Inondations. Le Pas-de-Calais face à sa grande fragilité
En trois mois, des communes ont été inondées à plusieurs reprises, comme à Blendecques. Pour les élus, il est urgent de repenser certaines procédures et d'investir lourdement dans la prévention.
Non loin de là, Blendecques vit sa troisième inondation en deux mois. La première, début novembre, n’avait touché qu’une petite partie de cette commune de 5 200 habitants. Le quartier Salengro, un lotissement de maisons enserré entre deux bras de l’Aa et situé en contrebas du village, avait été submergé. Et à nouveau une semaine plus tard. Puis cette crue de janvier, encore plus dévastatrice pour Blendecques (lire ci-dessous).
En 2002 déjà, l’Audomarois avait vécu une crue ravageuse. Les élus décidaient alors de s’unir pour créer le SmageAa, le Syndicat mixte pour l’aménagement et la gestion des eaux de l’Aa (EPCI et 66 communes du secteur). Sans les travaux réalisés depuis, sous sa houlette, les conséquences des dernières inondations auraient été bien pires. «Ce qui a été fait a fonctionné comme attendu », assure sa directrice Agnès Boutel.
Des bassins de 610 000 m3 ont été aménagés pour stocker et contrôler la montée des eaux, des travaux réalisés sur les rives de l’Aa avec des aménagements de digues. En tout, 80 ouvrages sur la vallée pour un investissement de 17 millions d'euros. Mais «pour la deuxième crue et la troisième, les limites étaient atteintes, ça ne pouvait plus fonctionner », déplore-t-elle.
Les actions de prévention du syndicat mixte pour former à la culture du risque et accompagner les communes à la gestion de crise ont sans doute aidé mais les inondations à répétition ont épuisé tout le monde. Élus, services municipaux et, bien sûr, les habitants qui ne voient plus comment faire face à ces aléas climatiques qui révèlent la fragilité du territoire.
Mauvais entretien
La montée du niveau de la mer du Nord, l’artificialisation des sols, les permis de construire accordés dans des secteurs inondables, le manque d’entretien des wateringues, ce réseau de canaux et de fossés pour évacuer l’eau vers la mer (lire ci-dessous)… La liste est longue des raisons mises en avant par les élus locaux qui en appellent à la solidarité nationale.
Début janvier, François Decoster, maire de Saint-Omer, a organisé un live sur Facebook afin d’écouter les habitants et communiquer sur ce qui peut être fait ou sera demandé à l’État. L’élu a été clair : «Le référentiel de la crue de 2002 est dépassé par le dérèglement climatique. Nous ne sommes pas préparés à cette vulnérabilité nouvelle. » Rien que pour curer le canal dans sa commune, il en coûtait 800 000 euros en 2013. Désormais, il faudra de 4 à 6 millions d'euros.
Le Premier ministre, Gabriel Attal, a annoncé, le 9 janvier, aux maires du Pas-de-Calais, que les démarches administratives pour le curage des cours d’eau seront ramenées de neuf à deux mois, avec la mise en place d’une procédure d’urgence pour certaines opérations sur simple information de la direction départementale des territoires. L’État a aussi publié plusieurs arrêtés permettant d’appliquer le dispositif «Mieux reconstruire après inondation » à 351 communes des Hauts-de-France dont Blendecques (lire Maire info du 2 février 2024).
L’AMF, dont le président, David Lisnard, s’est rendu le 17 janvier dans le Pas-de-Calais, estime que ces inondations doivent «nous conduire à initier une mobilisation au plus haut niveau entre les maires, les présidents d’EPCI et l’exécutif ». Le 4 janvier (www.amf.asso.fr), elle a appelé «à rehausser les systèmes de protection sur certains secteurs » et à renforcer l’information des maires sur les risques pour qu’ils prennent «les bonnes mesures de sauvegarde de leur population » et mènent «des actions d’aménagement de leur commune adaptées aux aléas ». L’association appelle aussi à la mise en place d’une «task-force nationale dédiée aux crises ».
Jean-Christophe Castelain,
adjoint au maire de Blendecques (62)
« Notre priorité était d’éviter qu’il y ait
des victimes »
Dès la première, début novembre, nous avons déclenché le plan communal de sauvegarde (PCS) qui permet de réunir des moyens, notamment côté police municipale et services techniques. À chaque fois, nous avons installé une cellule de crise en mairie et nous avions les yeux rivés sur le site Vigicrues pour surveiller le fleuve Aa.
Nous avions répertorié les personnes vulnérables, seules ou âgées, et la police municipale a sillonné les rues de Blendecques avec les sirènes. Notre priorité était d’éviter qu’il y ait des victimes.
• Avez-vous bénéficié de renforts immédiatement ?
Oui, des pompiers et la Croix-Rouge sont arrivés très vite. On a eu jusqu’à soixante-dix pompiers avec un PC installé à côté de la mairie. Ils ont assuré les évacuations, avant que l’eau n’arrive dans les maisons. Nous avons ouvert notre salle des sports pour accueillir les sinistrés.
Je suis gestionnaire d’un collège et j’ai appelé le chef de cuisine, qui a répondu présent. Il a utilisé les stocks du collège et a préparé les repas livrés ensuite à la salle de sport. Jusqu’à 200 repas midi et soir. Ils ont été refacturés à la commune pour environ 2 000 euros pour les deux premières inondations.
• Comment les habitants vivent-ils ces inondations à répétition ?
Certains ont le sentiment que c’est de notre faute. Un soir, à une heure du matin, une délégation d’habitants d’un quartier est arrivée en mairie. Ils étaient en furie. J’ai dû appeler la police.
Des rumeurs ont couru, disant que nous savions que certaines zones allaient être inondées et que nous n’avons pas prévenu. C’est évidemment faux. Les personnes n’en peuvent plus, elles nous font porter la responsabilité de ce qu’elles vivent. Je comprends leur exaspération mais pas cette violence envers les élus qui sont sur tous les fronts.
Ils ont dû être répartis sur toutes les communes touchées par les crues. Les forces départementales ne pouvant suffire, des renforts professionnels ou bénévoles venus d’autres départements ont été déployés. Ils ont assuré l’évacuation de personnes âgées vers des Ehpad et aidé les sinistrés à pomper l’eau avec le matériel adéquat.
• Les voies navigables de France
Ses techniciens ont déblayé ce qui pouvait l’être dans les cours d’eaux : arbres arrachés, morceaux de bois flottant ou de digues détruites par la crue et susceptibles de bloquer les systèmes d’évacuation d’eau.
Pour organiser l’hébergement des sinistrés, distribuer des sacs de sable, alerter les populations, évacuer les personnes vulnérables, nettoyer les espaces publics, les services techniques municipaux ont été en permanence à pied d’œuvre. Ceux des élus qui n’étaient pas, eux-mêmes, inondés, ont géré la cellule de crise en mairie et participé, sur le terrain, à l’information des habitants et au repérage des situations critiques.
Géré par un syndicat mixte, l’Institution intercommunale des wateringues (www.institution-wateringues.fr), il atteint ses limites en capacité de pompage, en moyens techniques (certains équipements ont plus de 50 ans) et, désormais, financiers. À la préfecture d’Arras, le 9 mars 2023, le président de l’Institution, Bertrand Ringot, maire de Gravelines (59), a prévenu : «nous faisons face à de grosses difficultés financières après les pompages exceptionnels et coûteux avec ces crues ».
Lors de la première quinzaine de novembre dernier, il a fallu pomper ce qui se fait habituellement sur trois mois d’hiver. Pour un coût de 4 millions d'euros, «il faudra remplacer ou renforcer 30 pompes anciennes », alors que le budget des wateringues est de 17 millions d'euros. Intenable sans aide de l’État.
Raccourci : mairesdefrance.com/2624
Cet article a été publié dans l'édition :
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