Ingénierie : structurer l'offre existante est une nécessité
Le rôle de l'ANCT pour coordonner l'offre tarde à se concrétiser. Les élus ruraux sont très demandeurs. Par Emmanuel Guillemain d'Echon
La création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), en 2020, était censée pallier ce manque cruel de ce qu’on appelle « l’ingénierie », qui recouvre en réalité de nombreuses compétences : du diagnostic et de l’expertise au suivi du projet en maîtrise d’ouvrage, en passant par la définition d’un projet, la recherche de financements et de subventions. En réalité, l’offre de ces services existe, même si elle est fortement variable selon les régions et moins accessible dans les secteurs les plus ruraux. La plateforme « Aides territoires », mise en place par l’État, permet aux collectivités d’identifier les aides financières et d’ingénierie mobilisables dans le cadre du plan de relance.
Mais c’est surtout l’accès direct à un interlocuteur identifié et disponible qui manque aux élus, face à une multitude d’acteurs publics et privés, parfois en concurrence. Au sein de l’offre publique, les élus connaissent en général les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE), qu’on trouve dans 93 départements, et qui interviennent plutôt en amont, dans le diagnostic, les études préparatoires, le conseil aux élus qui veulent se lancer dans un projet autour de l’urbanisme, du logement, du patrimoine, des trames vertes et bleues. Les agences d’urbanisme – 53 en métropole et Outre-mer – sont plutôt déployées autour des grandes agglomérations, et interviennent moins en secteur rural.
Agnès Reiner, directrice générale
déléguée de l’ANCT
« Nous sommes là pour combler les manques »
Les collectivités s’organisent
À la faveur du désengagement de l’État et de la baisse des effectifs des services déconcentrés, les collectivités elles-mêmes se sont investies, là encore de façon inégale selon les régions, pour mutualiser certains postes d’ingénierie. Il n’est plus rare, par exemple, que des villes et bourgs-centres ou des EPCI aident les plus petites communes à l’instruction de leurs permis de construire, depuis la suppression, par la loi Alur, de l’aide gratuite autrefois fournie par les directions départementales de l’Équipement, remplacées, après réduction de leurs périmètres et de leurs effectifs, par les directions départementales des Territoires. Celles-ci n’instruisent plus les autorisations d’urbanisme que pour les communes qui n’ont ni PLU, ni carte communale.
Les départements, aussi, se placent de plus en plus sur le créneau de l’ingénierie, par la création d’agences techniques départementales (ATD) qui permettent, notamment dans les régions peu denses ou mal dotées, d’atteindre « la taille critique pour attirer des techniciens de bon niveau », explique François Gay, directeur de l’Agence publique de gestion locale des Pyrénées-Atlantiques. Tout en maintenant une proximité recherchée par les élus : « Les maires ont besoin d’avoir quelqu’un qui puisse les accompagner sur la durée, qui connaisse leur territoire et qui soit disponible. » Certaines ATD remontent aux années 1980, mais sur les 70 existantes, la plupart ont été créées dans la foulée de la suppression de l’Atesat. Les créations continuent. Les modalités varient selon les départements : certaines sont financées presque intégralement par le conseil départemental, d’autres en sont moins dépendantes.
Le principe général est celui d’une adhésion qui permet d’avoir un conseil, le calibrage d’un projet, son chiffrage, l’état des lieux des financements disponibles, doublé d’une facturation pour la réalisation concrète, le suivi des chantiers, l’écriture de documents d’urbanisme, ce dont nombre de maires, n’ayant pas ou peu de personnel qualifié, sont très demandeurs, et ce que ne font pas en général les CAUE. « Quand un maire a un projet simple, refaire la mairie, l’école, la salle des fêtes, il ne va pas se tourner vers l’ANCT, alors que nous pouvons l’aider. C’est là où une bonne articulation est possible entre les acteurs », estime François Gay.
C’était d’ailleurs l’un des objectifs de la création de l’ANCT, avec celle des comités locaux de cohésion territoriale (CLCT, lire ci-dessous), chargés de recenser l’offre en ingénierie dans chaque département et de la porter à la connaissance des maires. Leur démarrage est encore lent : une à deux réunions en visioconférence dans la plupart des cas, une stratégie encore peu claire au niveau de l’ANCT. Et surtout, s’inquiètent des élus, avec des services préfectoraux en sous-effectif. « Dans notre arrondissement, la sous-préfète a été désignée déléguée de l’Agence, mais sans moyens humains supplémentaires. Je me demande comment elle va pouvoir faire », s’interroge Philippe Arnoult, président de la communauté de communes de Vezouze-en-Piémont (Meurthe-et-Moselle).
L’organisation par l’ANCT d’Assises de l’ingénierie, début juillet, devait servir à dresser un premier état des lieux de ses travaux en la matière. La création de l’Agence semble avoir d’ores et déjà changé quelque chose dans le paysage. ATD et CAUE commencent déjà à se rapprocher. Dans quelques départements, ils ont une direction commune.
Rapprocher l’état du terrain
Et si l’Agence n’a pas intégré, comme il était prévu dans sa première mouture, des opérateurs comme l’Anah ou le Cerema, riches en expertise sur la voirie, le bâtiment, l’environnement, elle peut les solliciter : le Cerema offre ainsi du conseil gratuitement sur 3 à 5 jours, facturant les prestations plus longues ; il canalise aussi des crédits de France relance, comme les 40 millions d'euros d’aide aux communes, en 2021, pour le recensement et le diagnostic des ponts et ouvrages d’art, ou le diagnostic thermique des bâtiments publics, dans le cadre des CRTE.
En outre, si la loi « 4D », présentée en mai au Conseil des ministres et discutée à partir de juillet par le Sénat, est adoptée en l’état, elle permettra de transformer le Cerema en établissement public local (lire dans ce numéro p. 15). « Ceci permettra aux communes de le saisir directement, sans passer par l’État », pour plus de réactivité, explique Marie-Claude Jarrot, présidente de l’Association des maires de la Saône-et-Loire et, depuis 2020, à la tête du Cerema, un opérateur « trop méconnu des élus ».
Voir aussi sur les Assises de l'ingénierie, un article de nos confrères de Maire Info
Cet article a été publié dans l'édition :
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