Emploi. Comment les collectivités aident les jeunes
L'heure n'est plus aux emplois-jeunes pour lesquels les collectivités ont joué un rôle moteur, il y a près de vingt ans. Aujourd'hui, les communes se mobilisent au sein de structures d'insertion pour permettre aux 16-25 ans de se former et de trouver un emploi. Et éviter les situations de décrochage qui se sont accrues à cause de la crise sanitaire. Par Emmanuelle Stroesser
Remédier à l’absence de mobilité est une condition préalable
Or, les jeunes n’entrent pas dans les cases de Pôle emploi. La mission locale en accompagne déjà une centaine par an pour leur permis de conduire. La ville finance aussi une quinzaine de permis, en échange d’heures de travail d’intérêt collectif effectuées (espaces verts, opérations quartiers d’été, etc.). Mais surtout, la ville a mis sur pied, avec plusieurs partenaires et en utilisant des crédits politique de la ville, une «plateforme mobilité » qui rayonne sur le Sud Avesnois, avec un garage social, une auto-école sociale, un service de location de deux-roues, de vélos électriques et de voitures sans permis, un service de transport à la demande. La palette est complète et essentielle pour permettre aux jeune de se déplacer pour trouver un emploi. Dans les quartiers prioritaires, le chômage est deux fois plus élevé qu’ailleurs, celui des jeunes peut y atteindre 40 %. À Fourmies, il atteint déjà 34 %… Les chiffres de chômage sont aussi élevés dans certains quartiers bordelais. Comme celui de Benauge. Là, se trouve une maison du projet urbain et de la vie quotidienne, un espace partagé avec d’autres acteurs du quartier. Véronique Epelva, référente parcours « Prépa compétences et agir » pour l’AFPA, y accueille, depuis le début de l’année, les habitants du quartier, « beaucoup de jeunes ». Objectif : réunir les compétences au service des personnes en quête d’un emploi, en étant au plus proche d’elles, dans les quartiers populaires, grâce « à un accompagnement personnalisé et complémentaire des circuits classiques », résume Marie Dimitrova, coordinatrice régionale. « Car le manque de mobilité, c’est aussi dans la tête. Il faut aider à sortir de son confort, penser qu’une formation est possible et accessible », renchérit Christine Chartier, responsable AFPA de l’accompagnement des parcours. Cette initiative est le fruit d’un partenariat à l’échelle nationale entre le bailleur CDC Habitat, Pôle emploi et un réseau de partenaires dont l’AFPA. Cela s’appelle les antennes Axel, « vos services pour l’emploi ». L’antenne de Bordeaux est l’une des deux de Nouvelle-Aquitaine, avec celle de Mourenx. Il en existe 37 sur tout le territoire, le projet est d’en créer 50 d’ici à 2022. Le dispositif s’inscrit dans le cadre du plan gouvernemental « Un jeune, une solution » (lire ci-dessous).
Parmi les mesures :
• 100 000 nouvelles formations qualifiantes ou pré-qualifiantes sont proposées aux jeunes sans qualification ou en échec dans les métiers d’avenir.
• doublement des garanties jeunes (200 000 en 2021).
• Hausse des parcours contractualisés d’accompagnement vers l’emploi (360 000).
• Augmentation des parcours emplois compétence (+ 60 000 en 2021) et du contrat initiative emploi jeunes (+ 50 000 en 2021).
• Primes à l’embauche en contrat de professionnalisation/d’apprentissage de jeunes.
• + 100 000 services civiques en 2020/2021.
• 35 000 parcours individualisés de formation pour les 16-18 ans décrocheurs.
• Mentorat : 100 000 jeunes suivis dès 2021. Objectif : 200 000 en 2022.
À l’antenne, le travail est concret, les liens avec les partenaires, quotidiens. « Les éducateurs orientent des jeunes, la mission locale nous sollicite pour mettre en immersion des jeunes sur nos plateaux techniques, par exemple pour découvrir la plomberie. J’aide les jeunes à rédiger un CV, on est en lien avec le centre social », énumère Véronique Epelva, intarissable sur ce public jeune, « plus volatile ». « Ils sont souvent dans l’exigence d’une réponse immédiate, on y répond déjà en étant là. Mettre en confiance et en relation, parfois cela suffit. » Chaque année, des milliers de jeunes quittent l’école sans le bac (général ou professionnel). Ils commencent à travailler ou à ne rien faire. Ou les deux. Leurs parcours sont forcément singuliers, chaotiques. Une dizaine d’entre eux se retrouvent comme chaque jour de la semaine à l’école de la 2e chance (E2C), installée à Saint-Michel, dans l’agglomération d’Angoulême (16). Ils s’appellent Enzo, Daniella, Thomas, Évelyne, Arien, Samantha, Rose, Delphine, Solas, Johan, Elijah. Ils ont entre 17 et 28 ans. Tous décrivent un échec scolaire. Certains ont fait des petits boulots pendant sept ans, comme Daniella. D’autres n’ont même pas travaillé, « j’ai retrouvé ici un rythme que je n’avais plus à la maison, je ne voyais plus personne d’autre que les gens du café », rigole Thomas. Évelyne est « l’ancienne », entrée dans la 1re promotion, fin 2019. L’école venait d’ouvrir. Elle entrevoit aujourd’hui un contrat d’apprentissage, à l’automne, si elle décroche le permis de conduire. Tous font partie de ceux que l’administration appelle « NEET » pour jeunes « ni en emploi ni en études ni en formation », soit 13,5 % des 15-29 ans en 2020 (1,5 million), selon l’INSEE. « Il fallait autre chose sur le territoire que la mission locale », explique Anne-Laure Willaumez, adjointe au maire d’Angoulême. Elle est à l’origine du projet d’école de la 2e chance avec une autre élue. Il leur a fallu quatre ans pour le concrétiser. Plutôt que de faire une création ex nihilo, elles ont cherché un appui auprès de l’E2C Charente et Poitou (Châtellerault et Niort). « Cela nous a fait gagner du temps et de l’énergie. » L’objectif est d’accueillir 121 jeunes cette année. Sur place, Carole Fauconnet, la coordinatrice, gère l’équipe d’éducateurs. Le leitmotiv ? « Une pédagogie innovante et individualisée. » Le directeur de l’E2C, Christophe Ingrand, préfère parler de « coaching » plutôt que d’accompagnement. Cela prend le temps nécessaire au jeune, en moyenne huit mois. « Tous sont motivés, c’est l’un des critères de l’entretien d’entrée, mais ils ont ensuite des cycles, certains sont dans la fuite », explique Carole Fauconnet. L’E2C continue de suivre le jeune un an après sa sortie, son «attestation de compétences acquises » en poche. À Fourmies, Maxence Simpere a aussi fait ouvrir une E2C, « grâce à l’appui financier de la région » des Hauts-de-France. « On arrive à raccrocher des jeunes (de 18 à 25 ans) qui avaient quitté le système scolaire et étaient sortis des radars, assure-t-il. Ils ont été traumatisés par l’école, l’E2C est là pour les remettre d’aplomb, il faut se lever, être propre, poli, souriant et d’attaque, c’est super ! », résume l’élu. Anne-Laure Willaumez acquiesce. « Cela fonctionne très bien. On a récupéré des jeunes à la rue ». L’école de la 2e chance, peu de gens connaissent. Les jeunes eux-mêmes ne popularisent pas le nom car ils ne l’aiment pas. À leur entourage, ils disent être « en reconversion » ou « en formation ». La critique vaut aussi pour les missions locales. Jacques Chabot, président de la communauté de communes 4B Sud Charente (40 communes, 20 071 hab.), est le premier à les défendre. Il a présidé celle d’Arc Charente jusque fin 2020. Mais « quel nom ! », raille-t-il. Comment peut-on encore imaginer que cela puisse parler aux jeunes et à quiconque d’ailleurs ? » Cela participe peut-être de cette méconnaissance des missions locales par les élus eux-mêmes. Remédier à cette méconnaissance est d’autant plus nécessaire pour convaincre les collectivités de l’intérêt de participer financièrement à leur fonctionnement (lire ci-dessous).
Stéphane Valli, président de l’Union nationale
des missions locales (UNML*),
maire de Bonneville (74)
« Nous avons besoin des collectivités »
Jobs d’été, apprentissage et réseau !
Pour amortir les effets de la Covid-19, certaines communes et des conseils départementaux (Essonne, Seine-Saint-Denis, etc.) recrutent par dizaines des jeunes en vue de cet été. Le gouvernement a, lui, remis des moyens sur les parcours emplois compétence (PEC, lire ci-dessus " Un plan, une solution "), les services civiques, l’apprentissage. La mairie de Fourmies a d’ailleurs recruté des emplois aidés, mais réduit la voilure à environ une trentaine «car les conditions sont plus exigeantes en matière de suivi et de formation ». Surtout, Maxime Simpere n’est pas vraiment convaincu de leur rôle de tremplin. De façon plus durable, c’est l’apprentissage qui fait un bond. La voie est privilégiée depuis quelques mois par le gouvernement. Au ministère du Travail et de l’Emploi, on salue « une année record » (+ 40 % d’apprentis en 2020 par rapport à 2019), sous le double effet de l’incitation financière et la création de CFA. « L’une des solutions les plus efficaces pour lutter contre le chômage des jeunes », insistait la ministre, Élisabeth Borne, lors d’un bilan présenté en Conseil des ministres, en mars 2021.
(Source : ministère du Travail, mars 2021).
Certaines villes s’y lancent franchement. Marseille a passé l’annonce sur les réseaux sociaux en avril : la ville recrute 120 jeunes en apprentissage, du CAP au master, « afin de leur permettre d’accéder à un emploi qualifié dans différentes filières ». Des choses peuvent changer plus vite, sans forcément coûter plus cher, pointe Anne-Laure Willaumez. Car les jeunes ont besoin de relations, « c’est même l’essentiel de ce que l’on peut leur apporter ». Cela se développe de façon plus ou moins formelle. Sous la forme de parrainage comme dans les missions locales. La pratique apparaît toutefois plus ou moins développée. Elle repose sur l’accompagnement de jeunes par des bénévoles, des professionnels en activité ou des élus, de jeunes retraités, sur le principe du partage d’expérience et de réseau sur une moyenne de six mois, explique Pauline Chadourne, chargée de mission à l’Union régionale des missions locales de Nouvelle-Aquitaine. Cela demande donc des bénévoles, et de la disponibilité. Signe des temps, le gouvernement va développer le mentorat. Une autre forme de parrainage. Il a lancé une grande campagne d’appel à projets en mars, pour soutenir les associations chargées de l’installer. Jacques Chabot veut croire que cela puisse remédier à un phénomène décrit par des entreprises, selon lequel « les jeunes zappent dès qu’ils en ont marre ». Entre les jeunes qui disent « il n’y a rien pour nous » et les plus âgés qui disent qu’ils ne fichent rien, « il est temps de changer nos regards sur les jeunes », tranche Maxence Simpere, « et de ne pas les laisser seuls ».
Cet article a été publié dans l'édition :
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