Le magazine des maires et présidents d'intercommunalité
Maires de France
Solutions locales
mars 2019
Aménagement, urbanisme, logement Citoyenneté Écoles, éducation, alimentation Numérique, réseaux sociaux

Trois initiatives pour lutter contre l'illectronisme

À l'heure de l'e-administration, de nombreuses personnes ont un manque ou une absence totale de connaissances informatiques.

Olivier DEVILLERS
Illustration
© mairie de Cornebarrieu
Dans un rapport au titre évocateur Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics, publié le 17 janvier, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, déplore une dématérialisation «à marche forcée » qui aboutit «à une déresponsabilisation des pouvoirs publics, en renvoyant notamment à la sphère associative la prise en charge de l’accompagnement des usagers ». Pour Jacques Toubon, «aucune évolution technologique ne peut être défendue si elle ne va pas dans le sens de l’amélioration des droits pour tous ». Or, la dématérialisation telle qu’elle se fait aujourd’hui conduit plutôt à «priver certains de leurs droits (…) et exclure encore davantage des personnes déjà exclues ». Et d’alerter sur les dangers de l’illectronisme. Tandis que l’État a lancé un plan national pour un numérique inclusif, les collectivités, vers lesquelles se tournent beaucoup d’usagers en difficulté, mettent en place des réponses. 

Des formations pour tous

Val d’Amboise (37 – 28 000 hab.) 
« Près de la moitié de nos habitants rencontrent des difficultés avec le numérique, que cela soit d’ordre technique (accès ou réseau, manque de matériel) ou en matière d’usage », relève Jawad Khawrin, chargé de mission développement économique à la ComCom (14 communes). Et cette fracture, que l’EPCI a quantifié à l’aide d’une enquête auprès de ses habitants, concerne tout autant les personnes âgées ou précaires que les petites entreprises, les artisans, les commerçants et les jeunes. Nombreux sont ainsi les adolescents à être très à l’aise avec leur smartphone et les réseaux sociaux, mais à se retrouver perdus face à un ordinateur classique ou à des applications professionnelles. 
Face à cette fracture multidimensionnelle, le Val d’Amboise s’est fait aider par un retraité bénévole ayant travaillé dans le numérique pour imaginer un dispositif répondant aux besoins du plus grand nombre. La plateforme «Pepit’lab » repose ainsi sur deux lieux complémentaires : l’un est situé au cœur d’un quartier prioritaire, l’autre est en centre-ville où un Fablab a vu le jour dans la pépinière de la ComCom. Deux lieux qui entendent répondre aux demandes courantes des usagers et accueillir des formations ponctuelles (« réseaux sociaux », «créer son site internet », «utiliser des applications de gestion »…) dispensées par les organismes partenaires de la collectivité (Greta, chambres consulaires…). L’animateur, recruté dans le cadre du contrat de ville, alterne ses permanences entre les deux lieux. Il répond aux questions des usagers et les aide à manipuler le matériel (imprimantes et fraiseuses 3D) dont s’est doté le Fablab. Des machines qui intéressent notamment les jeunes et les «geeks » mais peuvent aussi être utilisées par des professionnels pour créer des prototypes. 
Pour le moment, le dispositif repose uniquement sur des subventions publiques – contrat de ville : 30 000 € par an ;  Feder-région 114 000 € sur trois ans. Pepit’lab a du reste vocation à se transformer en association où l’aide de partenaires publics ou privés complétera les cotisations des utilisateurs du Fablab.

Quand les jeunes coachent les seniors

Cornebarrieu (31 – 6 600 hab.) La ville a cherché à répondre aux besoins des personnes disposant d’un matériel mais ne sachant pas bien s’en servir. «Nous organisions depuis plusieurs années des cours informatiques hebdomadaires dispensés par des bénévoles à l’aide de matériels mis à disposition par la mairie. Or, de plus en plus de personnes souhaitent utiliser leurs propres outils », explique Mathilde Gerentes, animatrice responsable de la Maison du lien social de la commune. Si les tablettes et smartphones sont assez intuitifs à utiliser, leur logique désempare parfois les néophytes. L’un des préalables à l’usage de son smartphone est, par exemple, la création d’un compte Google ou Apple, lui-même lié à une adresse mail personnelle dont ne disposent pas toujours les participants… Pour aider ces personnes, qui ne sont pas toujours des seniors, la ville a eu l’idée de mobiliser des collégiens via le point d’accueil jeunesse municipal. «Au départ, nous étions assez interrogatifs car les jeunes savent manipuler les outils mais ne sont pas nécessairement de bons pédagogues. En fait, ça a très bien fonctionné », se félicite l’animatrice. Au cours des derniers mois, cinq ateliers de deux heures ont été organisés par la ville, réunissant à chaque fois 6 ou 7 binômes. En amont des ateliers, un petit questionnaire est adressé aux participants pour connaître leur matériel et leurs besoins afin de trouver le profil de jeune adéquat pour les aider. Ce travail garantit des sessions efficaces où les participants trouvent des réponses à un problème précis : paramétrer un mail, utiliser un calculateur d’itinéraire ou une messagerie instantanée… 

Former les travailleurs sociaux

Échirolles (38 – 36 000 hab.) Les CCAS voient de plus en plus souvent arriver des personnes rencontrant des difficultés à réaliser des démarches en ligne. Une conséquence directe des objectifs «100 % dématérialisation » de l’État, certaines formalités (permis à point, carte grise, vignettes Crit’air…) ne pouvant être réalisées que par internet. «Or, à chaque fois qu’un guichet ferme, ce sont de nouvelles personnes qui affluent. Mais si les usagers sont désemparés face à la dématérialisation, les agents aussi car on les sollicite sur des formalités ne relevant pas de la commune », souligne Hélène Joseph, chargée de projets sociaux transversaux à Échirolles. Parallèlement à l’installation d’ordinateurs dans les relais d’action sociale de la ville, le CCAS a donc mis l’accent sur la formation des travailleurs sociaux. Réalisée par Emmaüs connect, celle-ci permet notamment aux agents de bénéficier de didacticiels adaptés (« les bons clics ») mais aussi de maîtriser les interfaces des portails administratifs les plus utilisés (Pôle emploi, CAF, retraite…). Cette formation bénéficie aussi aux animateurs des quartiers prioritaires. En revanche, il reste à «régler la question de la responsabilité juridique des agents qui réalisent des formalités pour le compte de tiers. On gagnerait aussi à disposer de sites test pour réaliser des formalités à blanc », suggère Hélène Joseph. Deux points évoqués dans le plan gouvernemental (lire ci-dessus), dont les orientations sont saluées…, sous réserve que les moyens suivent. 

     
Avis d’expert
Hélène Joseph,
chargée de projets sociaux transversaux au CCAS d’Échirolles (38)
« Dans le cadre de notre analyse annuelle sur les besoins sociaux (1), nous avons fait en 2017 un focus sur l’impact de la dématérialisation en récoltant le témoignage de 25 habitants, bénévoles et travailleurs sociaux. Ceux-ci sont très parlants : «On voit rarement des ordinateurs et encore moins des scanners chez les personnes âgées visitées », «dans certaines administrations, l’usager qui fait le déplacement est systématiquement renvoyé vers le site internet », «sur de nombreux sujets (Sécurité sociale, APA…), nous ne pouvons pas accompagner les personnes car nous n’avons qu’un accès limité aux informations ». Des problèmes que rencontrent les personnes âgées et précaires, de nombreux jeunes qui ne disposent pas d’adresse mail ou sont angoissés à l’idée de remplir un formulaire. Globalement, les travailleurs sociaux estiment que la dématérialisation accentue l’exclusion des populations déjà fragiles, certains renonçant à leurs droits. Nous avons aussi l’impression que certaines administrations – qui réalisent des économies substantielles avec la dématérialisation – se déchargent de l’accompagnement sur les collectivités. Un accompagnement qui restera nécessaire : il ne faut pas se leurrer, une partie de la population (personnes handicapées, illettrées…) restera à l’écart de la dématérialisation. Il s’agit d’un nouveau type de «dépendance » que les politiques doivent pleinement appréhender. » (1) www.unccas.org (rubrique ABS/Fiche d’expérience).

Les conseils de la CNIL
Le 23 janvier dernier, la CNIL a publié sur son site «Travailleurs sociaux : un kit d’information pour protéger les données de vos publics » à partir d’un travail collaboratif associant en particulier l’AMF. https://www.cnil.fr

Un nouveau titre professionnel
Un arrêté paru au Journal officiel le 15 février 2019 révise le titre professionnel de «conseiller médiateur numérique » au profit de celui de 
« responsable ­d’espace de médiation numérique ». Enregistré dans le répertoire national des certifications professionnelles à compter du 13 juillet 2019, il se compose de trois blocs de compétences : 
• accompagner différents publics vers ­l’autonomie dans les usages des technologies, services et médias numériques ;
• contribuer au développement d’un espace de médiation numérique et de ses projets ;
• participer à la ­gestion d’un espace de médiation numérique et animer ses projets collaboratifs.
Arrêté du 8 février 2019 (NOR : MTRD1904263A), JO du 15 février 2019.


En savoir plus
Comment mettre en place une stratégie locale d’inclusion numérique : 
https://territoires. societenumerique. gouv.fr/
Les pistes du plan numérique inclusif
Présenté en septembre 2018, le plan national (1) formule plusieurs priorités d’action :
• Une formation massive des personnes en contact avec les usagers pour évaluer leurs besoins numériques.
• Un renforcement du maillage territorial des acteurs de la lutte contre l’illectronisme.
• La création d’un «France connect aidants » pour dissocier responsabilité des aidants et des usagers.
•  La création de sites de test, pour expliquer une procédure avec des données factices. (1) https://societenumerique. gouv. fr/plannational/ 
 

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Cet article a été publié dans l'édition :

n°366 - Mars 2019
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