Maire-préfet : le lien indéfectible de la République
Les maires et les préfets, guidés par l'intérêt général, forment un binôme essentiel pour la bonne marche de l'action publique dans les territoires.
" Les préfets et sous-préfets sont des partenaires majeurs et appréciés des maires. La qualité de leur engagement au service de la Nation n’est contrariée que par la diminution constante des moyens humains et matériels qui leur sont affectés. » Le 14 juin dernier, l’AMF a défendu l’institution préfectorale. La fin de ce corps, mais pas de la fonction (lire ci-dessous), annoncée au printemps dernier par le gouvernement fait craindre en effet aux élus locaux une baisse de compétences et d’expérience, donc un moindre appui de l’État aux collectivités. Piliers de la République sur le terrain, le maire et le préfet forment un tandem, le fameux « couple ».
Chacun a l’intérêt général comme boussole et sa légitimité propre (le suffrage universel pour le maire, la nomination en Conseil des ministres pour le représentant de l’État). Du fait de leur proximité, ils sont « obligés de travailler ensemble », rappelle Christophe Mirmand, président de l’association du corps préfectoral (ACPHFMI) et préfet de la région PACA (lire Maires de France n° 392, p. 13). Il arrive qu’un troisième larron perturbe cette relation : « Les administrations centrales qui veulent conserver leur pouvoir et bloquent parfois certains projets », juge Françoise Gatel, présidente de la délégation aux collectivités du Sénat qui vient de lancer une mission sur la place et le rôle des préfets. Le haut fonctionnaire incarne la permanence et la continuité de l’État dans les territoires ; il est le délégué du gouvernement et de chaque ministre. Mais de par l’article 72 de la Constitution, il a aussi des « responsabilités » vis-à-vis des collectivités locales, estime Bernadette Malgorn, conseillère municipale et métropolitaine à Brest, ancienne préfète et ex-secrétaire générale du ministère de l’Intérieur.
Début mai, le Premier ministre, Jean Castex, a annoncé la fin du corps préfectoral, tout en maintenant la fonction. Le statut devrait être amené à s’éteindre pour se fondre progressivement dans le nouveau corps des administrateurs d’État. Ces changements interviennent dans le cadre plus général de la réforme de la haute fonction publique, qui comporte aussi la suppression de l’ENA. À plus court terme, le gouvernement a acté, le 23 juillet, l’arrêt de la baisse systématique des effectifs dans les services départementaux de l’État.
La relation maire-préfet est éphémère. Elle ne dure généralement que deux à trois ans, le temps que le préfet soit nommé à un autre poste. « Une plus grande stabilité serait souhaitable, mais on ne peut pas garantir de durée si l’on veut admettre que la responsabilité du préfet puisse être mise en jeu, explique Bernadette Malgorn. Le préfet n’a pas le même rôle que le maire et ne doit pas se substituer à lui. Il doit garder un œil neuf. » Tout en ayant une connaissance fine des acteurs locaux, du fonctionnement du territoire et de ses enjeux. Il a donc peu de temps pour s’insérer dans le microcosme et construire des relations de confiance avec les élus.
Frédéric Leturque, maire d’Arras (62),
président de la communauté urbaine
et de l’association départementale
des maires
« La crise a resserré les liens »
Avec la crise, les réunions se sont multipliées. Elle a resserré les liens entre les maires, la communauté urbaine, les institutions. Sur les vaccins, nous avons même joué de complicité avec le préfet pour arriver à obtenir davantage de doses de Paris. "
La très officielle première visite du représentant de l’État dans la commune, parfois très cérémonieuse, remplit la « besace » du préfet «de sujets qui vont constituer en quelque sorte notre contrat territorial, c’est-à-dire ce que les maires attendent de nous. Ces visites prennent beaucoup de temps, mais c’est véritablement au moment où on fait le tour de la commune en voiture ou à pied que le maire parle des projets, des problématiques, des difficultés et où l’État devient un partenaire », témoigne Bruno Cassette, sous-préfet d’Aix-en-Provence. Le préfet ou le sous-préfet devient alors un facilitateur, celui qui va faire avancer un dossier en comprenant à la fois les enjeux techniques et politiques. Par exemple, dans l’attribution des dotations : « Je préfère accorder la totalité d’un cofinancement demandé par un maire pour un projet plutôt que de disséminer l’enveloppe entre plusieurs communes. Sans cofinancement intégral de sa part par l’État, des maires renoncent à leur projet », explique Bruno Cassette.
Un lien fait de tensions et de rapprochements
Face à un élu critique ou mécontent de ne pas avoir de solution à ses problèmes, une explication, une simple rencontre suffit parfois à déminer une situation. Mais il faut « aussi avoir de la chance » et savoir convaincre, poursuit l’actuel préfet du Pas-de-Calais, Louis Le Franc. Sur un précédent poste dans l’Aude, il a été confronté au scandale de la viande Spanghero. « 300 salariés devaient se retrouver sur le carreau. Un industriel m’a approché lors d’une inauguration et proposé de reprendre l’entreprise. Le maire n’y était pas favorable. Mais le repreneur offrait cent emplois de suite. Avec le maire, nous avons appris à nous connaître et il a fini par accepter la reprise. Une telle expérience positive a créé de la confiance entre nous. » La relation peut aussi être plus tendue.
En Haute-Corse, où il a aussi exercé, Louis Le Franc, a géré des destructions de cabanons au cap Corse, un dossier vieux de quarante ans et qu’il fallait clore une bonne fois pour toutes. « J’avais rencontré les dix-huit maires concernés, ils étaient d’accord. Le jour J, ils étaient en écharpe tricolore devant les machines pour s’opposer à la démolition. J’ai demandé le concours de la gendarmerie pour faire détruire les constructions. À la fin, certains applaudissaient… »
Malgré la distance géographique ou administrative, le lien avec les maires reste « absolument indispensable », insiste Étienne Guyot, préfet de région Occitanie et de Haute-Garonne, du fait notamment de leurs compétences : le maire est en effet un commis de l’État lorsqu’il officie pour les élections, l’état civil. En cas de crise, les liens se resserrent. Lorsque la Covid-19 est apparue en France, dans l’Oise, début 2020, Louis Le Franc était alors préfet du département. En une semaine, il avait neuf communes « clusterisées. J’ai appelé un à un les maires concernés pour leur expliquer les chaînes de contamination, les mesures à prendre… Il fallait aussi gérer la situation dans les autres communes. À cela s’ajoutaient cinq cents journalistes et des parlementaires en direct sur les chaînes d’information en continu. J’ai donc mis en place un bulletin d’information quotidien à destination de tous les maires de l’Oise : ils devaient en savoir plus ».
Et puis, il est des circonstances dramatiques où le couple se serre les coudes. Sur les accidents de la route. Aux enterrements. « Dans ces moments, nous sommes solidaires », se rappelle Denis Conus, pour qui la dimension humaine de cette relation « est capitale ». L’ancien préfet a représenté l’État aux obsèques d’un jeune qui a perdu la vie lors de l’attentat du Bataclan, le 13 novembre 2015. « J’y étais avec le maire. Nous étions “ contents ” de nous épauler. » Cette relation forte, entretenue entre le maire et « son » préfet, se poursuit aussi, quelquefois, au-delà des mandats, avec quelques amitiés réelles et durables.
Louis Le Franc, préfet du Pas-de-Calais
« Ce qui compte, c’est le résultat »
Le préfet doit être proche des élus, mais il ne doit pas pour autant chercher à plaire. Lorsque nous avons eu une explosion des cas de Covid en février-mars, j’ai proposé un confinement strict le week-end, sans concertation. Le maire a été surpris. Moi, ce qui me guidait était la protection des gens. Les élus ont finalement compris cette décision. Ce qui compte, c’est le résultat. "
Cet article a été publié dans l'édition :
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