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Maires de France
L'actu
01/10/2020
Entretien

Il faut passer d'une décentralisa tion descendante à une décentralisation ascendante

Dans un entretien accordé à Maires de France, André Laignel, premier vice président délégué de l'AMF, souhaite que l'État engage un nouvel acte de décentralisation et préserve l'autonomie financière des collectivités.

Xavier BRIVET
Illustration
© Arnaud Février
Lstrong>Le rôle des élus est essentiel dans la gestion de la crise sanitaire. Quels enseignements en tirer ?
Les maires sont en première ligne depuis le début de l’épidémie. Ils tiennent la France debout. C’était vrai lors de la crise des gilets jaunes, c’est vrai avec la crise du covid-19. Le gouvernement n’en tire malheureusement pas les conséquences. Il vante l’efficacité du couple maire-préfet, il rend hommage à l’engagement des élus dans quelques discours. Mais pendant ce temps, la recentralisation se poursuit alors que l’État est incapable de gérer seul les crises, quelles qu’elles soient. Les maires ont eu et ont un rôle clé dans la réponse de proximité à l’épidémie, en anticipant l’achat de masques et de matériels, en accueillant des centres de dépistage, en délivrant et relayant les messages de prévention. L’État, lui, nous considère uniquement comme des supplétifs.

«Tout devrait être géré par
les collectivités, sauf les
compétences régaliennes
et la solidarité nationale. »
La crise pose la question de la gouvernance sanitaire. L’AMF est-elle entendue sur ce sujet ?
Non. L’AMF a formulé des propositions pour alimenter les débats du Ségur de la santé, cet été. Elle n’a jamais été reçue par le ministre de la Santé ! Et le gouvernement, depuis ses conclusions présentées en juillet, n’a apporté aucune réponse concrète à nos demandes : la place des maires dans la gouvernance des hôpitaux et des ARS, le maintien de structures de soins de proximité et du moratoire sur toute fermeture de service hospitalier public, le plan d’investissement pour les hôpitaux, les Ehpad, etc.
 
L’État compense le coût de la crise aux collectivités. Est-ce suffisant ?
C’est notoirement insuffisant. L’AMF évalue le coût de la crise sanitaire sur les finances locales à près de 8 Mds€ sur trois ans, dont plus de 6 Mds€ sur la seule année 2020. L’État a prévu une compensation des pertes de recettes fiscales et domaniales de 1,75 Mds€ pour les communes et EPCI. Il ne compense pas les pertes tarifaires, liées à la fermeture des services publics, qui sont parfois supérieures aux pertes fiscales, ni les dépenses supplémentaires des collectivités liées à la crise. Il a simplement prévu un dispositif de remboursement des masques commandés par les collectivités entre le 13 avril et le 1er juin, qui pénalise les maires qui avaient anticipé dès mars, d’une part, et, de l’autre, ne compense pas les achats en cours. Et les montants de remboursement ne correspondent pas aux prix du marché, plus élevés. À Issoudun, j’ai touché 9000 € de remboursement alors que j’ai acheté pour 44000 € de masques. L’AMF demande la nationalisation des pertes de recettes et des dépenses des collectivités liées au covid-19.
 
Mais le gouvernement annonce qu’il compensera la baisse des impôts locaux aux collectivités…
Le mécanisme compensatoire, soidisant à l’euro près, est «inacceptable ». Il serait le même que celui de la suppression de la taxe d’habitation et ne tiendrait pas compte de l’évolution des taux votés par les collectivités à l’avenir. Communes et EPCI sortiront «perdantes » de cette réforme. De plus, la réduction des moyens financiers des collectivités pourrait freiner leur capacité à investir, et donc à soutenir la reprise économique. La décision de baisser leur fiscalité économique qui, au demeurant, pénalise bien peu les entreprises, est donc incompréhensible.
 
Le Premier ministre, Jean Castex, entend associer «les territoires » à son action. Cela vous rassure-t-il ?
Je note cette posture au gré des discours. Parler des «territoires », ce n’est pas parler des collectivités. L’AMF veut des actes. Le gouvernement a nommé un secrétaire d’État à la Ruralité. Quelle est sa vision de ce que doit être l’aménagement du territoire ? L’État soutient certains projets de développement local à coup d’appels à projets, de programmes, de contrats, etc., sans cohérence d’ensemble, et en débloquant bien peu de moyens. Quant aux crédits de la DETR et de la DSIL, ils sont fléchés sur ses priorités et pas forcément sur celles des collectivités.
 
Vous semblez douter de la volonté du gouvernement d’approfondir la décentralisation. Pourquoi ?
Nous attendons depuis presque deux ans la formalisation d’un texte dit «3D » pour «décentralisation, différenciation et déconcentration ». C’est surtout le premier volet de ce texte qui nous intéresse. Et sur ce sujet, le gouvernement n’a pas avancé une proposition. Territoire Unis a plaidé, début juillet, pour l’élaboration d’une grande loi de décentralisation qui donnera plus de libertés aux collectivités. Il est grand temps de passer d’une décentralisation «descendante », de l’État vers les collectivités, à une décentralisation «ascendante ». Tout devrait être géré par les collectivités, à l’exception des compétences régaliennes et de solidarité nationale.
 
Quelles sont les conditions pour réussir ce nouvel acte de décentralisation ?
La première d’entre elles est loin d’être acquise : l’État doit faire confiance aux collectivités. Ensuite, il doit leur transférer de nouvelles compétences. Il ne s’agit pas d’affaiblir l’État mais de permettre aux élus de gérer au plus près du terrain les politiques culturelles, la santé, le médicosocial, le logement. L’État doit aussi impérativement cesser d’étouffer la liberté fiscale des collectivités. Il est urgent de remettre concomitamment à plat l’organisation des pouvoirs publics et le mécano financier et fiscal local.
 
Comme l’an passé, l’été a été marqué par des agressions contre les élus. La réponse du gouvernement est-elle suffisante ?
S’attaquer à un maire, représentant de l’État et rouage essentiel de notre démocratie, est très inquiétant. Ceci appelle des réponses très fermes. Le gouvernement a écouté les propositions de l’AMF en faveur d’une réponse pénale systématique. La circulaire Dupond- Moretti est une première réponse (lire p. 14). Elle sera insuffisante si l’État ne renforce pas les moyens des forces de l’ordre et de la justice.
 
Baisse de la fiscalité locale
Présenté le 28 septembre, le projet de loi de finances pour 2021 acte la baisse des impôts de production, pour environ 10 milliards d'euros, avec une «compensation intégrale » aux collectivités : suppression de la part régionale de CVAE (7,2 milliards, compensés par une part de TVA), baisse de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) acquittée par les établissements industriels (1,75 milliard) et de la cotisation foncière des entreprises (CFE, 1,5 milliard). Cette baisse (3,3 milliards d’euros au total) sera compensée au bloc local par un prélèvement sur recettes de l'État qui «inclura la dynamique des bases », indique le gouvernement. Le PLF pour 2021 prévoit aussi la poursuite de la suppression progressive de la taxe d'habitation.

 

Le CFL et le CNEN préservés
L’Assemblée nationale a adopté le 17 septembre, en session extraordinaire, le projet de loi sur le Conseil économique, social et environnemental. Et notamment un amendement adopté en commission des lois et porté par l’AMF auprès des députés, qui garantit le maintien des organismes de consultation des élus locaux, parmi lesquels le Comité des finances locales, présidé par André Laignel, et le Conseil national d’évaluation des normes, présidé par Alain Lambert. Le texte initial prévoyait que dorénavant, lorsque le gouvernement saisirait le Cese sur un texte de loi, il ne serait plus tenu de procéder à d’autres consultations.

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Cet article a été publié dans l'édition :

n°383 - Octobre 2020
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