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05/05/2021
Écoles, éducation, alimentation Emploi

Emploi. Comment les collectivités aident les jeunes

L'heure n'est plus aux emplois-jeunes pour lesquels les collectivités ont joué un rôle moteur, il y a près de vingt ans. Aujourd'hui, les communes se mobilisent au sein de structures d'insertion pour permettre aux 16-25 ans de se former et de trouver un emploi. Et éviter les situations de décrochage qui se sont accrues à cause de la crise sanitaire. Par Emmanuelle Stroesser

Illustration
© AdobeStock
Plus de 500 000 jeunes ont signé un contrat d'apprentissage en 2020. Cet accroissement record tient, selon le gouvernement, aux aides du plan « 1 jeune, 1 solution ».
Ce mercredi de la mi-avril, la commune de Confolens (2 673 hab.), en Charente, est calme comme un jour de confinement. Dans les locaux de l’antenne de la mission locale Arc Charente, nichée derrière le siège de la communauté de communes de Charente Limousine, Nicolas, 17 ans, masque noir, sort du bureau de sa conseillère. Il vient de signer son parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi (PACEA, lire ci-dessous). Ce contrat d’engagement le lie avec la mission locale pour deux ans, ou moins. Son stylo n’a pas tremblé. Comme il n’avait pas tremblé, le 9 mars, lorsqu’il avait remis sa lettre de démission au lycée professionnel. La période de confinement, à l’automne, a rajouté de l’isolement à l’ennui scolaire. Nicolas a « décroché ». Lucide, il n’élude pas, «si je n’étais pas parti, ils m’auraient fait partir ». « Problèmes de comportement », livre-t-il pour toute explication. Ses yeux sourient. Son père voulait qu’il continue au moins jusqu’au bac, sa mère l’a accompagné à la mission aujourd’hui. Ici, sans voiture, la liberté se limite aux kilomètres que chacun peut faire à pied… Nicolas vit à 13 km de Confolens. Depuis la rentrée 2020, les missions locales assument la mise en œuvre de l’obligation de formation des 16-18 ans, désormais inscrite dans la loi. « C’est comme cela que nous avons été avertis du décrochage de Nicolas, par le lycée. Mais il est venu nous voir sans qu’il ait été besoin de l’appeler », explique le directeur de la mission locale Arc Charente, Olivier Lacroix. C’était il y a un mois. « J’apprends à découvrir l’envers du décor, j’obtiens des conseils. Aujourd’hui, on a fait le CV, sans cela, je resterai à la maison », raconte Nicolas. Ce qu’il recherche ? « Un métier à aimer. » Ce n’est pas si simple car il n’a pas encore 18 ans (en juin). Il ne veut pas tenter de formation. L’échec du CAP boulangerie, à peine franchi le seuil de la boutique, a laissé de l’amertume. Il va donc chercher un stage. C’est son premier « devoir » d’ici à la prochaine rencontre avec sa conseillère, dans un mois, ou « quand tu veux d’ici là », lui glisse-t-elle. Le directeur de la mission locale et son équipe ont démarché beaucoup d’entreprises locales pour qu’elles accueillent des jeunes. Ces immersions, favorisant une mise en situation professionnelle, sont très utilisées pour permettre aux jeunes de se confronter à la réalité. L’exemple de Nicolas illustre une époque et un contexte. Celui de jeunes parfois perdus, ou démotivés, pas dénués d’envies mais souvent coincés. Milieu urbain, milieu rural, les difficultés ne s’opposent pas forcément. Si les problèmes de mobilité sont évidents en milieu rural, il n’est pas toujours plus facile de sortir de son quartier non plus. Freins physiques d’un côté, freins psychologiques de l’autre. Autre département, autre milieu, cette fois urbain, dans le Nord, à Fourmies (11 932 hab.). Jeune élu, Maxence Simpere s’est attaqué à ces questions de mobilité lors de son premier mandat. C’était en 2014. Il avait 22 ans. Il voulait la délégation jeunesse. « La mobilité, même en ville, c’est le problème d’une personne sur trois chez nous. » Pour les jeunes, c’est « le » frein vers l’emploi ou la formation. « Notre rôle d’élus, c’est de boucher les trous, estime-t-il, de récupérer ceux qui ne sont pas repérés ou pris en charge par ailleurs. »
 

Remédier à l’absence de mobilité est une condition préalable

Or, les jeunes n’entrent pas dans les cases de Pôle emploi. La mission locale en accompagne déjà une centaine par an pour leur permis de conduire. La ville finance aussi une quinzaine de permis, en échange d’heures de travail d’intérêt collectif effectuées (espaces verts, opérations quartiers d’été, etc.). Mais surtout, la ville a mis sur pied, avec plusieurs partenaires et en utilisant des crédits politique de la ville, une «plateforme mobilité » qui rayonne sur le Sud Avesnois, avec un garage social, une auto-école sociale, un service de location de deux-roues, de vélos électriques et de voitures sans permis, un service de transport à la demande. La palette est complète et essentielle pour permettre aux jeune de se déplacer pour trouver un emploi. Dans les quartiers prioritaires, le chômage est deux fois plus élevé qu’ailleurs, celui des jeunes peut y atteindre 40 %. À Fourmies, il atteint déjà 34 %… Les chiffres de chômage sont aussi élevés dans certains quartiers bordelais. Comme celui de Benauge. Là, se trouve une maison du projet urbain et de la vie quotidienne, un espace partagé avec d’autres acteurs du quartier. Véronique Epelva, référente parcours « Prépa compétences et agir » pour l’AFPA, y accueille, depuis le début de l’année, les habitants du quartier, « beaucoup de jeunes ». Objectif : réunir les compétences au service des personnes en quête d’un emploi, en étant au plus proche d’elles, dans les quartiers populaires, grâce « à un accompagnement personnalisé et complémentaire des circuits classiques », résume Marie Dimitrova, coordinatrice régionale. « Car le manque de mobilité, c’est aussi dans la tête. Il faut aider à sortir de son confort, penser qu’une formation est possible et accessible », renchérit Christine Chartier, responsable AFPA de l’accompagnement des parcours. Cette initiative est le fruit d’un partenariat à l’échelle nationale entre le bailleur CDC Habitat, Pôle emploi et un réseau de partenaires dont l’AFPA. Cela s’appelle les antennes Axel, « vos services pour l’emploi ». L’antenne de Bordeaux est l’une des deux de Nouvelle-Aquitaine, avec celle de Mourenx. Il en existe 37 sur tout le territoire, le projet est d’en créer 50 d’ici à 2022. Le dispositif s’inscrit dans le cadre du plan gouvernemental « Un jeune, une solution » (lire ci-dessous).
 

« Un jeune, une solution »
Le plan gouvernemental cible les 16/25 ans. L’enjeu est de faciliter l’entrée dans la vie professionnelle, soutenir l’orientation et la formation «vers des métiers d’avenir » et accompagner 300 000 jeunes éloignés de l’emploi.
Parmi les mesures :
• 100 000 nouvelles formations qualifiantes ou pré-qualifiantes sont proposées aux jeunes sans qualification ou en échec dans les métiers d’avenir.
• doublement des garanties jeunes (200 000 en 2021).
• Hausse des parcours contractualisés d’accompagnement vers l’emploi (360 000).
• Augmentation des parcours emplois compétence (+ 60 000 en 2021) et du contrat initiative emploi jeunes (+ 50 000 en 2021).
• Primes à l’embauche en contrat de professionnalisation/d’apprentissage de jeunes.
• + 100 000 services civiques en 2020/2021.
• 35 000 parcours individualisés de formation pour les 16-18 ans décrocheurs.
• Mentorat : 100 000 jeunes suivis dès 2021. Objectif : 200 000 en 2022.

 

À l’antenne, le travail est concret, les liens avec les partenaires, quotidiens. « Les éducateurs orientent des jeunes, la mission locale nous sollicite pour mettre en immersion des jeunes sur nos plateaux techniques, par exemple pour découvrir la plomberie. J’aide les jeunes à rédiger un CV, on est en lien avec le centre social », énumère Véronique Epelva, intarissable sur ce public jeune, « plus volatile ». « Ils sont souvent dans l’exigence d’une réponse immédiate, on y répond déjà en étant là. Mettre en confiance et en relation, parfois cela suffit. » Chaque année, des milliers de jeunes quittent l’école sans le bac (général ou professionnel). Ils commencent à travailler ou à ne rien faire. Ou les deux. Leurs parcours sont forcément singuliers, chaotiques. Une dizaine d’entre eux se retrouvent comme chaque jour de la semaine à l’école de la 2e chance (E2C), installée à Saint-Michel, dans l’agglomération d’Angoulême (16). Ils s’appellent Enzo, Daniella, Thomas, Évelyne, Arien, Samantha, Rose, Delphine, Solas, Johan, Elijah. Ils ont entre 17 et 28 ans. Tous décrivent un échec scolaire. Certains ont fait des petits boulots pendant sept ans, comme Daniella. D’autres n’ont même pas travaillé, « j’ai retrouvé ici un rythme que je n’avais plus à la maison, je ne voyais plus personne d’autre que les gens du café », rigole Thomas. Évelyne est « l’ancienne », entrée dans la 1re promotion, fin 2019. L’école venait d’ouvrir. Elle entrevoit aujourd’hui un contrat d’apprentissage, à l’automne, si elle décroche le permis de conduire. Tous font partie de ceux que l’administration appelle « NEET » pour jeunes « ni en emploi ni en études ni en formation », soit 13,5 % des 15-29 ans en 2020 (1,5 million), selon l’INSEE. « Il fallait autre chose sur le territoire que la mission locale », explique Anne-Laure Willaumez, adjointe au maire d’Angoulême. Elle est à l’origine du projet d’école de la 2e chance avec une autre élue. Il leur a fallu quatre ans pour le concrétiser. Plutôt que de faire une création ex nihilo, elles ont cherché un appui auprès de l’E2C Charente et Poitou (Châtellerault et Niort). « Cela nous a fait gagner du temps et de l’énergie. » L’objectif est d’accueillir 121 jeunes cette année. Sur place, Carole Fauconnet, la coordinatrice, gère l’équipe d’éducateurs. Le leitmotiv ? « Une pédagogie innovante et individualisée. » Le directeur de l’E2C, Christophe Ingrand, préfère parler de « coaching » plutôt que d’accompagnement. Cela prend le temps nécessaire au jeune, en moyenne huit mois. « Tous sont motivés, c’est l’un des critères de l’entretien d’entrée, mais ils ont ensuite des cycles, certains sont dans la fuite », explique Carole Fauconnet. L’E2C continue de suivre le jeune un an après sa sortie, son «attestation de compétences acquises » en poche. À Fourmies, Maxence Simpere a aussi fait ouvrir une E2C, « grâce à l’appui financier de la région » des Hauts-de-France. « On arrive à raccrocher des jeunes (de 18 à 25 ans) qui avaient quitté le système scolaire et étaient sortis des radars, assure-t-il. Ils ont été traumatisés par l’école, l’E2C est là pour les remettre d’aplomb, il faut se lever, être propre, poli, souriant et d’attaque, c’est super ! », résume l’élu. Anne-Laure ­Willaumez acquiesce. « Cela fonctionne très bien. On a récupéré des jeunes à la rue ». L’école de la 2e chance, peu de gens connaissent. Les jeunes eux-mêmes ne popularisent pas le nom car ils ne l’aiment pas. À leur entourage, ils disent être « en reconversion » ou « en formation ». La critique vaut aussi pour les missions locales. Jacques Chabot, président de la communauté de communes 4B Sud Charente (40 communes, 20 071 hab.), est le premier à les défendre. Il a présidé celle d’Arc ­Charente jusque fin 2020. Mais « quel nom ! », raille-t-il. Comment peut-on encore imaginer que cela puisse parler aux jeunes et à quiconque d’ailleurs ? » Cela participe peut-être de cette méconnaissance des missions locales par les élus eux-mêmes. Remédier à cette méconnaissance est d’autant plus nécessaire pour convaincre les collectivités de l’intérêt de participer financièrement à leur fonctionnement (lire ci-dessous).

 

Témoignage
Stéphane Valli, président de l’Union nationale
des missions locales (UNML*),
maire de Bonneville (74)
« Nous avons besoin des collectivités »
Les jeunes seront les plus impactés par la baisse de croissance, avec des difficultés accrues d’accès à l’emploi, qu’ils sortent de formation, diplômés ou non, ou qu’ils soient licenciés. Ce que nous défendons, c’est un droit à l’accompagnement et une approche globale du jeune. L’insertion professionnelle d’un jeune nécessite un projet personnel et professionnel. Car un jeune sans logement ne peut pas trouver un travail durablement ou s’inscrire dans une démarche d’insertion. Idem s’il a des difficultés de mobilité. On a donc besoin des collectivités pour nous aider à trouver des solutions sur ces freins périphériques, que ce soit les départements, les communes (pour leur compétence logement notamment), les CCAS. Les compétences formation et emploi relèvent plutôt de l’État et de la région. Les collectivités apportent un «plus » à ce travail. Elles sont membres de droit des missions locales, qu’elles financent en complément de l’État et des régions. La force de ce réseau, c’est sa territorialisation. Il nous faut amener les permanences au plus près des jeunes. Nous avons donc besoin aussi des collectivités (mise à disposition de locaux). Et ce, d’autant plus que l’État nous donne les moyens de recruter 1 500 conseillers pour soutenir l’insertion professionnelle des jeunes ». * www.unml.info  

 

Jobs d’été, apprentissage et réseau !

Pour amortir les effets de la Covid-19, certaines communes et des conseils départementaux (Essonne, Seine-Saint-Denis, etc.) recrutent par dizaines des jeunes en vue de cet été. Le gouvernement a, lui, remis des moyens sur les parcours emplois compétence (PEC, lire ci-dessus " Un plan, une solution "), les services civiques, l’apprentissage. La mairie de Fourmies a d’ailleurs recruté des emplois aidés, mais réduit la voilure à environ une trentaine «car les conditions sont plus exigeantes en matière de suivi et de formation ». Surtout, Maxime Simpere n’est pas vraiment convaincu de leur rôle de tremplin. De façon plus durable, c’est l’apprentissage qui fait un bond. La voie est privilégiée depuis quelques mois par le gouvernement. Au ministère du Travail et de l’Emploi, on salue « une année record » (+ 40 % d’apprentis en 2020 par rapport à 2019), sous le double effet de l’incitation financière et la création de CFA. « L’une des solutions les plus efficaces pour lutter contre le chômage des jeunes », insistait la ministre, Élisabeth Borne, lors d’un bilan présenté en Conseil des ministres, en mars 2021.

1,3 million de jeunes de moins de 26 ans ont été recrutés entre août 2020 et janvier 2021 en CDI ou CDD de plus de 3 mois 
(Source : ministère du Travail, mars 2021).

Certaines villes s’y lancent franchement. Marseille a passé l’annonce sur les réseaux sociaux en avril : la ville recrute 120 jeunes en apprentissage, du CAP au master, « afin de leur permettre d’accéder à un emploi qualifié dans différentes filières ». Des choses peuvent changer plus vite, sans forcément coûter plus cher, pointe Anne-Laure Willaumez. Car les jeunes ont besoin de relations, « c’est même l’essentiel de ce que l’on peut leur apporter ». Cela se développe de façon plus ou moins formelle. Sous la forme de parrainage comme dans les missions locales. La pratique apparaît toutefois plus ou moins développée. Elle repose sur l’accompagnement de jeunes par des bénévoles, des professionnels en activité ou des élus, de jeunes retraités, sur le principe du partage d’expérience et de réseau sur une moyenne de six mois, explique Pauline Chadourne, chargée de mission à l’Union régionale des missions locales de Nouvelle-Aquitaine. Cela demande donc des bénévoles, et de la disponibilité. Signe des temps, le gouvernement va développer le mentorat. Une autre forme de parrainage. Il a lancé une grande campagne d’appel à projets en mars, pour soutenir les associations chargées de l’installer. Jacques Chabot veut croire que cela puisse remédier à un phénomène décrit par des entreprises, selon lequel « les jeunes zappent dès qu’ils en ont marre ». Entre les jeunes qui disent « il n’y a rien pour nous » et les plus âgés qui disent qu’ils ne fichent rien, « il est temps de changer nos regards sur les jeunes », tranche Maxence Simpere, « et de ne pas les laisser seuls ».

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Cet article a été publié dans l'édition :

n°390 - MAI 2021
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