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Maires de France
Solutions locales
avril 2021
Écoles, éducation, alimentation

Contrôler l'instruction à domicile : comment les communes s'organisent

Le gouvernement veut durcir les conditions de l'instruction à domicile. Les communes demandent un soutien dans le contrôle de l'obligation scolaire qui leur incombe. Par Emmanuelle Stroesser

Illustration
© Mairie de Nîmes
La ville de Nîmes (30) a croisé les données de la CAF et de la MSA pour vérifier le nombre d'enfants en âge d'être scolarisés. 400 enfants n'étaient pas répertoriés.
Les responsables légaux sont, aujourd’hui, libres d’instruire leur enfant à domicile. Ils doivent en revanche effectuer une déclaration, à la rentrée scolaire, aux maires et aux services de l’Éducation nationale (directeur académique des services de l’Éducation nationale, Dasen). Cette déclaration entraîne un contrôle de l’obligation scolaire par le maire de la commune de résidence et l’Éducation nationale. L’article L 131-10 du Code de l’éducation encadre ce contrôle. Le nombre d’enfants instruits à domicile reste faible. À l’échelle nationale, le ministère recensait 35 965 enfants pendant l’année scolaire 2018-2019, soit 0,43 %. Le nombre a augmenté l’an dernier, sous l’effet notamment de l’obligation d’instruction dès 3 ans (et non plus à 6 ans). Cela se confirme dans les communes. Comme à Saint-Herblain (44). À la rentrée de septembre 2020, le nombre d’enfants en âge d’entrer à l’école maternelle et scolarisés à domicile est passé de 2 à 12 enfants en un an. Au total, en comptant le 1er et le 2nd degré, le nombre avoisine 50 enfants. À Grabels (Hérault), de 6/7 enfants, leur nombre est passé à 18 dont 6 collégiens. « Beaucoup en raison de la Covid-19 », observe l’adjointe à l’action éducative, Zohra Dirhoussi. « Ramené en pourcentage, on a vite fait de dire que cela double mais cela reste marginal », relativise le maire d’Arras (62), Frédéric Leturque, co-président de la commission éducation de l’AMF. Dans sa ville, le nombre de familles concernées est passé de 3 en 2018 à 8 en 2020 (13 enfants). La pandémie a sans doute un impact. Chacun reconnaît que cela n’enlève rien au devoir de vigilance, car aux cas d’embrigadements (dans des sectes) s’ajoutent les risques de radicalisation.  

35 965 enfants étaient scolarisés à domicile
pendant l’année scolaire 2018-2019 
(Source : ministère de l’Éducation nationale).

En cas d’instruction à domicile, le maire est tenu de mener une enquête dès la première année, puis tous les deux ans, pour vérifier les raisons alléguées par les parents et les conditions de l’instruction des enfants. Il ne s’agit pas d’un contrôle pédagogique qui relève du Dasen. Pour assurer ce contrôle de l’obligation scolaire, les élus ne disposent d’aucune consigne claire ni de cahier des charges. « C’est un peu la débrouille », reconnaît Delphine Labails, maire de Périgueux (Dordogne) et co-présidente de la commission éducation de l’AMF. Il existe bien un guide interministériel, en date de 2017, mais ce ne sont que des recommandations. En outre, les maires peuvent rencontrer des difficultés pour accéder au domicile de certains parents ou, plus globalement, pour repérer les enfants échappant aux déclarations.
 

Disposer d’une liste des enfants concernés

«  C’est là que les premiers trous dans la raquette se repèrent », explique Thierry Vasse, vice-président de l’ANDEV (Association nationale des directeurs et des cadres de l’éducation des villes et des collectivités territoriales). Les maires reçoivent des services académiques de l’Éducation nationale la liste des enfants dont les parents ont déclaré l’instruction à domicile. Mais cette liste arrive souvent bien trop tard. Périgueux l’a reçue en mars, à trois mois de la fin de l’année scolaire… Elle est loin d’être la seule dans cette situation. Beaucoup de communes s’en contentent néanmoins « car nous n’avons pas les moyens d’aller plus loin », reconnaît Thierry Vasse. C’est pourquoi le travail mené par la ville de Nîmes (Gard), qui croise les fichiers de la CAF et de la MSA et relance les familles, interpelle autant qu’il intéresse (lire ci-dessous). Son constat est saisissant. Pas moins de 400 enfants en âge d’être scolarisés seraient inconnus et donc « dans la nature ». Il existe des stratégies de contournement assez simples, et la première est de ne se signaler nulle part. La famille reste ainsi « hors radar ». Ces derniers temps, certaines familles avaient oublié de se signaler de bonne foi, notamment depuis l’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire à 3 ans, car « elles ne savaient pas qu’il fallait le faire ». « C’est vrai que le nombre a augmenté et cela nous demande plus de temps pour les contrôles et il nous en manque. Certains ne sont donc réalisés qu’en juin », observe Thierry Vasse. Le temps de mener cette enquête en se rendant au domicile. Si la commune n’a pas de service ad hoc, c’est le maire ou un adjoint qui se charge de la visite. Ailleurs, cela est plus souvent confié à un agent municipal, parfois aux services sociaux, parfois aux services éducation. Ce peut être aussi un binôme élu et agent, relève l’ANDEV. À Saint-Herblain, « l’enquête » est menée par le pôle réussite éducative de la direction de l’éducation et le service action sociale du centre communal d’action sociale.
 

TÉMOIGNAGE
Véronique Gardeur-Bancel, adjointe au maire de Nîmes (30), déléguée à l’éducation
et à la réussite éducative 
« La commune a réussi à obtenir un échange de données avec la CAF et la MSA du Gard. Objectif : vérifier le nombre de familles ayant des enfants en âge d’être scolarisés grâce au croisement des fichiers. La ville a alors recensé 892 enfants non répertoriés dans ces données. Un courrier du maire a été envoyé, en décembre, à toutes ces familles. Cela a permis d’identifier 200 enfants scolarisés dans une autre commune. En effet, la ville ne dispose pas d’un accès aux données des autres communes. De même, les enfants nîmois inscrits dans des instituts médico-sociaux ne sont pas connus des services en charge de ce dossier. En réponse au courrier du maire, une trentaine d’enfants a retrouvé les bancs de l’école et une vingtaine de familles ont également transmis les déclarations d’instruction en famille ou au CNED. In fine, en mars, la liste de 400 situations – 200 familles n’ont pas donné suite au courrier et 200 n’habitent plus à l’adresse indiquée – a été envoyée aux services académiques, au procureur de la République et au préfet. »

 

Organiser les visites dans les familles

Ce double regard permet une évaluation plus fine des raisons qui ont conduit la famille à faire le choix de la scolarisation à domicile, et cela peut amener à un retour vers l’école. Une fois que le rendez-vous a été pris et que la famille ouvre la porte, c’est donc l’enquête à proprement parler. « Les familles sont souvent sur la défensive, voire en colère car elles auraient aimé avoir une place à l’école pour leur enfant handicapé… », remarque Delphine Labails. Cette année, en raison de la Covid-19, les enquêtes ont été plus compliquées, observe-t-elle. « Des parents ne souhaitaient pas qu’on se déplace mais on ne peut pas faire l’enquête par téléphone », explique l’élue. Il arrive également que des familles « oublient » les rendez-vous. Si l’oubli se répète, « on peut faire un signalement au titre de l’enfance en danger », explique Delphine Labails. Cela lui est arrivé. Mais la plupart du temps, « cela se passe bien ». Au passage, ce contrôle permet d’informer les parents et l’enfant sur les possibilités d’accès à la bibliothèque, à un club sportif, à des activités culturelles. Comme l’explique la mairie de Saint- Herblain, une fois cette « enquête » réalisée, elle est transmise à l’inspectrice de la circonscription qui organise sa visite et vérifie les conditions d’apprentissage, les outils pédagogiques, etc. Cette autre partie de l’enquête est jointe au rapport de la commune et le tout adressé au préfet. Mais beaucoup de communes déplorent n’avoir jamais eu de retour. Cela fait d’ailleurs partie des choses que les maires veulent faire changer (lire ci-dessous). « C’est un moyen d’améliorer notre intervention », estime Frédéric Leturque. Car la commune doit réaliser ce contrôle auprès d’une même famille tous les deux ans.

 

Ce que l’AMF demande
La commission éducation de l’AMF demande des précisions sur  le rôle du maire dans la nouvelle procédure d’autorisation prévue par le projet de loi, et une bonne articulation avec l’enquête qu’il doit mener au domicile des parents. Les maires demandent aussi un soutien méthodologique précis, avec des outils normés et des modèles de rapport, ainsi qu’un suivi et un retour sur leur ­rapport. 

 

Évolution en cours
Dans le cadre du projet de loi sur le respect des principes de la République, adopté le 16 février par les députés et que le Sénat examine en avril, l’instruction en famille serait désormais soumise à un régime d’autorisation sur la base de motifs précis. Le nouveau dispositif ­s’appliquerait seulement, sous conditions, à la rentrée de 2024 pour les élèves déjà ­instruits à domicile. Les maires seraient systématiquement informés de la délivrance d’une autorisation. Chaque enfant se ­verrait attribuer un identifiant national pour «renforcer le suivi de l’obligation d’instruction par le maire ».

 

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Cet article a été publié dans l'édition :

n°389 - AVRIL 2021
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