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Maires de France


Dossiers et enquêtes
01/01/1970 Décembre 2019 - n°374
Urbanisme Intercommunalité

Urbanisme : est-il possible de limiter les sols artificialisés ?

La France s'engage vers un "zéro artificialisation des sols". Mais les maires peuvent-ils limiter l'étalement des villes ? Illustration dans l'Hérault où, en un demi-siècle, la population a doublé et la tache urbaine triplé.

Au rythme actuel, ce sont 280 000 ha d'espaces naturels qui seront artificialisés d'ici 2030.
Des mesures incitant à la « densification » sont préconisées.
© Leonid Andronov
Au rythme actuel, ce sont 280 000 ha d'espaces naturels qui seront artificialisés d'ici 2030. Des mesures incitant à la « densification » sont préconisées.
Les terres françaises sont très, voire trop artificialisées. Si la consommation d’espace s’avère variable selon les territoires, elle «reste très élevée, avec une moyenne de 27 000 ha/an entre 2006 et 2016, soit l’équivalent de 4 à 5 terrains de football par heure ». Face à ce constat alarmant pointé par une instruction du gouvernement du 29 juillet dernier (1) à l’adresse des préfets, l’État souhaite imposer un meilleur usage des terres et des projets urbanistiques plus vertueux d’un point de vue environnemental. La gestion économe de l’espace est ainsi affichée dans ce texte comme un «objectif de convergence et de cohérence » des politiques publiques : «Il est essentiel de promouvoir des projets urbains qui délaissent une logique d’offre foncière au profit d’une vision politique et d’un projet de territoire raisonné », précise cette instruction, mal reçue par beaucoup d’élus locaux (lire ci-contre). 
L’étalement des agglomérations et des périphéries a notamment été porté par l’essor des quartiers pavillonnaires et des zones d’activités (ZA). À l’heure où les premiers centres commerciaux ouverts en France fêtent leurs 50 ans, une synthèse du Conseil national des centres commerciaux (CNCC) indique qu’aujourd’hui, ils sont 834 dont seulement 20 % en centre-ville. Pour Alexandre de Lapisse, directeur des études à la Fédération pour la promotion du commerce spécialisé (Procos), «la croissance démographique se fait dans les zones périurbaines, pour des questions de prix et de confort. Le développement du commerce dans ces territoires est une conséquence de cette croissance. Les zones commerciales risquent donc de s’étendre encore autour des grandes villes. D’ailleurs, on continue à construire des surfaces commerciales sans en détruire. » En effet, selon le CNCC, 14 projets de créations de centres commerciaux sont en cours pour les trois ans à venir. «Les maires sont généralement favorables à ces projets, d’autant que la population est souvent demandeuse de nouvelles enseignes, commente Alexandre de Lapisse. Et quel serait l’intérêt d’un élu de les refuser ? Elles apportent des taxes et des emplois… Voilà pourquoi les trois quarts des m2 présentés en commission départementale de l’aménagement commercial – CDAC – sont acceptés. »

L’exemple édifiant de l’Hérault

L’une des premières études en France sur l’étalement urbain a été établie en 2016 par la direction départementale des Territoires et de la mer (DDTM) de l’Hérault. Son constat est édifiant : en 30 ans, près de 17 000 ha ont été artificialisés dans ce département, soit l’équivalent de 52 places de parking par heure. Dans ce même laps de temps, la «tache urbaine » a doublé et 62 % des terres de la plaine littorale ont été consommées. Une seule génération a ainsi urbanisé autant que les 33 précédentes… «Notre étude souhaitait interpeller les acteurs publics afin de réduire par deux le rythme de consommation de l’espace d’ici 2020 », explique Matthieu Grégory, directeur de la DDTM. «Les collectivités locales ont la compétence en matière d’urbanisme et d’aménagement. L’État ne fait que donner son avis. Les élus peuvent choisir de construire la ville sur la ville, ou l’étendre. Notre mission, c’est de les convaincre qu’on ne peut plus faire comme autrefois. Un nombre croissant de maires juge notre démarche bien-fondée, d’autres estiment qu’il s’agit d’une ingérence dans leurs compétences. »
Mais « construire la ville sur la ville » s’avère souvent complexe, coûteux, contraignant, entraîne nuisances et engorgement, comme l’illustre le cas de Pignan. Située à l’ouest de Montpellier, cette commune a vu d’anciennes vignes disparaître pour laisser place au quartier Saint-Estève, bâti en périphérie en 2018. Cette ZAC de 30 ha comprend 700 logements collectifs (dont 30 % de logements sociaux), 250 maisons individuelles, des locaux commerciaux, un hypermarché et un fast-food. Soit, à terme, environ 1 600 habitants pour cette commune qui en comptait 6 300. « Ce projet était déjà entériné par l’ancienne équipe municipale. Nous ne souhaitions pas nous y opposer car nous avions besoin de logements sociaux », explique Denis Galinier, adjoint à l’urbanisme. Cette opération satisfait d’autant plus la ville que « tous les logements sont pleins », et que le cœur du village est resté identique : « Nous essayons de limiter la densification dans le centre de Pignan, poursuit Denis Galinier. Sur une parcelle libre occupée autrefois par une seule maison, il serait possible de construire 20 logements. Mais nous ne le souhaitons pas, pour conserver l’âme du village. De plus, si nous densifions notre centre, concentré sur 2 km2 et constitué de petites rues, nous serons confrontés à des problèmes de circulation et de stationnement. » Difficile, dès lors, de promouvoir l’habitat « intra muros », d’autant que les entreprises, les aménageurs, les promoteurs préfèrent aussi construire en périurbain… 
Le « zéro artificiali­sation nette » (ZAN), prévue par le plan pour la biodiversité de 2018, relève-t-il donc du pari ou bien de l’utopie ? Un rapport de France Stratégie (2), commandé par le gouvernement et rendu public en juillet 2019, rappelle qu’une trentaine de taxes sont liées aux terrains urbanisables, sources de financement importantes pour les collectivités locales.

Les propositions de France Stratégie 

La taxe foncière a ainsi généré 41 MdsE en 2017, la taxe d’habitation 22,5 MdsE – elle sera remplacée en 2021 par le transfert aux communes de la part départementale du foncier bâti, et la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) 945 ME. Dans ce contexte, pour tendre plus vite vers le « ZAN », France Stratégie suggère la mise en place d’outils règlementaires ou fiscaux. Parmi ceux-ci : imposer une obligation de densification par l’instauration dans les PLU d’un plancher de densité, et d’un taux minimal de renouvellement urbain dans chaque commune pour les constructions nouvelles. L’organisme propose également d’exclure de l’éligibilité au dispositif Pinel et au PTZ les constructions sur des terres non artificialisées, et d’exonérer de taxe d’aménagement les projets qui ne changent pas l’emprise au sol du bâti. Ces préconisations s’appuient sur un constat : il est parfois plus aisé de construire que de remplir. France Stratégie pointe ainsi une importante sous-exploitation des logements (8 % du parc vacant en 2015, soit 2,8 millions de logements selon l’Insee). Environ 10 % des bureaux et locaux commerciaux seraient eux aussi vides. 

Les élus défendent leur stratégie

Dans l’Hérault, l’étude de la DDTM relève ce même problème de vacance dans l’habitat ainsi que dans les zones d’activités économiques ou commerciales qui se sont développées « massivement », quitte à se remplir difficilement. « Derrière la multiplication des zones d’activités, des logiques concurrentielles entre territoires sont à l’œuvre, résultantes du manque de stratégie d’ensemble », note son rapport. Matthieu Grégory souligne un autre point faible de ces ZA : « Elles n’ont pas créé beaucoup d’emplois. Elles les ont surtout déplacés. Mais le bilan d’un élu se mesure souvent, aux yeux des acteurs économiques, en termes de consommation d’espace. »
L’agglomération de Béziers est ainsi épinglée par la DDTM pour la « dispersion », la « multiplication » et le « manque de stratégie d’aménagement » de ses ZA. Elle se défend par la voix de Christophe Thomas, vice-président de Béziers Méditerranée en charge de l’économie et de l’emploi : « Nous devons avoir une vision à long terme, raisonner pour les vingt ans à venir. » L’élu reconnaît que dans un contexte de concurrence entre Béziers, Montpellier et Narbonne, chacun essaie de vendre au mieux son territoire. « Mais, ajoute-t-il, il nous faut répondre aux flux migratoires, et nous n’avons pas de vacance sur nos zones d’activités. » 
Pour Philippe Saurel, maire de Montpellier et président 

20 000    
hectares : la superficie d’espaces naturels qui ­disparaissent chaque année sous le béton.
43 % 
des m2 construits entre 2006 et 2014 l’ont été sur des terres déjà ­artificialisées et 26 % en continuité du bâti existant. Source : France Stratégie, juillet 2019.

de Montpellier Méditerranée Métropole, l’urbanisation n’est pas incompatible avec la préservation de l’environnement. Lui-même s’estime « dans les clous » face à l’étalement de sa ville. « On ne peut pas tout résoudre : faire face à une forte croissance démographique, gérer les risques majeurs, organiser les transports dans une zone de transit comme la nôtre… » Concernant l’habitat, le maire indique que Montpellier « délivre très peu de permis de construire pour des maisons individuelles. La densification de l’habitat se fait le long des lignes de tramway ». Pourtant, la ville ne cesse de croître, notamment vers le sud-est, une zone marquée par l’inauguration, il y a dix ans, d’Odysseum, un pôle ludique et commercial de 150 000 m2. Depuis, l’artificialisation du secteur se poursuit, avec le doublement de l’A9 et la vaste gare Sud de France. D’autres projets sont en cours : une ZAC de 60 ha, un stade de football, un palais des sports… « La promotion immobilière reste le moteur économique de l’Hérault », constate Matthieu Grégory.
Dans l’Hérault comme ailleurs, les conséquences de l’urbanisation sont connues : chute vertigineuse de la biodiversité, destruction des milieux naturels, banalisation des paysages, réduction des surfaces agricoles, augmentation des risques majeurs, émission de CO2… Les parkings goudronnés représentent à eux seuls une atteinte majeure à la biodiversité. De plus, l’étalement urbain affaiblit le cœur des communes, entraînant leur paupérisation, une vacance des logements, une dégradation du patrimoine. L’éloignement des centres-villes engendre en outre de nouveaux besoins en transports et en réseaux, multiplie les déplacements et les coûts de la mobilité.
Face à l’urgence environnementale, le rapport de France Stratégie préconise de «renaturer », autrement dit de dépolluer et rendre des terrains à la nature. Mais ce processus coûte cher : entre 100 et 400 € le m2. Pour le financer, l’organisme propose d’ajouter une composante «artificialisation » à la taxe d’aménagement, puis d’en reverser les recettes à des opérations de renaturation et de densification du foncier bâti.
Le gouvernement a annoncé, cet été, la création d’un groupe de travail commun avec le ministère de l’Agriculture et celui de la Cohésion des territoires. Ses conclusions, attendues pour le printemps 2020, doivent permettre d’établir un calendrier plus précis afin d’atteindre le «zéro artificialisation nette ».  

Sarah FINGER

(1) Instruction NOR : LOGL1918090J. (2) www.strategie.gouv.fr (rubrique Publications).


Les élus craignent une recentralisation de l’urbanisme
Dans une instruction du 29 juillet 2019 (NOR : LOGL1918090J), le gouvernement invite fermement les préfets à faire pression sur les élus pour les inciter à un urbanisme « sobre, vertueux et dense ». «L’État doit être très présent dans le processus d’élaboration des documents d’urbanisme » des ­collectivités, souligne l’instruction. Elle invite les préfets à intervenir a posteriori pour faire modifier les documents d’urbanisme qui n’iraient pas dans le sens préconisé par l’État. Les services de l’État disposent de leviers réglementaires pour demander à la collectivité d’apporter les modifications jugées nécessaires. 
Les élus désapprouvent le ton de cette instruction et craignent de voir les préfets intervenir de façon autoritaire dans l’instruction de leurs documents d’urbanisme et d’aménagement. 

Ruralité, villes moyennes : les mesures du gouvernement

L’instruction du 29 juillet 2019 demande aux préfets de mobiliser les nouveaux outils mis en place par la loi Élan – tels que les opérations de revitalisation des territoires (ORT). Les maires devront être invités à utiliser les nouveaux ­dispositifs « permettant d’accorder des bonus de constructibilité, notamment pour transformer les bureaux en logement ». 
Le gouvernement a aussi annoncé, le 20 septembre, dans le cadre de l’agenda pour la ruralité, sa volonté de privilégier la rénovation dans l’ancien. Le dispositif «Denormandie dans l’ancien », donnant lieu à des exonérations fiscales pour des travaux de rénovation dans le bâti ancien, va être amélioré. Le prêt social location accession à l’ancien dans les territoires ruraux sera étendu. Pour préserver le foncier agricole, le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation va lancer une concertation à laquelle les élus locaux seront associés. Le programme Action cœur de ville, qui cible les villes moyennes, vise à faciliter l’émergence de projets urbains innovants en centre-ville et à réguler le développement du commerce en périphérie. 

 

Julien Fosse, auteur du rapport 
de France Stratégie, «Objectif : zéro artificialisation nette »
« Les élus sont confrontés à des objectifs contradictoires »
Sait-on précisément quelle est la surface artificialisée chaque année en France ? 
Vingt mille hectares correspond à une estimation basse, basée sur les données du cadastre qui n’intègrent pas toutes les parcelles existantes. Selon les façons de mesurer l’artificialisation, les résultats diffèrent. Créé en mai 2019, l’Observatoire national de l’artificialisation des sols devrait, d’ici 2021, proposer une base de données précise.
Comment votre rapport a-t-il été accueilli par les maires ?
Plutôt positivement. Mais ils sont confrontés à des objectifs contradictoires : la préservation des terres agricoles, le développement économique, la volonté de créer de l’emploi et de porter le dynamisme local… Leur prise de conscience des enjeux environnementaux est très récente. Ils souhaitent un accompagnement par les services de l’État. Le renouvellement urbain, plutôt que la construction en périphérie, nécessite en effet une vraie ­coordination, une stratégie commune. 
Quels leviers seraient les plus pertinents pour consommer moins d’espaces naturels ?  
Il faut notamment revoir certaines aides à la pierre qui encouragent les constructions et réorienter les aides de l’État vers la rénovation des logements en centre-ville. Le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires incite déjà les collectivités locales à limiter l’usage des sols. Mais des outils plus coercitifs seraient à envisager si on souhaite des résultats rapides.
Propos recueillis par S. F.


 

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Cet article a été publié dans l'édition :

n°374 - Décembre 2019
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