Les élus se mobilisent pour la réindustrialisation
Les intercommunalités en charge de l'aménagement des zones d'activités ont un rôle fondamental pour les rendre attractives en créant des services dédiés aux entreprises et à leurs salariés, mais aussi en structurant une offre de formation adaptée aux besoins. Un travail mené en lien avec l'État, les chambres consulaires, les collectivités et les industriels. Par Christine Cabiron
« Avant la Covid-19, nous étions dans une dynamique positive de développement économique », explique Michel Watelain, président de la communauté. « La pandémie a provoqué une suppression d’emplois en cascade, non seulement chez Stelia mais surtout chez la vingtaine de ses sous-traitants. » Au total, entre 800 et 900 personnes ont été licenciées. « Nous savions que nous étions fragilisés par cette mono-compétence de l’aéronautique. Nos sous-traitants ont un savoir-faire et des compétences en aéronautique reconnues. Cette spécialisation est aussi un handicap » en période de crise.
Des facilitateurs pour simplifier les démarches administratives
D’où la nécessité de diversifier les activités économiques dans le cadre du programme « Territoires d’industrie », lancé par l’État en 2018 et doté de 400 M€ d’ici à 2022. La communauté de communes sera accompagnée par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) afin de valoriser ses zones d’activités. L’EPCI a aussi missionné un cabinet pour aider les entreprises à dresser un état des lieux de leur outil de travail et définir des axes de diversification. « Nous sommes des facilitateurs : nous assurons le lien entre les services de l’État (DDTM, DREAL) et les chefs d’entreprise pour leur simplifier les démarches administratives et leur trouver des terrains », explique Michel Watelain.
Plus à l’est, la communauté de communes de Sarrebourg Moselle Sud (46 000 hab.) affiche encore un faible taux de chômage de 5,7 %. Ce territoire de 831 km² (dont 6,5 % sont urbanisés) avait pourtant déjà subi, avant la crise actuelle, des fermetures d’usines en série, comme celles du fabricant de cuisines Weiler (350 emplois) et des chaussures Bata en 2001 (2 700 salariés). « Ces 25 dernières années, nous avons perdu 2 800 emplois industriels mais nous avons gagné 3 800 emplois liés à la consommation de biens et de services locaux », explique Roland Klein, le président de la communauté (76 communes).
Celle-ci a donc misé sur la ZAC des Terrasses, achetée il y a vingt ans. Un site de 35 ha constitué de fortes dénivellations. « Nous avons créé 11 terrasses pour aplanir les lots. Le but était de mettre en valeur les différentes activités commerciales, tertiaires, artisanales et industrielles. » Un investissement de 3,5 M€. Lorsque Roland Klein a su que le groupe allemand de distribution alimentaire Norma cherchait à déménager son siège social de Strasbourg, il a revêtu sa casquette de « commercial » et a rencontré les dirigeants français et allemands. L’affaire a été conclue en 2019. « Je voulais accueillir ce siège social sur notre territoire car cela signifierait que des cadres allaient venir s’y installer et que fournisseurs et gestionnaires de magasins allaient s’y rendre régulièrement. Pour la collectivité, cela représente d’importantes retombées économiques. »
Diversifier les activités
Aujourd’hui, Norma emploie 200 personnes et prévoit de s’agrandir. Mais il est nécessaire aussi de diversifier les activités économiques locales. Sarrebourg a donc racheté trois anciens bâtiments ayant appartenu à Bata pour créer une ligne de production semi-industrielle de feutre et d’isolant à partir de la laine de mouton car le territoire compte un cheptel de 60 000 ovins. « Nous allons investir 3 M€ et devenir actionnaires de la société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) qui mènera ce projet », révèle Roland Klein. Pour tenter de glaner des subventions, la collectivité a sollicité les crédits du plan de relance, mais n’a pas eu de réponse à ce jour. La ZAC des Terrasses pourrait aussi accueillir une ligne de vêtements réalisés à partir de fripes. Afin d’attirer les investisseurs, Sarrebourg a instauré un système de subventions pour favoriser les implantations : 7 €/m² pour les activités industrielles, 10 €/m² pour le tertiaire et 20 m€/m² pour les activités commerciales.
Dynamiser économiquement un territoire exige d’impliquer différents acteurs et de veiller à ce que tous les services aux entreprises et aux salariés suivent. Ainsi, pour les projets de la communauté de communes du Pays du Coquelicot, l’ANCT fournira des prestations d’ingénierie pour relooker les zones d’activités vieillissantes. Notamment pour accueillir un porteur de projet « logistriel » en lien avec le transport de fret via l’aéroport Albert-Picardie, situé à Méaulte.
L’enjeu est fort en termes d’emplois. « Il faut séduire les chefs d’entreprise et proposer des services à destination des familles » : systèmes de garde d’enfants, services de santé, activités culturelles et sportives. « Nous avons des cadres qui travaillent dans notre territoire mais qui habitent à Amiens. Nous avons tous les atouts des grandes villes mais nous avons du mal à les mettre en valeur », reconnaît Michel Watelain. Idem pour la communauté de communes de Sarrebourg Moselle Sud : « Le développement économique est un travail au quotidien. Il faut travailler avec la chambre de commerce et d’industrie mais surtout être présents aux côtés des entrepreneurs, connaître leurs besoins et avoir des terrains prêts à l’emploi, bien dotés en services publics et privés : banques, assurances, agences d’intérim, hôtels, restauration, ateliers de réparation mécanique et entretien des espaces verts », illustre Roland Klein.
Il est aussi impératif de disposer de foncier attractif et de surmonter les quelques obstacles juridiques. « Avec le plan climat, nous devons optimiser les terrains que nous possédons du fait de l’obligation de réduire l’artificialisation des sols », alerte Michel Watelain. Et ce, d’autant que le projet de loi sur le climat, en cours de discussion au Parlement, devrait encore durcir la règlementation en la matière. Des EPCI reprennent d’anciens sites militaires, comme la communauté de communes de Sarrebourg Moselle Sud qui veut racheter un ancien dépôt militaire. Une opération (4 M€) qui « sera déterminante pour notre territoire car nous avons environ 15 demandes d’implantations qui s’ajouteront aux 1 700 entreprises déjà présentes », espère Roland Klein.
Reconversion des sites de l'Etat
L’agglomération de Bergerac (Dordogne, 38 communes, dont 37 rurales) a, elle, longtemps bénéficié de la présence sur son territoire des sites d’État comme la Société nationale des poudres et explosifs et l’école de gendarmerie. Ces activités ont cessé les unes après les autres à partir des années 1980. « Cela a entraîné un déclin économique », explique Frédéric Delmarès, président du Grand Bergeracois (63 000 hab.). À cela s’ajoute une fragilité des activités agricoles liées à des exploitations de taille moyenne. Aussi, la transformation en légumerie, à la fin de cet été, de l’ancien Établissement spécialisé du commissariat de l’armée de l’air (ESCAT), situé proche du centre de Bergerac, devrait permettre d’assurer la reconversion industrielle de ce site et d’affirmer la vocation agricole et productive du territoire. Les élus ont pour cela réuni producteurs, chambres d’agriculture, département et région. Frédéric Delmarès a en outre rencontré les responsables bordelais des Cuisines centrales pour évaluer leur intérêt sur le projet. « Nous ne voulons pas perdre ces exploitations agricoles de taille moyenne. Il est donc important d’accompagner les agriculteurs dans la conversion bio et leur permettre d’écouler leur production », explique-t-il. Plus de 400 tonnes de légumes devraient être transformés par an. « Cela répondra d’abord aux besoins des cantines scolaires de l’arrondissement de Bergerac. » L’agglomération a recruté un ingénieur hydrobiologiste et une personne qui travaillait dans une association d’insertion dans le secteur de la production maraîchère. « Nous avons créé ce duo un peu empirique pour nous accompagner en matière d’ingénierie », précise Frédéric Delmarès. Cette légumerie représente un investissement de 1,8 M€, subventionné à 80 %. Un atelier des maraîchers et une brasserie bio se sont aussi implantés dans ces bâtiments et la Cuisine centrale devrait y déménager prochainement. De quoi créer un cercle économique vertueux.
Située entre Toulouse et Bordeaux, Val de Garonne Agglo (43 communes, 63 000 hab.) a, elle, entrepris la reconversion de l’ancienne friche industrielle de la manufacture de Seita, située à Tonneins, qui a cessé son activité en 1999. L’industriel occupait un bâtiment de 6,2 ha construit sur un terrain de 12 ha. Après l’avoir racheté en 2015 pour 8,5 M€, l’agglomération a signé une concession d’aménagement avec la SEM départementale du Lot-et-Garonne. « Nous n’avions pas les compétences internes pour mener à bien ce projet », rappelle Jacques Bilirit, le président de l’agglomération. « Nous avons mis tous les acteurs autour de la table : la commune de Tonneins, les services de l’État, les chambres consulaires, la région et le département. » Un travail de concertation mené, là encore, dans le cadre du programme «Territoires d’industrie ». « Le plus compliqué a été de choisir les bâtiments qu’il fallait démolir et garder. Pour cela, nous avons été accompagnés par des bureaux d’études, des architectes et la SEM 47. » In fine, 43 000 m² ont été réhabilités. La ZAC a été aménagée avec des parcelles dont la taille varie de 400 à 18 000 m² afin de répondre aux besoins des entreprises en fonction de leur activité.
Organiser des formations adaptées aux besoins
Adapter la formation aux besoins des entreprises est aussi déterminant. Dans le Morbihan, Ploërmel Communauté (30 communes, 43 000 hab.) est proche du plein emploi avec un taux de chômage de 7 %. Elle mise depuis longtemps sur la diversité des activités dans les secteurs de l’agroalimentaire, de l’industrie pharmaceutique, de la mécanique et de la logistique. Les entreprises rencontrent cependant de grandes difficultés de recrutement. « Notre bassin d’emploi ne répond pas aux besoins de main-d’œuvre des entreprises », constate Patrick Le Diffon, président de la communauté et maire de Ploërmel. D’où le souhait de renforcer la formation. L’agglomération a institué des cursus bac+2 et des « Bachelor » depuis trois ans. « Nous réfléchissons à ouvrir un campus en lien avec les entreprises afin de mettre en place des enseignements qui répondent à leurs besoins dans le cadre d’alternance et de contrats de professionnalisation. Car, souvent, nos jeunes partent assez loin pour suivre des formations en adéquation avec les besoins locaux et, en général, ils ne reviennent pas. »
Renforcer les liens entre les entreprises, les universités, les lycées est facilité avec le programme « Territoires d’industrie » est donc essentiel. La formation passe notamment par les écoles de production (lire ci-dessous). Le Pays du Coquelicot a décidé de candidater à l’appel à manifestation de l’ANCT pour en créer deux voire trois. « Nous concevons un projet qui puisse répondre à plusieurs secteurs d’activités », indique Michel Watelain.
Val de Garonne agglomération joue aussi la carte de la formation pour répondre aux besoins de main-d’œuvre des secteurs de l’aéronautique et de l’agroalimentaire. « Proposer des formations est un facteur d’attractivité supplémentaire et une valeur ajoutée pour les territoires car les entrepreneurs savent qu’ils trouveront sur place les compétences dont ils ont besoin. C’est aussi un moyen de trouver de l’emploi pour nos enfants afin qu’ils ne partent pas vivre et travailler ailleurs », explique Jacques Bilirit. V
al de Garonne agglomération a entrepris une démarche de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences visant à former les demandeurs d’emploi aux métiers de l’industrie en tension ainsi que des salariés en poste. « Nous travaillons pour cela avec les industriels, explique l’élu. Nous avons déjà formé environ 50 chaudronniers et soudeurs, et nous préparons des formations en maintenance industrielle. »
En savoir + : www.ecoles-de-production.com/
Raccourci : mairesdefrance.com/836
Cet article a été publié dans l'édition :
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