Dans sa recherche de subventions et le suivi du dossier, Christophe Iacobbi a toujours, et exclusivement, été en contact avec les services dédiés de la région. « Ils essaient vraiment de vous aider », salue-t-il, même s'il pense que les régions, aujourd'hui, « n'ont pas les structures pour soutenir des collectivités comme la mienne ». Sa communauté des communes (Alpes Provence Verdon) emploie désormais un chargé de mission affecté à la question des financements, ce qui n'était pas encore le cas lorsque le maire a initié son dossier. « Mais cette personne ne peut pas non plus monter individuellement chaque dossier. Ce qu'il faut, c'est monter un " groupe d'attaque " au niveau de la collectivité, et ne rien lâcher », conseille le maire. Qui « y retournera maintenant qu'on a acquis cette expérience. Mais en prenant de l'aspirine ! » À 650 km de là, ce n'est pas l'aspirine que préconise Sylvain Quoirin, maire de Venizy (89), commune d'un petit millier d'habitants. Mais de « respirer un bon coup avant de se lancer parce qu'il va falloir plonger très profond ». Lui est pourtant un « pro » de la subvention. L'Europe, l'État, la région, la communauté de communes, les départements, l'agence de l'eau, il pousse toutes les portes. « Et comme on sait que je mange beaucoup, on me nourrit », plaisante le maire qui, à force, dit «bien cerner les difficultés ». Mais il n'en reconnaît pas moins « le chemin de croix pour le non initié ». « D'abord, il faut comprendre qui finance quoi, explique l'élu. Pas la peine de demander de l'argent à l'Europe pour les routes. Mais le reboisement, la biodiversité, l'énergie, ça ce sont des dossiers pour l'Europe. » À Bruxelles, sa chaufferie au bois déchiqueté qui alimente la mairie, l'école et d'autres bâtiments communaux est citée en exemple. Cofinancée par le Feder à hauteur de plus de 133 000 €, l'opération qui s'est étalée sur 2016-2017, a été suivie en 2017-2018 par un autre projet de chaufferie au bois pour la maison de la culture - subvention Feder de 44 000 €. Puis, en 2019, par la construction d'une plateforme de stockage de plaquettes en bois qui sert à alimenter ces deux chaufferies - 52 000 € du Feder. Pourquoi mobiliser les fonds structurels ? « En tant que maire, je cherche où il y a de l'argent. Comme on est sur de la transition énergétique, je me suis tourné vers l'Agence de la transition écologique (Ademe), qui s'est penchée sur la faisabilité du dossier et a estimé que je pouvais aller chercher des aides européennes. C'est elle qui m'a renvoyé vers la personne compétente à la région. » Parfois, ce sont les députés européens qui mettent ce maire sur la piste de financements. « Je les appelle et ils sont souvent ravis, ils nous répondent. S'ils ont été élus, c'est pour nous rendre service », estime cet hyper pragmatique. Comme le maire d'Allons, Sylvain Quoirin fait l'éloge de l'accompagnement administratif de la région. « Si j'ai réussi à monter mes dossiers, c'est en binôme avec eux. Leur aide est précieuse. » Mais le maire n'en reste pas moins perplexe devant la lourdeur des procédures. Il n'hésite pas à pointer la dématérialisation comme source ultime de complexification, déplorant la quantité d'information exigée aujourd'hui et le nombre de pièces justificatives à fournir. « Et le problème, quand on combine différentes sources de financement, c'est que chacun joue sa partition, y compris au niveau des contrôles », souligne l'élu. Même quand on pense avoir été hyper rigoureux, les mauvaises surprises ne sont pas à exclure. Un an et demi après l'inauguration de sa chaufferie, le maire a reçu un courrier l'informant d'un contrôle. « On nous a tout redemandé » et, à la fin, le contrôle révèle une facture qui ne rentre pas dans les clous parce qu'émise quelques jours après la clôture officielle de l'opération. Avec pour résultat une demande de remboursement d'une bonne partie de l'aide perçue (plus de 12 000 € quand même...). « On avait la signature sur le décompte final définitif, tout avait été validé, on avait inauguré ! », tempête encore le maire. Après avoir plaidé sa cause, la commune s'en sort finalement avec une amende de 1 350 €. « Tout doit être respecté à la virgule près. Et, à l'arrivée, une partie de la subvention peut vous échapper pour un simple dépassement de date sur un papier », témoigne-t-il.
Si Sylvain Quoirin se dit prêt à replonger dans le bain européen, Yves Bleunven, maire de Grand-Champ (56), nous lance un tonitruant « plus jamais de subventions européennes directes ». Avec 5 500 hab., sa commune joue pourtant dans une autre division et peut compter sur une élue spécifiquement en charge des relations avec l'Europe. Grand-Champ est une habituée des subventions de l'UE : la salle de sport, la maison de l'enfance, des circuits courts en bio, un « Village intergénérationnel », le maire a, à son actif, pas mal de projets financés avec Bruxelles. « Mine de rien, on essaie de monter des dossiers tous les ans. Cela ne fonctionne pas à chaque fois. Mais si le dossier est sérieux et entre dans les dispositifs existants, on a plutôt de bonnes nouvelles. » L'année dernière, sa « Villa Gregam », un projet de centre culturel accueillant des artistes en résidence, a décroché un premier prix « Leader » devant plus de 200 autres candidats. La réhabilitation des bâtiments a bénéficié des subsides de ce programme européen et a séduit un jury national et européen conquis par le côté innovant de l'expérience. Mais c'est précisément ce genre d'expériences que le maire dit ne plus vouloir renouveler. Trop de paperasse, trop compliqué, trop de temps, trop de démarches, selon l'élu. Leader, programme européen de développement rural, finance des projets sélectionnés par des groupes d'action locale. Jugement sans appel pour Yves Bleunven, pourtant fort de 4 expériences avec le programme 2014-2020 : les « petites sommes en jeu ne méritent pas qu'on y passe autant de temps ». Fatigué de ces projets où « trois ans après, on en est toujours à vous réclamer le papier qui manque, pour des montants d'une quinzaine de milliers d'euros ».
Son « plus jamais » ne signifie pas pour autant un renoncement aux subventions européennes. Mais le maire dit ne plus vouloir s'investir « que dans des projets contractualisés avec la région ». Comprendre : des dossiers combinant fonds européens et régionaux traités dans une seule et même démarche, à l'échelle des pays, pour des montants forcément plus conséquents. En Bretagne, pour la période 2014-2020, les pays se sont en effet vus déléguer la gestion d'enveloppes régionales dans le cadre de contrats de partenariat « Europe-région-pays ». « Le porteur de projet ne fait alors qu'une seule demande, traitée comme un seul et même dossier », explique Nina Trallero, responsable de service contrats territoriaux au sein de l'intercommunalité Golfe Morbihan Vannes Agglomération (GMVA). À la clef, des subventions plus importantes pour une charge de travail égale pour les porteurs de projets. « Cela nous permet d'être un vrai levier pour le territoire », explique-t-elle. Son service, qui travaille avec deux autres communautés de communes pour couvrir tout le bassin de vie Bretagne Sud, permet aux maires des 60 communes concernées d'être accompagnés très tôt dans leurs démarches. « Ils nous expliquent les prémisses de leur réflexion. On balaie avec eux les grandes étapes de leur projet et on les conseille alors sur des sources de financement possibles, y compris européennes », ajoute Nina Trallero. Elle reconnaît la complexité des démarches pour les petites communes - « on essaie de faire remonter la nécessité de simplifier pour les futurs programmes » - mais son équipe se décarcasse pour les aplanir. Elle défend l'intérêt du programme Leader qui constitue « un véritable levier pour expérimenter, prendre des risques, proposer des choses qui n'auraient pas pu être soutenues par des financements régaliens. Pour une toute petite commune, oui c'est une paperasse importante, mais on l'aiguillera vers autre chose si l'on sait que c'est trop complexe en termes de montage ». Au-delà du précieux soutien apporté par les régions et les EPCI, les collectivités en quête d'orientation peuvent aussi se tourner vers l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). « Si on nous demande des informations, des orientations, on guidera les collectivités vers les meilleurs canaux », précise Philippe Cichowlaz, responsable du pôle politique de cohésion européenne. Les élus peuvent aussi lire le dossier paru dans Maires de France n° 383 d'octobre 2020 (pp. 28-35). Et l'AMF mettra en ligne sur son site, en avril, un module interactif intitulé « Les essentiels sur les fonds européens pour les communes ». La simplification des procédures, elle, attendra encore. En février 2020, l'État et les régions avaient annoncé le lancement d'une réflexion sur le sujet. Ils devaient « proposer un cadre cohérent pour allier souplesse et sécurité juridique » et « le défendre conjointement auprès des instances européennes ».