir aux moyens à mettre à disposition des élus locaux afin qu’ils puissent véritablement structurer l’offre locale de santé ». Les élus mettent aussi en avant leur rôle de proximité au moment où le gouvernement engage la campagne de vaccination contre la Covid-19. L’AMF a signé un appel conjoint avec les organisations professionnelles de médecins de ville pour organiser avec eux la vaccination «dans le cadre d’une organisation locale de proximité » qui doit contribuer à renforcer la confiance (www.amf.asso.fr, réf. BW40467). Réunies au sein de Territoires Unis, l’AMF, l’ADF et Régions de France jugent «capital le renforcement de la coordination entre le préfet, l’Agence régionale de santé et les collectivités territoriales ».

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Cet article a été publié dans l'édition :

n°386 - JANVIER 2021
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