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Maires de France
Dossiers et enquêtes
07/04/2021
Europe

Les maires face à la complexité des fonds européens

S'armer de patience, ne rien lâcher, former une équipe de choc... et prendre de l'aspirine : alors qu'une nouvelle période de programmation est sur le point d'être lancée (2021-2027), trois maires nous racontent leur expérience de la gestion des fonds européens 2014-2020. Leurs récits révèlent l'urgente nécessité de simplifier les procédures. Par Isabelle Smets

Illustration
© Leader France
Beaucoup de temps, de démarches...­ mais Grand-Champ (56) a décroché le trophée Leader 2020 primant la Villa Gregam, son centre culturel financé par Bruxelles.
Le 14 janvier 2021, Christophe Iacobbi, maire d'Allons (04, 155 hab.), reçoit deux émissaires de la région. Un représentant du service juridique et des fonds européens, et la responsable de l'instruction de « son » dossier fonds structurels : la sauvegarde et la mise en valeur d'une tour de surveillance du XIe siècle et de la chapelle attenante. Un chantier d'une centaine de millier d'euros, financé à presque 40 % par le Feder (Fonds européen de développement régional). Avec le maire, l'équipe régionale va passer en revue les factures du chantier, vérifier si les obligations de publicité édictées par l'Europe sont bien respectées et même s'assurer de visu de la réalité des travaux. Point presque final à une aventure commencée trois ans et demi plus tôt, quand Christophe Iacobbi décide de rechercher des financements pour restaurer ce patrimoine historique «avant qu'il ne s'écroule ». « Pour arriver à des taux de co-financement de 80 %, il y avait cette association région-fonds européens. Alors on y est allé. » Début d'un parcours qu'il décrit lui-même comme « chaotique » même si, au final, le maire se dit prêt à recommencer. « Si les fonds européens sont là, c'est pour qu'on puisse aller les chercher. » Cependant, Christophe Iacobbi mesure vite la complexité pour y accéder. « Remplir le dossier, ça a déjà été une bataille. On a dû s'y mettre à 4 personnes, en comptant l'architecte du chantier. » Des masses d'informations à soumettre, dont la finalité exacte reste obscure pour ce maire - pourquoi faut-il mentionner le nombre d'employés de la commune, si la secrétaire est à temps plein ou partiel, etc. ? Après quelques allers-retours avec les services de la région, le dossier est retenu. « Beaucoup de paperasse mais ça va relativement vite. » Reste que pour Christophe Iacobbi, dont c'est la première expérience de gestion des fonds structurels, chaque étape apportera son lot de surprises. Par exemple, les exigences européennes liées aux procédures de marchés publics qui l'obligent à demander 3 devis par exemple - « nous, on n'était pas forcément parti là-dessus, mais pour l'Europe, un marché public de 10 000 € ou d'1 M€ c'est la même chose ». Le maire se rend compte aussi qu'il va devoir emprunter pour financer les travaux. Parce que, lui font comprendre d'autres maires, l'argent de Bruxelles met (toujours) du temps à arriver : deux ans après la fin du chantier, la commune n'a toujours pas encaissé les subventions européennes ! Ensuite, c'est la question des travaux à la charge de la commune (20 %) - apportés grâce à une souscription publique lancée avec la Fondation du patrimoine - qui pose problème. Si le maire finit par avoir gain de cause sur son montage financier, c'est au prix de quatre mois de retard dans l'instruction du dossier... Plus tard, il a encore fallu justifier l'impossibilité de présenter des originaux de factures alors que celles-ci sont déposées sur un portail dématérialisé. Et, au final, l'impression de devoir toujours et toujours motiver, argumenter, reverser des pièces au dossier. «Chaque fois que l'on fournissait quelque chose, il fallait compléter. » Or, le maire de cette commune le dit aussi : « il faut aller chercher ces aides, car il ne faut pas que ces fonds ne soient destinés qu'aux collectivités plus structurées ».
 

« Je cherche où est l'argent »

Dans sa recherche de subventions et le suivi du dossier, Christophe Iacobbi a toujours, et exclusivement, été en contact avec les services dédiés de la région. « Ils essaient vraiment de vous aider », salue-t-il, même s'il pense que les régions, aujourd'hui, « n'ont pas les structures pour soutenir des collectivités comme la mienne ». Sa communauté des communes (Alpes Provence Verdon) emploie désormais un chargé de mission affecté à la question des financements, ce qui n'était pas encore le cas lorsque le maire a initié son dossier. « Mais cette personne ne peut pas non plus monter individuellement chaque dossier. Ce qu'il faut, c'est monter un " groupe d'attaque " au niveau de la collectivité, et ne rien lâcher », conseille le maire. Qui « y retournera maintenant qu'on a acquis cette expérience. Mais en prenant de l'aspirine ! » À 650 km de là, ce n'est pas l'aspirine que préconise Sylvain Quoirin, maire de Venizy (89), commune d'un petit millier d'habitants. Mais de « respirer un bon coup avant de se lancer parce qu'il va falloir plonger très profond ». Lui est pourtant un « pro » de la subvention. L'Europe, l'État, la région, la communauté de communes, les départements, l'agence de l'eau, il pousse toutes les portes. « Et comme on sait que je mange beaucoup, on me nourrit », plaisante le maire qui, à force, dit «bien cerner les difficultés ». Mais il n'en reconnaît pas moins « le chemin de croix pour le non initié ». « D'abord, il faut comprendre qui finance quoi, explique l'élu. Pas la peine de demander de l'argent à l'Europe pour les routes. Mais le reboisement, la biodiversité, l'énergie, ça ce sont des dossiers pour l'Europe. » À Bruxelles, sa chaufferie au bois déchiqueté qui alimente la mairie, l'école et d'autres bâtiments communaux est citée en exemple. Cofinancée par le Feder à hauteur de plus de 133 000 €, l'opération qui s'est étalée sur 2016-2017, a été suivie en 2017-2018 par un autre projet de chaufferie au bois pour la maison de la culture - subvention Feder de 44 000 €. Puis, en 2019, par la construction d'une plateforme de stockage de plaquettes en bois qui sert à alimenter ces deux chaufferies - 52 000 € du Feder. Pourquoi mobiliser les fonds structurels ? « En tant que maire, je cherche où il y a de l'argent. Comme on est sur de la transition énergétique, je me suis tourné vers l'Agence de la transition écologique (Ademe), qui s'est penchée sur la faisabilité du dossier et a estimé que je pouvais aller chercher des aides européennes. C'est elle qui m'a renvoyé vers la personne compétente à la région. » Parfois, ce sont les députés européens qui mettent ce maire sur la piste de financements. « Je les appelle et ils sont souvent ravis, ils nous répondent. S'ils ont été élus, c'est pour nous rendre service », estime cet hyper pragmatique. Comme le maire d'Allons, Sylvain Quoirin fait l'éloge de l'accompagnement administratif de la région. « Si j'ai réussi à monter mes dossiers, c'est en binôme avec eux. Leur aide est précieuse. » Mais le maire n'en reste pas moins perplexe devant la lourdeur des procédures. Il n'hésite pas à pointer la dématérialisation comme source ultime de complexification, déplorant la quantité d'information exigée aujourd'hui et le nombre de pièces justificatives à fournir. « Et le problème, quand on combine différentes sources de financement, c'est que chacun joue sa partition, y compris au niveau des contrôles », souligne l'élu. Même quand on pense avoir été hyper rigoureux, les mauvaises surprises ne sont pas à exclure. Un an et demi après l'inauguration de sa chaufferie, le maire a reçu un courrier l'informant d'un contrôle. « On nous a tout redemandé » et, à la fin, le contrôle révèle une facture qui ne rentre pas dans les clous parce qu'émise quelques jours après la clôture officielle de l'opération. Avec pour résultat une demande de remboursement d'une bonne partie de l'aide perçue (plus de 12 000 € quand même...). « On avait la signature sur le décompte final définitif, tout avait été validé, on avait inauguré ! », tempête encore le maire. Après avoir plaidé sa cause, la commune s'en sort finalement avec une amende de 1 350 €. « Tout doit être respecté à la virgule près. Et, à l'arrivée, une partie de la subvention peut vous échapper pour un simple dépassement de date sur un papier », témoigne-t-il.

22,5 milliards d'euros le montant des fonds de cohésion dont la France bénéficiera durant la programmation 2021-2027.

Si Sylvain Quoirin se dit prêt à replonger dans le bain européen, Yves Bleunven, maire de Grand-Champ (56), nous lance un tonitruant « plus jamais de subventions européennes directes ». Avec 5 500 hab., sa commune joue pourtant dans une autre division et peut compter sur une élue spécifiquement en charge des relations avec l'Europe. Grand-Champ est une habituée des subventions de l'UE : la salle de sport, la maison de l'enfance, des circuits courts en bio, un « Village intergénérationnel », le maire a, à son actif, pas mal de projets financés avec Bruxelles. « Mine de rien, on essaie de monter des dossiers tous les ans. Cela ne fonctionne pas à chaque fois. Mais si le dossier est sérieux et entre dans les dispositifs existants, on a plutôt de bonnes nouvelles. » L'année dernière, sa « Villa Gregam », un projet de centre culturel accueillant des artistes en résidence, a décroché un premier prix « Leader » devant plus de 200 autres candidats. La réhabilitation des bâtiments a bénéficié des subsides de ce programme européen et a séduit un jury national et européen conquis par le côté innovant de l'expérience. Mais c'est précisément ce genre d'expériences que le maire dit ne plus vouloir renouveler. Trop de paperasse, trop compliqué, trop de temps, trop de démarches, selon l'élu. Leader, programme européen de développement rural, finance des projets sélectionnés par des groupes d'action locale. Jugement sans appel pour Yves Bleunven, pourtant fort de 4 expériences avec le programme 2014-2020 : les « petites sommes en jeu ne méritent pas qu'on y passe autant de temps ». Fatigué de ces projets où « trois ans après, on en est toujours à vous réclamer le papier qui manque, pour des montants d'une quinzaine de milliers d'euros ».
 

« S'investir dans des projets contractualisés avec la région »

Son « plus jamais » ne signifie pas pour autant un renoncement aux subventions européennes. Mais le maire dit ne plus vouloir s'investir « que dans des projets contractualisés avec la région ». Comprendre : des dossiers combinant fonds européens et régionaux traités dans une seule et même démarche, à l'échelle des pays, pour des montants forcément plus conséquents. En Bretagne, pour la période 2014-2020, les pays se sont en effet vus déléguer la gestion d'enveloppes régionales dans le cadre de contrats de partenariat « Europe-région-pays ». « Le porteur de projet ne fait alors qu'une seule demande, traitée comme un seul et même dossier », explique Nina Trallero, responsable de service contrats territoriaux au sein de l'intercommunalité Golfe ­Morbihan Vannes Agglomération (GMVA). À la clef, des subventions plus importantes pour une charge de travail égale pour les porteurs de projets. « Cela nous permet d'être un vrai levier pour le territoire », explique-t-elle. Son service, qui travaille avec deux autres communautés de communes pour couvrir tout le bassin de vie Bretagne Sud, permet aux maires des 60 communes concernées d'être accompagnés très tôt dans leurs démarches. « Ils nous expliquent les prémisses de leur réflexion. On balaie avec eux les grandes étapes de leur projet et on les conseille alors sur des sources de financement possibles, y compris européennes », ajoute Nina Trallero. Elle reconnaît la complexité des démarches pour les petites communes - « on essaie de faire remonter la nécessité de simplifier pour les futurs programmes » - mais son équipe se décarcasse pour les aplanir. Elle défend l'intérêt du programme Leader qui constitue « un véritable levier pour expérimenter, prendre des risques, proposer des choses qui n'auraient pas pu être soutenues par des financements régaliens. Pour une toute petite commune, oui c'est une paperasse importante, mais on l'aiguillera vers autre chose si l'on sait que c'est trop complexe en termes de montage ». Au-delà du précieux soutien apporté par les régions et les EPCI, les collectivités en quête d'orientation peuvent aussi se tourner vers l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). « Si on nous demande des informations, des orientations, on guidera les collectivités vers les meilleurs canaux », précise Philippe Cichowlaz, responsable du pôle politique de cohésion européenne. Les élus peuvent aussi lire le dossier paru dans Maires de France n° 383 d'octobre 2020 (pp. 28-35). Et l'AMF mettra en ligne sur son site, en avril, un module interactif intitulé « Les essentiels sur les fonds européens pour les communes ». La simplification des procédures, elle, attendra encore. En février 2020, l'État et les régions avaient annoncé le lancement d'une réflexion sur le sujet. Ils devaient « proposer un cadre cohérent pour allier souplesse et sécurité juridique » et « le défendre conjointement auprès des instances européennes ».

 

Témoignage Samuel Brossard, délégué régional 
Europe et international
en Nouvelle-Aquitaine   
« 124 M€ directement gérés 
par les territoires »
Pour la programmation 2021-2027, la Nouvelle-Aquitaine a opté pour une large territorialisation des crédits européens. Nous allons consacrer 17,5 % de notre enveloppe Feder à cet objectif et offrir aux territoires la délégation de la totalité de ces crédits. Ainsi, à l'échelle de la région, 124 millions d'euros seront délégués aux territoires, répartis en une enveloppe urbaine et une enveloppe rurale. Sur la région, 50 territoires, regroupant plusieurs EPCI, auront la responsabilité de sélectionner les demandes qui relèvent de cet objectif-là, dans une instance qu'ils vont devoir installer. Les grandes priorités d'investissement sont définies dans le programme de la région et déclinées à l'échelle de chaque territoire. Mais le canevas général est écrit de façon assez large pour accompagner les projets relevant de ce bloc territorial : reconversion, projets liés aux services publics en milieu rural, urbain, politique de la ville, aide à l'ingénierie, etc. C'est la région, autorité de gestion, qui instruira les demandes, mais seulement du point de vue administratif, pas sur la question de l'opportunité des opérations. Sur les 50 territoires responsables, 42 sont à dominante plutôt rurale. Et seuls ces derniers accèderont aux fonds Leader, en plus des 124 millions d'euros de l'objectif territorial. »

 

Programmation 2021-2027
La politique de cohésion 2021-2027 réservera environ 22,5 Mds€ à la France, dont près de 4 Mds€ consacrés à des projets qui aideront les territoires à amortir les conséquences de la crise sanitaire («  REACT-UE »). Le lancement de programmation a pris du retard – l’Europe n’a toujours pas adopté officiellement les nouveaux règlements. Pour l’heure, les régions finalisent leurs propres programmes, mais la sélection des premiers projets n’interviendra pas avant fin 2021-début 2022. L’éligibilité des dépenses remontera cependant bien au 1er janvier 2021, premier jour de la nouvelle période de programmation. Les fonds REACT-UE, eux, pourront être engagés beaucoup plus vite car le règlement européen est adopté et les régions s’apprêtent à intégrer le dispositif dans leur programmation. Ces fonds pourront couvrir des dépenses remontant jusqu’au 1er février 2020. Chaque élu peut prendre contact avec la région, autorité de gestion, pour disposer d’un calendrier et des modalités précises d’accès à ces fonds.

 

En savoir + :
Dossier Europe en ligne sur : www.mairesdefrance.com 

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Cet article a été publié dans l'édition :

n°389 - AVRIL 2021
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