Le maire et les malfaçons
Maire de Barbuise (Aube, 465 hab.), Alain Boyer a bataillé pour être dédommagé d'un carrelage mal posé dans la salle des fêtes inaugurée en 2012.
Délitement. «Quand la salle des fêtes est inaugurée, en février 2012, je suis heureux. C’est un gros investissement mais il est utile. Déjà, dans les années 1970, on sentait ici que les mariages et réunions manquaient de locaux. Je deviens maire en 1989, et j’attends que nous soyons déliés d’emprunts pour lancer, à partir de 2009, la réflexion puis le chantier. Mais peu de temps après l’inauguration, je note qu’un carreau au sol sonne creux. C’est bizarre. Au fil des mois, on se rend à l’évidence que le sol se délite, que les carreaux cassent, se décollent. On essaie de réparer mais non, il y a bien des malfaçons et un risque pour les usagers ! En février 2013, lors de la visite qui suit la réception de travaux, je le signale à l’architecte et au carreleur. Ce dernier me dit qu’il a une obligation de “moyens, pas de résultat”. Je trouve cela surprenant. »
Procédure. «Je formalise un peu les choses. J’envoie un courrier au carreleur dans lequel je lui fais part de nos constats. Fin de non-recevoir de sa part. Mai 2013, je fais venir un expert qui regarde sous les carreaux. Leur adhérence est proche de zéro, la colle est farineuse. J’envoie son rapport au carreleur qui me redit son irresponsabilité. Là, j’interroge mon conseil municipal : prenons-nous un avocat ? Cela va coûter des sous et nous ne serons pas forcément victorieux. J’ai cependant son aval et nous trouvons un avocat qui porte nos doléances devant le tribunal administratif. Ce dernier mandate un expert qui confirme que dalles et carrelage se désolidarisent. Une réunion en mairie, avec le carreleur et l’architecte, ne donne rien. Le tribunal impose une conciliation, que l’avocat du carreleur refuse. Nous allons au procès. »
Indemnités. «Lors d’une première audience, nous perdons pour un point de forme. Nous avions adressé la requête à une mauvaise adresse. Mon avocat relance la procédure. Février 2020, c’est gagné ! Les juges nous donnent gain de cause, avec remboursement de frais d’expertise et d’honoraires, et indemnité pour réparer le carrelage (soit 70 000 euros au total). Nous en profitons pour mener la rénovation du sol qui s’est achevée en avril 2021. Depuis, les locations ont repris et en mai, c’est le dernier acte : après avoir saisi un huissier, nous touchons enfin le solde d’indemnités que le carreleur et l’architecte nous devaient (15 000 euros). Jusqu’au bout, ces prestataires ont trouvé tous les prétextes – Covid, télétravail… – pour entretenir le conflit. »
• Rester soudés : « J’ai demandé son avis au conseil municipal pour engager une procédure. Car aller devant des juges, c’est prendre le risque de perdre ou d’obtenir moins d’argent que dans une conciliation. Il m’a donné son accord. »
• Oublier ses amis : «L’architecte était une bonne connaissance. Je n’ai pas hésité à le mettre en cause. C’était difficile mais quand on est maire, seul prime l’intérêt de la collectivité. Avec ces travaux défectueux, on volait la commune. »
• Se couvrir : « Une petite commune n’a pas les moyens d’avoir des juristes pour engager un procès, ni de prendre une assurance contre les malfaçons. Pourtant, on est remboursé plus vite. Là, je lance un projet de cantine scolaire. Je réfléchis à nous assurer. »
« Je suis plus un homme de conciliation que de conflit, et j’ai apprécié d’être soutenu par mes adjoints et par notre avocat. En première instance, nous avons perdu et tous m’ont encouragé à ne pas baisser les bras. Ce litige me trouait le ventre : autant de mauvaise foi, de jusqu’au-boutisme… J’ai proposé une conciliation. Puis je suis allé devant le juge, c’était inconfortable mais j’étais victime d’injustice. Comme mes prédécesseurs, je me disais qu’en aucun cas je ne devais laisser la commune se faire voler. »
Cet article a été publié dans l'édition :
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