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Maires de France

Interco et territoires
01/01/1970 Juin 2020 - n°380
Culture Intercommunalité

Tourisme : les collectivités misent sur la clientèle nationale

À l'arrêt pendant trois mois, le tourisme souffre de l'absence de touristes étrangers. Les collectivités repositionnent leurs offres de proximité en se concentrant sur un tourisme franco-français.

À Nice, 65 % de la fréquentation touristique est d'origine étrangère. La ville devra donc compenser le manque à gagner.
© Adobestock
À Nice, 65 % de la fréquentation touristique est d'origine étrangère. La ville devra donc compenser le manque à gagner.
Le tourisme est au bord de l’asphyxie. À cause des fermetures administratives et des restrictions de déplacement en France et à l’international, l’économie touristique française a connu une période inédite d’arrêt total entre le 17 mars et le 2 juin. 95 % des hôtels français étaient fermés en mai, plaçant les professionnels dans une situation délicate. Les témoignages font froid dans le dos. Selon une étude réalisée par l’Agence régionale du tourisme Grand Est, un tiers des entreprises locales du secteur pourrait mettre la clé sous la porte. 
L’inquiétude est d’autant plus vive que le tourisme représente 2 millions d’emplois et pèse près de 8 % du produit intérieur brut (PIB). Ce poids varie considérablement selon les territoires et atteint jusqu’à 20 % de la richesse locale comme en région Provence-Alpes-Côte d’Azur et même 40 % à Nice avec l’affluence des étrangers. Accueillant près de 100 millions de touristes par an, la France est la première destination touristique mondiale et le secteur génère près de 170 milliards d’euros de recettes touristiques chaque année. Les trois mois « blanc » liés à la pandémie seront synonymes de 40 milliards d’euros de pertes, estime le gouvernement. Et de l’avis des professionnels, il faudra au moins deux ans pour retrouver le niveau d’activité de 2019. 

Impact sur les finances locales

Par effet collatéral, les collectivités accusent une perte importante de recettes. À Ouistreham (14), l’arrêt du versement des taxes et autres redevances liées au tourisme (taxe de séjour, droit de terrasses, produit des jeux, parking…) résultant de la fermeture du casino et des hôtels-restaurants s’est traduit par un manque à gagner d’un million d’euro sur un budget municipal de fonctionnement d’environ 12 M€. À Deauville (14), le budget de fonctionnement évalué à 25 M€ est déjà amputé de 3 M€. À Évian (74), c’est 2 M€ sur 30 M€. À Enghien-les-Bains (95), le manque à gagner de 6 M€ sur un budget de 40 M€ a obligé la municipalité à tirer deux lignes de crédit de 1,5 M€ et à emprunter 3 M€ sur cinq ans. Certaines dépenses ont certes été annulées, en particulier celles liées aux animations et festivités estivales, mais la plupart des charges continuent de courir et pèsent lourd dans l’équilibre budgétaire. D’autant que la plupart des communes ont déjà fait l’effort de tirer un trait sur les loyers de locaux communaux, les parkings, les droits d’occupation des espaces publics et autres concessions en tous genres pour soutenir les professionnels locaux. 
Dans ce contexte de tension budgétaire, des élus sont circonspects quand le gouvernement invite les collectivités à procéder à « des allègements de taxe de séjour ainsi qu’à un dégrèvement des deux tiers de la cotisation foncière des entreprises du secteur » (lire p. 28). « Attention à ne pas donner de faux espoirs : toutes les communes ne pourront pas se permettre d’alléger la taxe de séjour. Et cela briserait un cercle vertueux puisque cette taxe finance la promotion touristique », insiste Annie Genevard, maire de Morteau (25) et présidente de l’Association nationale des élus de la montagne (ANEM). 
Prenant la mesure de l’enjeu, l’État a placé le secteur sous perfusion. À l’issue du 5e Comité interministériel du tourisme (CIT) du 14 mai ­dernier, le gouvernement a annoncé un vaste plan de soutien sectoriel (lire ci-contre). Pour limiter les faillites et le chômage, les entreprises du tourisme, de l’hôtellerie et de la restauration, de l’événementiel et de l’animation culturelle peuvent désormais bénéficier de mesures d’aides d’urgence renforcées et d’un large programme d’investissements destiné à relancer et pérenniser la filière. Malgré ces efforts, tous ne réouvriront pas de sitôt. « Certains sont au bord du dépôt de bilan et d’autres préfèrent rester bien fermés que mal ouverts, car les protocoles sanitaires imposés ne leur permettent pas de générer le chiffre d’affaires habituel », explique Jean-François Rapin, sénateur du Pas-de-Calais et ­président de l’Association nationale des élus du littoral (ANEL). 

Un plan de relance national de 18 Mds€
Le gouvernement a dévoilé, mi-mai, un large plan de soutien. Dans le secteur de l’hôtellerie, de la restauration et du tourisme, les mesures de chômage partiel sont étendues jusqu’à fin septembre, l’accès au fonds de solidarité est élargi aux entreprises jusqu’à 20 salariés et jusqu’à 2 millions d’euros de chiffre d’affaires, et ouvert jusqu’à la fin 2020. Le plafond des prêts garantis par l’État sera relevé pour tenir compte de la saisonnalité. 
Les exonérations de charges dureront le temps de la fermeture. Pour soutenir la demande, le plafond d’utilisation des tickets restaurant doublera (19 à 38 euros). L’État veut accompagner le redémarrage et renforcer le secteur : un plan d’investissement en fonds propre de 3 Mds d’euros sera porté par le groupe de la Caisse des dépôts et BPI France.

« Cet été, je visite la France »

Encore faut-il que les clients reviennent pour sauver la saison estivale. En l’état actuel de l’évolution de l’épidémie, il semble illusoire de tabler sur les 17 millions de touristes étrangers qui viennent habituellement durant cette période. Sauf, peut-être certains ressortissants européens. Hôtels et restaurants de la Côte d’Azur devront donc se passer de la clientèle russe tandis que les chinois déserteront les champs de lavandes de Valensole (04). À défaut de cette clientèle internationale, les territoires comptent sur leurs propres habitants pour relancer la machine. D’ailleurs, une campagne de communication visant à favoriser les séjours en France, intitulée « Cet été, je visite la France », sera portée par Atout France, en coordination avec les régions, les territoires et les entreprises concernés pour valoriser l’offre nationale de proximité. Avant même de tenter de séduire les 9 millions de Français qui partent habituellement à l’étranger chaque été, l’enjeu est d’abord de rassurer la clientèle. « La priorité, c’est la sécurité sanitaire. Il faut avant tout veiller à se prémunir des risques de résurgence de l’épidémie. C’est ce qui pérennisera l’image d’une ville saine et sereine », insiste Rudy Salles, adjoint et délégué au tourisme et aux relations internationales de la ville de Nice, qui aura fort à faire pour compenser l’absence d’étrangers qui composent 65 % de la fréquentation touristique. « C’est clair, les touristes veulent du zéro défaut », abonde Michel Frugier, adjoint chargé du tourisme d’Aix-les-Bains (73). Afin d’y parvenir, l’agglomération a édité une charte sanitaire à laquelle doivent se conformer tous les professionnels du territoire. 
Les collectivités mettent les bouchées doubles pour repositionner une offre touristique résiliente et réorienter leurs campagnes de promotion vers la clientèle nationale. « Ce contexte particulier nous offre l’opportunité de mettre en valeur une diversification de l’offre sur laquelle on travaille déjà depuis plusieurs années. Au-delà de l’attractivité du littoral, on parie sur le tourisme de proximité, notamment autour des lacs et des voies d’eau pour des séjours courts », détaille Bernard Lebeau, vice-président du département de Loire-Atlantique dont le slogan vis-à-vis du public sera «Restez en Loire-Atlantique ». Les Alpes-de-Haute-Provence misent sur une stratégie identique avec leur label «Irrésistibles Alpes-de-Haute-Provence », décliné dans des campagnes de presse locales et nationales et sur les réseaux sociaux. « Il faut être créatif, faire preuve d’innovation pour attirer la clientèle parisienne et susciter de nouvelles habitudes chez la clientèle locale », pointe Nathalie Ponce-Gassier, présidente de l’Agence de développement AD 04 et vice-présidente d’un département dont 40 % des revenus provient du tourisme. 

Sous les dérogations, la plage
Fermées depuis fin mars, les plages ont fait l’objet d’une âpre négociation, le 11 mai, lors du déconfinement. Dès la fin avril, l’Association nationale des élus du littoral (ANEL) réclamait «la possibilité, pour l’élu local, d’adapter la règle nationale à la diversité et aux particularités des situations locales, en bonne intelligence avec le préfet ». L’État a permis de possibles dérogations et de nombreux maires ont obtenu du préfet une réouverture encadrée de leur plage (présence dynamique, pas de groupe, pas de pratiques festives) dont certaines ont dû être refermées faute du respect des consignes sanitaires. Deauville (14) a limité l’accès à sa plage de 6 heures à 9 heures. « Mon objectif principal, c’est de voir rouvrir des hôtels-restaurants le 2 juin. J’ai donc préféré ne pas prendre le risque de voir réapparaître un éventuel cluster du covid-19 d’ici là », confie Philippe Augier, le maire de la station balnéaire normande, soucieux de préserver la reprise de l’activité économique.

Campagnes médiatiques

« La Dordogne est précisément sur le créneau nature-culture mis en avant par le gouvernement, donc nous avons vocation à devenir une destination refuge idéale pour les séjours en famille par exemple », fait valoir Micheline Morissonneau, du Comité départemental du tourisme. Pour donner aux Français l’envie de profiter du Périgord, le département va valoriser son patrimoine au travers de publicités dans les médias locaux avec des messages renouvelés. De son côté, l’office de tourisme du Golfe du Morbihan a décidé de consacrer 300 000 € dans un « plan Marshall » local du tourisme (200 M€ de retombées économiques annuelles, dont la moitié durant l’été). Pour faire venir un maximum de bretons, l’agglomération mise sur le parrainage de la météo sur France 3 et une campagne d’affichage à Rennes et à Nantes. Anjou Tourisme y va aussi de son plan de relance pour encourager les habitants du territoire et la clientèle régionale à choisir l’Anjou, en concentrant son message sur le tourisme vert. 
À l’instar de la ville du Touquet (62), qui axe sa promotion sur le thème de la sérénité, la plupart des collectivités orientent leur communication touristique autour des notions de santé et de bien-être, en mettant en avant les espaces naturels. « On a 130 km de pistes cyclables et 56 km de côte, donc suffisamment de place pour accueillir des touristes dans le respect des règles de distanciation sociale », fait valoir Lionel Quillet, maire de Loix et président de la communauté de communes de l’Île de Ré (17). En soutien à ses professionnels du tourisme, la collectivité a décidé de leur offrir la publicité parue dans le magazine Destination Île de Ré. Un cadeau d’une valeur de 500 000 €. 
Plus original, l’agence d’attractivité Latitude Manche va émettre environ 80 000 « chèques évasions », d’une valeur de 10 à 20 €, pour remettre le tourisme local en marche. Ceux-ci seront distribués lors de chaque nuitée réservée dans un des hébergements de la Manche, à valoir sur la consommation chez les partenaires touristiques, les restaurateurs, les sites et lieux de visites et les producteurs locaux. Le département du Loiret a annoncé un plan de relance du tourisme de 3 M€, lequel inclut l’achat massif de « box séjour » (incluant des entrées de sites, des nuitées et des repas financés par le département), et des actions de communication pour attirer les visiteurs d’Île-de-France. Sa base line : « Un grand vivier proche de nous ».
La tenue de grands événements de plus de 5 000 personnes est interdite jusqu’à fin août, et la plupart des festivités d’envergure ont déjà été annulées. Ce qui n’empêche pas les collectivités de miser sur des animations de taille réduite pour maintenir vivant leur centre-ville. À Évian, les prestigieuses Rencontres musicales de la Grange au lac sont remplacées par une série de concerts en plein air. Deauville a piétonnisé sa rue principale qui accueille des animations (concerts, théâtre de rue). Font-Romeu (66) multiplie les escape games dans son village d’Odeillo. 
Heureusement, les attentes du public semblent en phase avec cette stratégie. Selon une enquête de VVF Ingénierie, menée fin avril, les Français sont soucieux de renouer avec la nature, le sport en plein air et des activités culturelles en lien avec les territoires. La catastrophe annoncée n’aura peut-être pas lieu.          

Thierry Butzbach

 

Questions à…
Philippe Sueur, maire d’Enghien-les-Bains (95) et président de l’Association nationale des élus des territoires touristiques (ANETT)
« L’exonération des taxes de séjour pose question »
Les mesures de soutien annoncées le 14 mai par le gouvernement vous satisfont-elles ? 
Globalement, oui. L’État a pris la mesure de l’enjeu d’une filière qui représente 8 % du PIB national et 2 millions de salariés. Il y a à la fois des dispositifs de sauvetage (exonération des cotisations sociales prolongée jusqu’à fin juin, accès au Fonds de solidarité et recours à l’activité partielle possible jusqu’à la fin de l’année, élargissement des critères pour l’obtention de prêts garantis et rallongement des périodes de remboursement, augmentation du plafond journalier des tickets restaurant). Et des mesures de relance à plus long terme favorisant l’investissement dans le secteur. Mais les professionnels n’ont pas été entendus sur la TVA à 5,5 %. Et surtout, les communes sont dans l’expectative concernant l’allégement de la taxe de séjour…
Faut-il exonérer les hébergements touristiques de la taxe de séjour ? 
L’exécutif fait un peu de démagogie en ­invitant les collectivités à procéder à des ­allégements fiscaux en faveur des petites et moyennes entreprises du tourisme. La mesure est laissée à l’appréciation des communes… Ceux qui ne l’appliqueront pas risquent d’être montrés du doigt, alors que leurs finances peuvent déjà être au plus mal. De plus, le ­gouvernement suggère une exonération des deux tiers de la contribution foncière des entreprises (CFE), compensée pour moitié par l’État. Soit une exonération nette d’un tiers à la charge des communes. La compensation concernerait seulement les communes qui sont au forfait alors que 95 % des taxes de séjour sont payées «au réel » – et donc non dues dès lors qu’il n’y a pas de nuitées. Elle ne toucherait donc qu’un nombre réduit de communes.                   Propos recueillis par T. B.

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