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Maires de France


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03/05/2021
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Comment gérer les situations conflictuelles ?

Agressivité des habitants, agressions caractérisées, incivilités, etc., la vie quotidienne des élus et de leurs agents est loin d'être un long fleuve tranquille. Par Christophe Robert

La mort, en août 2019, de Jean-Mathieu Michel, maire de Signes (Var, 2 600 habitants), renversé par une camionnette dont il voulait verbaliser les occupants, a rappelé de manière particulièrement dramatique les situations d’agressivité, de tension et de violence auxquelles les élus municipaux sont confrontés. À tel point que l’AMF a mis en place, en novembre dernier, un Observatoire des agressions. Son but ? Faire remonter les témoignages des élus avec le soutien des 103 associations départementales de maires (lire ci-dessous). La gestion des situations conflictuelles est désormais une réalité quasi quotidienne pour les maires. Des troubles de voisinage aux exigences de fermeté de la part des habitants à l’égard des incivilités, des demandes insatisfaites d’administrés qui en rendent l’élu personnellement responsable aux invectives et aux violences perpétrées contre eux lorsqu’ils demandent de faire cesser un trouble, pas facile pour les élus de savoir trouver la bonne réponse en fonction des situations. « Dans ma commune, ce qui revient le plus souvent, ce sont des invectives de certains habitants du type “ je paye des impôts locaux, donc j’ai droit à ceci ou cela ”», témoigne Stéphanie Dumoulin, maire de Chauffailles (3 700 habitants, Saône-et-Loire). Selon elle, « il faut alors savoir leur faire comprendre que le fait de payer des impôts locaux ne donne pas droit à tout et surtout pas celui d’être agressif ou d’avoir des propos déplacés ! » Une tâche d’autant plus délicate dans le contexte sanitaire actuel qui semble avoir accentué les tensions chez les habitants. À commencer par la recrudescence des troubles du voisinage dans lesquels le maire se trouve impliqué par les personnes concernées. « Il ne se passe pas une semaine sans que l’on vienne me voir pour un conflit de voisinage !, confirme Stéphanie Dumoulin. Il faut savoir trouver les bonnes réponses, orienter les habitants vers un médiateur de justice en leur expliquant que nous ne sommes pas là pour trancher les litiges d’ordre privé. L’élue en est consciente, « si les habitants se retournent spontanément vers nous, c’est parce qu’ils ont avant tout besoin d’écoute. Le fait de prendre le temps de discuter permet très souvent de désenvenimer les conflits ».
 

Une formation et un observatoire
La Gendarmerie nationale propose aux élus de se former à la gestion des incivilités et agressions dont ils peuvent être victimes. Développée par la cellule nationale de négociation du GIGN, en lien étroit avec l’AMF, elle donne des clés de compréhension pour désamorcer les conflits, faciliter le dialogue et rétablir la communication avec un individu (www.amf.asso.fr, réf. BW40655). L’AMF, avec le soutien des 103 associations départementales, a mis en place l’Observatoire des agressions envers les élu(e)s. Ce nouvel outil doit permettre à chaque élu de témoigner précisément des atteintes ­physiques ou verbales qu’il a vécues et de ­compléter sa déclaration tout au long du ­processus judiciaire (https://bit.ly/3spGePK).



Faire preuve de pédagogie

Et si la tension peut en fait monter assez vite, l’élue a trouvé sa solution : « Quand un administré mécontent commence à monter la voix, je l’arrête tout de suite en lui disant que je couperai court à la conversation s’il ne change pas immédiatement de ton. » Maire depuis 2020, Stéphanie Dumoulin reconnaît ne pas avoir été personnellement agressée, ni physiquement ni verbalement. Tel n’a cependant pas été le cas de l’un de ses adjoints, victime de graves insultes de la part d’un conseiller d’opposition. Dans ce cas, l’adjoint mis en cause a porté plainte de suite. « Les faits ont été requalifiés en dommage collatéral lié à l’exercice d’une fonction publique », explique l’élue, pour qui « dans ce genre de situation, il faut réagir vite et ne surtout pas laisser s’envenimer les choses ». « Comme tout élu, j’ai forcément connu des situations d’agressivité », confie Jean-Baptiste Rousseau, maire de Soisy-sur-Seine (7 400 habitants, Essonne), vice-président en charge du budget et de la prospective financière de Grand Paris Sud. « Mais ces situations sont-elles pour autant directement liées à ma fonction ? », ­s’interroge-t-il. En effet, selon lui, « ce n’est pas toujours l’élu en tant que tel qui est visé, mais parfois sa posture, d’autant que les administrés ont souvent simplement un besoin particulier d’écoute ». Une manière de dire que la gestion d’une situation conflictuelle entre un élu ou un agent et un habitant relèverait aussi d’une nécessaire pédagogie. « Quand on est élu, on doit vite apprendre à savoir dire non, et surtout ne pas se contenter de dire “non parce que c’est la loi”», explique le maire. Et de détailler : « Nous devons apprendre à prendre le temps d’expliquer et faire preuve de pédagogie car le risque de voir une situation conflictuelle déraper dépend aussi beaucoup de notre manière de nous positionner. » En pratique, lorsqu’il est confronté à une situation conflictuelle, Jean-Baptiste Rousseau met en application les principes de la « communication non violente » (CNV) qu’il a eu l’occasion de découvrir lors d’une formation. « Il existe des techniques permettant de faire baisser la pression, car la position de chacun a une influence considérable sur le positionnement de l’autre », poursuit-il. Ainsi, quand un agent ou un élu est mis en cause par un administré dans sa commune, le maire de Soisy-sur-Seine reçoit systématiquement l’habitant concerné en mairie. L’édile constate au passage que certains agents territoriaux sont plus exposés que d’autres : policiers municipaux, agents d’accueil mais aussi parfois des techniciens territoriaux, tous au plus près du terrain et des éventuels mécontents. Autant de personnes physiques qui incarnent au quotidien l’autorité publique et la municipalité dans un climat social aussi compliqué que tendu. Mais à entendre le maire, « prendre le temps de recevoir des mécontents en face à face, cela change tout ! » Mis en cause personnellement lors de la réalisation d’un projet de rond-point dans sa ville, il a dû faire face à la colère de plusieurs habitants, dont un en particulier s’avérait virulent : « Il m’a suffi de prendre le temps de le rencontrer en mairie, en lui expliquant posément la raison d’être de ce projet au regard des accidents de la circulation. Et, après quelques minutes de discussion, il m’a finalement remercié de l’avoir reçu. » « Venu au départ pour en découdre avec le maire, cet habitant m’invitait quelque temps plus tard au vin d’honneur du mariage de sa fille ! », sourit aujourd’hui l’élu, qui estime que l’une des premières qualités exigées des élus repose autant sur leurs qualités humaines et relationnelles que sur leur indispensable exemplarité. Capacité d’écoute et aptitude à réagir très vite en cas de situation conflictuelle semblent ainsi constituer les premières clefs pour désamorcer les choses. Mais les élus ont besoin d’être soutenus. C’est pourquoi Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, et François Baroin, président de l’AMF, ont écrit, fin mars, à l’ensemble des maires de France pour les sensibiliser aux formations proposées par la Gendarmerie nationale sur la gestion des incivilités et agressions dont ils peuvent être victimes (lire ci-dessous). La police nationale proposera aussi prochainement des formations sur le même thème.

 

TÉMOIGNAGE
Stéphanie Dumoulin, maire de Chauffailles
(3 700 hab, Saône-et-Loire)
« Ne rien laisser passer »
" Il faut surtout ne rien laisser passer car après, on ne sait pas jusqu’où cela peut aller. Les élus ne sont pas là pour servir de défouloir. Chez nous, le suivi des affaires par le procureur se déroule correctement, dans une démarche de justice de proximité. Les maires n’ont pas à endosser le rôle des juges, c’est le rôle de la justice. Même si nos pouvoirs de police, en tant qu’officier de police judiciaire, nous permettent d’intervenir, ce n’est pas notre mission de nous exposer. Je préfère rester dans le dialogue et l’écoute plutôt qu’apporter des réponses répressives. Le maire se sent parfois responsable en pensant que c’est à lui d’agir. Mais en aucun cas il doit le faire seul. L’efficacité de la réponse repose, selon moi, sur le traitement immédiat d’un problème quand il survient. " 

 

TÉMOIGNAGE
Jean-Baptiste Rousseau,
 
maire de Soisy-sur-Seine (7 400 hab, Essonne) 
« Chaque situation est différente »
" L’agressivité, soit on l’entretient, soit on parvient à la faire diminuer tout de suite. Certes, en cas d’outrage avéré, les plaintes devraient être mieux suivies au niveau de la justice, qui ne devrait pas se contenter de simples rappels à la loi en cas d’agressivité réelle. Mais il ne faut pas non plus que les élus abusent de leur position. Chaque situation est différente et les élus, comme les agents, doivent savoir privilégier le volet humain dans les relations entre les administrés et l’administration, surtout dans le contexte particulier de crise sanitaire que nous traversons. En tant que maires, apprenons aussi à nous remettre en cause quand il le faut. Ces questions méritent de savoir faire preuve de nuance. " 

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Cet article a été publié dans l'édition :

n°390 - MAI 2021
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