Responsabilité pénale des élus : les principales dispositions
Le sujet a ressurgi pendant la crise sanitaire et notamment lors du déconfinement. Maires de France rappelle le régime de droit commun de la responsabilité pénale du maire.
1 Le régime prévu par le code pénal
La responsabilité pénale du maire peut être mise en jeu pour des faits survenus à l’occasion de l’exercice de son mandat : il peut s’agir d’actes intentionnels commis dans le cadre de ses fonctions (manquements aux devoirs de probité notamment, qui sont de fait les principaux motifs pour lesquels des élus sont poursuivis), ou non intentionnels, en particulier dans la mise en œuvre de ses pouvoirs de police ou suite au fonctionnement défectueux d’équipements publics ou de services communaux ou intercommunaux.
Les délits intentionnels. Ces infractions ont toutes pour point commun la volonté, de la part de l’auteur de l’infraction, de commettre ou du moins d’accomplir l’acte qui va permettre à celle-ci de se réaliser. Les atteintes à la probité correspondent à une notion bien plus large que la seule corruption. Cela recouvre en pratique toute une série de délits : le trafic d’influence, la concussion (qui consiste à percevoir une taxe indue ou, au contraire, à exonérer un contribuable d’une taxe dont il est redevable), le délit de favoritisme, l’atteinte à la liberté et à l’égalité des candidats dans les marchés publics, le détournement de biens ou de fonds publics, la gestion de fait (liée au maniement de deniers publics par une personne n’ayant pas la qualité de comptable public…). Le délit de prise illégale d’intérêt, sévèrement condamné par le juge pénal, punit ceux ayant délibérément cherché à profiter de leurs fonctions, mais vise plus largement à prévenir tout soupçon concernant la confusion des intérêts privés des élus et des intérêts de la commune. Il est souvent commis par les élus qui n’ont pas l’impression de tirer profit de la décision prise. Pour s’en prémunir, dès lors qu’il a un intérêt quelconque, même indirect, moral ou émotionnel, l’élu doit adopter une attitude de retrait, ne jouer aucun rôle dans la préparation de la décision, et ne pas participer à la délibération.
Les délits non intentionnels. Ces infractions se caractérisent par le fait que le dommage qui en est résulté n’a jamais été recherché par l’élu. Elles sont constituées par des fautes d’imprudence ou de négligence, la mise en danger d’autrui, le manquement de façon manifestement délibérée à une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, ou une faute caractérisée exposant autrui à un risque particulièrement grave qui ne pouvait être ignoré.
La menace pénale constitue un paramètre que les maires doivent intégrer au quotidien : un bon niveau d’information et une attitude prudente permet de réduire les risques. Les élus doivent donc acquérir des connaissances et instaurer des mécanismes d’alerte concernant les actes risquant d’engager leur responsabilité. Ce thème de la responsabilité des élus fait l’objet d’interventions de l’AMF, notamment sur la prévention des risques pénaux, dans le cadre notamment de formations délivrées aux élus par l’intermédiaire de Mairie 2000 en lien avec les associations départementales de maires (lire dans numéro, p. 40).
2 Les dispositions en matière d’infractions non-intentionnelles
Le fondement en est l’article 121-3 du Code pénal, issu de la loi du 10 juillet 2000 dite loi «Fauchon ». Le juge pénal évalue, concrètement, si le maire a accompli les diligences normales, le degré de gravité de la faute et son lien avec le dommage.
Gravité de la faute. Pour apprécier la gravité de la faute, le juge pénal examine si l’élu a accompli « les diligences normales compte tenu de ses compétences, du pouvoir et des moyens dont il disposait ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi lui confie » (articles 121-3 du code pénal, L.2123-34 du CGCT, L.3123-28 du CGCT, L.4135-28 du CGCT).
Lien direct ou indirect. Soit le comportement de l’élu est la cause directe du dommage. Dans ce cas, une faute d’imprudence, de négligence simple suffit à caractériser l’infraction.
Soit le comportement de l’élu est la cause indirecte du dommage. L’élu a créé ou contribué à créer la situation qui a permis sa réalisation ou n’a pas pris les mesures permettant de l’éviter. Dans ce cas, pour caractériser l’infraction, la victime devra démontrer l’existence d’une faute qualifiée. Il peut s’agir d’une faute délibérée (la violation de façon manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par une loi ou un règlement) ou d’une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité ne pouvant être ignoré. Pour déterminer l’existence de cette faute caractérisée, le juge examine le degré de connaissance du risque par l’élu.
Ainsi, en matière de délits non intentionnels, peu importe la faute commise, le juge doit établir un lien de causalité entre la faute et le dommage quand bien même le lien de causalité serait indirect.
Exemple. Un maire a été jugé coupable d’homicide involontaire après le décès d’un enfant des suites d’un accident survenu sur une aire communale de jeux. Le maire, qui connaissait la dangerosité de l’installation en cause et qui disposait des compétences, des moyens et de l’autorité nécessaires pour prévenir le dommage, en omettant de prendre les mesures utiles pour faire enlever l’élément de jeux à l’origine de l’accident, a commis une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer (Cass. Crim. 2 décembre 2003, n° 03-83008).
3 Responsabilité des élus et covid-19
À la suite de l’annonce par le gouvernement de la fin du confinement à partir du 11 mai, des décideurs publics (mais aussi privés) ont manifesté leur inquiétude face aux risques de recherche en responsabilité pénale pour des faits non intentionnels, sur le fondement de la mise en danger d’autrui ou pour homicide involontaire en cas de contamination au covid-19, dans le cadre de la réouverture des écoles par exemple.
En l’état du droit rappelé plus haut, il faudrait que la victime puisse démontrer soit une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité ne pouvant être ignoré.
Concrètement, un maire qui s’affranchirait des règles édictées au niveau national ou renforcées par arrêté préfectoral dans le département et qui autoriserait, par exemple, une manifestation rassemblant un nombre de personnes dépassant le seuil autorisé, ou qui laisserait ouverts au public des lieux qui doivent être fermés, pourrait s’exposer à des poursuites pénales en cas de contamination au cours de la manifestation litigieuse. La preuve du lien de causalité entre la faute imputée à l’élu et la contamination devrait néanmoins être apportée, ce qui paraît difficile à établir.
Modification apportée par la loi du 11 mai 2020. À l’occasion de l’examen de la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020 inclus, le Sénat a voulu amender l’article 1 pour y inscrire un régime dérogatoire de responsabilité pénale applicable pendant cette période.
Selon l’article adopté, nul ne pouvait voir sa responsabilité pénale engagée pour avoir soit exposé autrui à un risque de contamination par le covid-19, soit causé ou contribué à causer une telle contamination. En fixant trois limites : la recherche de responsabilité pénale aurait été possible en cas de faute intentionnelle, de faute par imprudence ou négligence, ou en violation manifestement délibérée des mesures de police administrative prévues ou d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité fixée par la loi ou le règlement.
La ministre de la Justice, opposée à ces dispositions, a mis en avant le risque de violation du principe d’égalité devant la loi en ce qu’un maire ou un employeur ne sera pas traité de la même façon suivant que les faits qui lui sont reprochés aient été commis pendant ou en dehors de l’état d’urgence sanitaire. Pour d’autres observateurs, il s’agissait d’une sorte de loi d’amnistie qui aurait instauré un principe d’immunité pénale des élus locaux pendant l’état d’urgence sanitaire. La rédaction du Sénat a finalement été abandonnée. À la place, une disposition législative a permis, en rajoutant un article au sein du Code de la santé publique, de raccrocher le régime juridique existant au contexte de crise sanitaire (lire ci-contre).
Fabienne NEDEY
Références
• Article 121-3 du Code pénal.
• Loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions.
L’article 1er de la loi insère une nouvelle disposition au sein du Code de la santé publique ainsi rédigée :
« Art. L. 3136-2. – L’article 121-3 du Code pénal est applicable en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur. »
En clair, ce texte prévoit que les faits reprochés susceptibles d’être constitutifs d’une faute pénale doivent être appréciés en fonction des circonstances particulières. L’objectif est d’amener le juge à apprécier les faits in concreto en tenant compte de l’état de crise sanitaire. Pour certains, ces précisions ne seraient pas nécessaires puisque le juge apprécie déjà au cas par cas les faits qui lui sont soumis.
Dans sa décision du 11 mai 2020, le Conseil constitutionnel a estimé la rédaction conforme en ces termes : «Les dispositions contestées ne diffèrent pas de celles de droit commun et s’appliquent de la même manière à toute personne ayant commis un fait susceptible de constituer une faute pénale non intentionnelle dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire. Dès lors, elles ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant la loi pénale. Elles ne sont pas non plus entachées d’incompétence négative. Dans la mesure où elles ne contreviennent à aucune autre exigence constitutionnelle, elles sont donc conformes à la Constitution. »
Les condamnations d’élus locaux pour des infractions involontaires étant assez rares, il n’est pas sûr, en définitive, que cette disposition change réellement l’état du régime actuel de responsabilité pénale des élus locaux. Pour autant, elle est de nature à rassurer les maires.
Cet article a été publié dans l'édition :
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