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13/09/2021
Développement économique Emploi

Bessé-sur-Braye digère la fermeture d'Arjowiggins

Le départ en 2019 du papetier a laissé sur le pavé 570 salariés. Le maire de la commune sarthoise de 2 170 habitants reprend espoir après qu'un industriel a choisi de s'installer sur une partie du site.

Bruno Leprat
Illustration
© PHOTOPQR/OUEST FRANCE/Joel Le Gall
En mars 2019, le papetier Arjowiggins (570 emplois) est mis en liquidation judiciaire. Après une mobilisation des élus, le site est en partie repris en mars 2021.

« Est-ce que j’attire la poisse ? », s’interroge Jacques Lacoche, quand on le rencontre à la mairie en ce mois de juin. Car lui qui est entré au conseil municipal en 2008, puis a été élu maire en 2014 et réélu en 2020, n’en revient pas de ses déboires. «Depuis 2008, je compte un suicide, trois fermetures d’usine, une pandémie… Heureusement, les choses semblent aller mieux. » L’élu, qui s’est représenté l’an dernier, pour ne pas «lâcher » ses administrés, a en effet appris, en mai dernier, qu’une activité de production de gants jetables s’installait sur sa commune, sur l’ex-site du papetier Arjowiggins. «Je ne me réjouis pas trop vite car, depuis la fermeture d’Arjo (sic), je vis sur des montagnes russes. En outre, la nouvelle activité n’occupera que 20 % des 45 hectares du site. »
 

Liquidation judiciaire, salariés inquiets

Depuis la liquidation judiciaire du papetier Arjowiggins (570 emplois), en mars 2019, le maire admet «mal dormir ». Il avait connu des fermetures d’usine auparavant «mais les licenciements étaient moins insupportables car Arjo recrutait les gens sur le carreau ». La liquidation le surprend un peu. Mais moins que la mise en redressement judiciaire, deux mois avant, par le tribunal de Nanterre. «À ce moment-là, j’évoquais avec le directeur l’organisation d’un job dating ! Quand on veut recruter, c’est qu’on se développe, non ? » Le maire se rend trois fois, avec les salariés, à Nanterre, pour manifester devant le tribunal de commerce. Mais le site se meurt, plombé par la crise de la presse écrite.

Quand la fermeture est annoncée, Jacques Lacoche accuse le coup : «Arjo, c’était deux siècles de présence, de bons salaires, une vie associative et des revenus pour les commerces… Au fil des années, la commune s’est offert les équipements d’une ville de 5 000 habitants. Aujourd’hui, il faut les entretenir. » Puis l’élu se mobilise. Il soutient les projets de reprise et accompagne leurs porteurs (anciens salariés, syndicats), toujours «à Paris », avec le président du conseil départemental et la députée.
 

Deux milliards de gants

Mais cette demi-douzaine de projets manquent d’argent ou d’avenir. «Je voulais croire en chacun », raconte le maire, dont la mobilisation le pousse à bloquer des TGV, en mars 2019 (lire ci-contre), ou à forcer des rencontres. Par exemple en mai 2019, avec la ministre de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, née dans la région, de passage dans une commune proche. Il obtient de sa députée une entrevue avec elle. «Je lui ai dit notre désespoir. » Début 2020, «c’est le silence. J’avais joué toutes mes cartes et plus rien ne se passait ». Puis les choses se décantent. En juin 2020, soit plus d’un an après la fermeture du site, le groupe Paper Mill Industries (PMI), filiale d’un groupe canadien, rachète la friche. «Ils croient en l’usine mais pas à la poursuite du papier. Nous croisons les doigts », souligne le maire.

En décembre, sa commune rejoint, via son interco, le dispositif « Territoires d’industrie », créé en 2018 par l’État pour soutenir la réindustrialisation. «C’est le résultat de mon échange avec la ministre », affirme l’édile.
Fin 2019, le directeur de PMI informe le maire qu’il est «sur la piste » d’une activité de gants portée par la crise sanitaire. «Mais rien n’est gagné, c’est l’angoisse. » En mai 2021, le directeur lui confirme la bonne nouvelle : le groupe Kolmi-Hopen installera, d’ici au printemps 2022, une activité de fabrication de gants pour le secteur médical ou alimentaire sur 20 % de la friche.

La société investira 40 millions d’euros dont cinq apportés par la région Pays de la Loire et dix par l’État. Entre 150 à 200 salariés seront embauchés à Bessé et l’activité occupera à terme 300 salariés qui fabriqueront deux milliards de gants par an.
Jacques Lacoche se sent mieux mais maintient la pression. Soucieux que le fabricant de gants trouve les salariés, il collecte les CV. Il appelle régulièrement le directeur de PMI pour savoir ce qu’il advient du reste de la friche. «Il y a encore du pain sur la planche ! »

 

INTERVIEW Jacques Lacoche,  
maire de Bessé-sur-Braye (72)
« Deux années dures »
Avec cette activité de gants annoncée en mai, commencez-vous à retrouver espoir ?
Oui, ce furent deux années dures, j’ai vu des gens pleurer, inquiets pour l’avenir. Cette «aventure » m’a épuisé à tel point que je passerai peut-être la main en cours de mandat. Arjowiggins était la fierté de Bessé. L’arrivée de cette nouvelle activité nous met du baume au cœur. J’ai confiance dans le groupe qui a repris le site. Il ne l’a pas pillé, ni négligé. Son directeur veut lui redonner vie. Nous échangeons régulièrement et je veux croire que cette activité n’est qu’une
première étape.

Auriez-vous souhaité plus de pouvoirs sur le plan économique pour «sauver Arjo » ?
Un jour, j’ai appelé un collègue maire qui avait aussi perdu un fleuron industriel. «On se sent seul », m’a-t-il dit. C’est vrai, mais le maire trouve aussi des soutiens, il peut agir, par la parole ou des initiatives, via les médias ou les réseaux sociaux. Faut-il aller plus loin ? L’économie est une compétence de l’EPCI. Mais il a peu de moyens : enrayer un départ, reprendre une friche, la requalifier demande de l’argent. Je souhaiterais que les EPCI aient plus de moyens pour exercer ces compétences, aux côtés de l’État, de la région et du département qui sont incontournables.

Que dites-vous à vos collègues confrontés à une situation similaire ?
De rester solidaires sur le plan local : une entreprise qui coule, c’est le bassin de vie qui est impacté. Ensuite, de garder confiance, même s’il est facile de sombrer. On n’a pas de prise sur les grandes décisions mais on peut faire des choses. De plus, l’État et la région sont là, même s’ils semblent souvent manquer d’anticipation et doivent parfois être piqués au vif. Les élus doivent savoir aussi que le sauvetage d’un site sera d’autant facilité s’il est en bon état, facile d’accès et s’il s’inscrit dans une tradition industrielle.

 

Les acteurs clés
Les syndicats : «Syndicats et représentants du personnel ont été actifs. Ce sont eux qui m’ont emmené trois fois manifester lors des séances du tribunal de commerce à Nanterre, quand le sort d’Arjowiggins se jouait », explique le maire.
Les élus : «Que ce soient les maires du bassin d’emploi ou mes adjoints et conseillers, tous ont eu conscience que nous vivions un choc et que j’avais besoin d’être épaulé. Mais aussi, que nous devions faire front commun. »
La députée : «Notre députée a joué son rôle d’alerte. Je lui associe notre sénateur et le président du département qui, pourtant, ne possède plus la compétence économique, et les élus de la région qui a investi dans la reconversion des Arjo ou l’aide directe au fabricant de gants. Je n’oublie pas la ministre de la Cohésion des territoires et le préfet qui ont suscité de nombreuses réunions locales. Il n’en reste pas moins que, dans cette fermeture, tout n’a pas été clair et je le déplore. »  
Le repreneur : «J’ai confiance dans le repreneur de la friche. Il l’entretient et cherche de nouvelles activités dont celle de gants est l’exemple type. Ce qui m’importe est qu’elles génèrent des emplois pérennes afin de redonner vie au territoire. »

 

Blocage de TGV
Quand il raconte sa descente sur les voies TGV de la gare de Vendôme, le 25 mars 2019, peu après l’annonce de la liquidation d’Arjowiggins, Jacques Lacoche baisse d’un ton, désolé pour les voyageurs. «Mais que voulez-vous, aucun ministre n’est venu, la grande presse semblait se moquer de nos 570 emplois perdus ! », s’exclame le maire. Ce jour-là, avec des salariés, syndicalistes et habitants, le maire décide de se rendre à une demi-heure de sa commune, pour bloquer les TGV. «Nous avons prévenu la gare, afin que les trains soient arrêtés mais sur place, je n’ai pas hésité. » Campé sur les voies, l’élu, portant son écharpe tricolore, demande que la presse l’écoute, faute de quoi la délégation (200 personnes) restera. Les journalistes viennent, le coup de projecteur est donné sur «les Arjo ». «Cela n’a pas fait les gros titres longtemps, et nous sommes partis, encadrés par les gendarmes. » La gêne a été conséquente : 5 heures d’interruption de trafic, 26 trains et 20 000 voyageurs retardés. «C’était un cri de colère, convient l’élu. Peut-être a-t-il fait remonter à Paris un peu de notre désespoir ? »

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Cet article a été publié dans l'édition :

n°393 - Septembre 2021
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