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Maires de France
01/01/2019
Écoles, éducation, alimentation

Cantines : six conseils pour changer les produits et les habitudes

Structurer des filières, acheter et cuisiner des produits bruts, lutter contre le gaspillage..., la collectivité doit associer tous les services et les acteurs locaux.

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© Frédérique Bidault/Biosphoto/AFP
Les produits bio ou labellisés coûtent certes plus chers. Mais le surcoût peut tendre vers zéro si on achète des légumes bruts par exemple.
Tous les gestionnaires doivent commencer par accepter l’idée que, dans un premier temps, introduire des produits bio et de qualité va forcément faire augmenter les coûts. «Le bio, à l’instant T, coûte plus cher, il demande aussi plus de travail et d’engagement. La seule manière d’y arriver est de changer non seulement les produits mais aussi les pratiques », assure Hugo Dereymez, cuisinier à la cantine de Nogaro (32) et membre du collectif Les pieds dans le plat. Mais en travaillant sur tous les postes, nombre de cantines arrivent à un coût-matière proche de la moyenne.

1 Engager une action transversale
L’élaboration d’un plan par étapes, avec l’implication des services communaux, est indispensable : achats, cuisine, service, animation, espaces verts, CCAS, et d’autres acteurs : parents d’élèves, commerces de bouche, producteurs. «Il faut que ce soit un projet commun », affirme Aurélie Bénazet, coordinatrice des Pieds dans le plat. D’autant que chaque métier a sa vision de la restauration et de bonnes idées à apporter, des ATSEM et des parents qui sont au contact quotidien des enfants aux techniciens du développement durable. Un projet alimentaire territorial (PAT) ou un agenda 21 sont de bons vecteurs pour ce travail en équipe.

2 Lutter contre le gaspillage
Elle est citée en premier par tous les acteurs et observateurs. «C’est la porte d’entrée vers une alimentation de qualité », estime Laurence Gouthière, spécialiste du sujet à l’Ademe, qui a réalisé une boîte à outils ad hoc. Réduire les déchets en cuisine et dans l’assiette permet de compenser la hausse des coûts liée à l’achat de plus d’aliments de qualité. Selon les expériences menées dans 40 collectivités entre 2016 et 2018, il est facile «d’atteindre les 20 % de réduction du gaspillage avec assez peu d’investissement. Le cran d’après est plus difficile, car il suppose des changements d’habitude plus importants à mettre en place », souligne-t-elle. 
Tout d’abord, il faut réaliser un diagnostic, désormais rendu obligatoire par la loi… et pas forcément ruineux. «Il existe beaucoup d’associations locales qui viennent faire des pesées des déchets et proposent des plans d’actions », comme le réseau Régal, présent dans cinq régions. Parmi les leviers à actionner, une meilleure gestion des inscriptions, pour éviter de préparer des repas non consommés ; mettre en place de «petits défis » pour les équipes et les enfants, avec des tables de tri des déchets, des «gâchimètres » qui rendent visible la quantité de pain jeté ; s’adapter à l’appétit des convives, avec la proposition d’assiettes pour petites ou grandes faims, sachant que les accompagnements des plats (féculents, légumes) sont les composantes les plus gaspillés. 
Le plus important reste sans doute de sensibiliser et responsabiliser les enfants, en faisant venir les producteurs à la cantine, par exemple, ou en organisant des visites de fermes en partenariat avec les enseignants, comme à Nîmes (30). «On jette beaucoup plus facilement ce à quoi on accorde peu de valeur. Ces animations permettent de redonner du sens à l’alimentation », explique Laurence Gouthière. Cela passe aussi par l’association des enfants à l’élaboration des menus : il faut admettre que leur goût diffère de celui des adultes. À Saint-Étienne (42), les menus sont d’abord testés auprès des enfants, quitte à faire évoluer les recettes.

3 Acheter et cuisiner des produits bruts
Les produits bio ou labellisés coûtent certes plus cher. Mais le surcoût peut tendre vers zéro si on achète des légumes bruts et des poulets entiers, ou même des bœufs sur pied, comme dans la cuisine centrale de Lons-le-Saunier (39). Les légumes bio font moins d’épluchures, qui peuvent être compostées et utilisées pour les espaces verts de la ville ou des jardins partagés. Les viandes de qualité perdent moins d’eau – et donc de poids – à la cuisson. Les fromages à la coupe, les compotes en boîtes reviennent moins cher que les portions individuelles, et les yaourts nature sont meilleur marché que ceux aromatisés ; fabriquer soi-même les pâtisseries et desserts est plus économique et meilleur. Cela suppose cependant d’être équipé, avec une cuisine complète, une légumerie… et d’avoir le personnel formé.

4 Structurer les filières
Les projets alimentaires territoriaux (PAT) sont un bon moyen d’analyser l’offre existante, de rapprocher producteurs et acheteurs publics, et de construire les structures nécessaires : plateformes logistiques, ateliers de transformation… Avoir un PAT formalisé n’est pas absolument indispensable. Dans le Loir-et-Cher, le « Lab 41 », lancé par le département, envisage la construction de deux légumeries. À Nîmes, la ville a passé une convention tripartite avec l’entreprise délégataire qui s’occupe de la restauration et avec la chambre d’agriculture, qui « se charge de trouver des producteurs locaux », explique Véronique Gardeur-Bancel, adjointe au maire à l’enseignement. La société de restauration « s’engage sur un prix à l’année pour protéger les producteurs, la chambre d’agriculture contrôle le respect de ces engagements ». Le diététicien de la commune élabore les menus avec les cuisiniers et les transmettent aux producteurs qui établissent « un calendrier de plantations six mois à l’avance ». D’où une visibilité appréciable pour les producteurs, à même de les convaincre de travailler pour une collectivité.

5 Introduire des menus sans viande
L’apparition surprise des menus végétariens dans la loi peut en fait servir à réduire les coûts. «Les viandes sont les produits les plus onéreux et les deuxièmes plus gaspillés », explique Laurence Gouthière. Même si les «repas végétariens » dont parlent la loi peuvent contenir laitages et œufs, une piste intéressante est celle de l’introduction de légumineuses (haricots, pois chiches, lentilles…), riches en protéines végétales. Cela suppose la maîtrise de leurs techniques de cuisson et des recettes nouvelles : curry de lentilles, gâteau de châtaignes ou de haricots blancs, potages… En tenant compte, si l’on fonctionne en liaison froide, de l’impact du réchauffage sur la texture des plats.

6 Sensibiliser les agents à l’alimentation durable
La formation du personnel, en cuisine comme au service ou aux achats, pour le sensibiliser à l’alimentation durable, au goût est un point crucial… Ce qui prend du temps et demande donc un investissement. Selon Christophe Hébert, président de l’Association nationale des responsables de la restauration territoriale (Agores) et directeur de la restauration à Harfleur (76), «il faut six mois pour former un cuisinier qui a déjà des bases, et deux ou trois ans pour celui qui part de zéro ». Aurélie Bénazet insiste sur la nécessité de libérer des journées pour la formation. « Beaucoup d’élus nous demandent de les former après la journée de travail, ce n’est pas possible ! On peut faire la formation sur place mais c’est aussi bien pour ces agents de sortir et de voir ce qui se passe ailleurs, ce n’est pas un public qui rencontre beaucoup ses collègues. » 

Le défi zéro plastique
La loi Egalim interdit les ustensiles en plastique au 1er janvier 2020 et les contenants plastiques d’ici à 2025 (2028 pour les communes de moins de 2 000 habitants). «Il n’y a eu aucune étude d’impact, alors qu’il y aura des conséquences très lourdes », affirme Christophe Simon, gestionnaire de la cantine centrale de Bordeaux-Mérignac (33) et responsable d’un groupe de travail sur les plastiques mis en place en 2018 par l’Agores. Passer à l’inox ou au verre suppose en effet des investissements, les bacs sont plus lourds à soulever que les barquettes plastiques, il faut donc acquérir des équipements ergonomiques. Et la cellulose et l’inox peuvent poser des problèmes sanitaires, pas identifiés aujourd’hui. L’Agores travaille donc avec des chercheurs pour sortir un livre blanc en 2019, afin d’aider les élus à y voir plus clair.
Avis d’expert
Delphine Ducœurjoly, consultante en filières agricoles durables et circuits alimentaires de proximité
« Les collectivités peuvent aider à la structuration de filières locales »

« Les 20 % de bio, c’est l’équivalent d’une composante par jour. S’il s’agit de la viande, on est largement au-dessus du seuil. Introduire une composante bio régulièrement est donc un bon moyen de se lancer : trouver une offre régionale sur un produit phare (pain ou yaourt bio), c’est moins compliqué que sur tout un menu. Puis, il faut réfléchir aux achats sur la durée. Et, dans les régions où l’offre bio est faible ou mal structurée, participer à la structuration de filières locales. Un bon point de départ est d’informer les agriculteurs sur l’opportunité que représente la restauration collective ; ils sont peu à en avoir conscience. Dans l’Yonne, j’ai organisé une formation à la demande d’une commune nouvelle pour expliquer aux producteurs ce que sont les marchés publics, comment y répondre, quelles opportunités ils représentent en matière de volume et de planification des plantations. Ensuite, on peut envisager une concertation pour mettre sur pied une plateforme logistique, par exemple : les producteurs se regroupent pour livrer les différents restaurants. Les frais peuvent être partagés et les collectivités peuvent, sans trop d’investissements, mettre à disposition un local déjà existant pour du stockage, de la logistique, un atelier de transformation, une légumerie… Les groupements d’achats, avec d’autres collectivités, sont aussi une bonne solution. Le réseau Manger bio ici et maintenant (MBIM) est une ressource importante. Il fédère les plateformes de distribution de produits bio locaux. »

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Cet article a été publié dans l'édition :

n°364 - Janvier 2019
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