Accessibilité : les élus mobilisés pour relever un défi immense
La loi « handicap » du 11 février 2005 a fixé des objectifs pour améliorer l'accessibilité de la ville aux 12 millions de personnes en situation de handicap. Les élus locaux se sont fortement mobilisés, en dépit des contraintes. Quinze ans après le vote de la loi, Maires de France fait un bilan (non exhaustif) des avancées et des retards avec les acteurs concernés.
Toute construction neuve est censée être accessible depuis 2005. Cela n’empêche pas les malfaçons. L’Observatoire national de la sécurité des établissements scolaires l’avait signalé sur des écoles. L’Association des paralysés de France (APF) le constate encore aujourd’hui. Elle fait partie des associations de personnes handicapées qui continuent à jouer le rôle d’aiguillon. Et devrait livrer en février un bilan sans concession de l’accessibilité dans les communes. L’inaccessibilité persistante des petits ERP, de catégorie 5 (commerces de proximité, cafés, coiffeurs, cabinets médicaux…) est le gros « point noir ». Le rôle des élus est parfois mis en cause. « Ils n’ont pas tous pris conscience de leur responsabilité morale pour trouver des solutions sur les ERP privés », estime Pascal Bureau, administrateur de l’APF 18 (Cher). «La volonté politique est déterminante », souligne-t-il. L’AMF pondère la critique car «très peu de communes sont récalcitrantes ». Elle souligne en revanche «le manque de moyens techniques ou financiers » dont certaines collectivités ont pâti. Elle rappellera aux élus toutes leurs obligations en matière d’accessibilité dans le guide du maire qu’elle diffusera en début de mandat.
(Source : Consul-tation APF France handicap –Ifop, janvier 2020).
Tous concernés
Les critiques les plus rudes des associations portent sur les transports publics (lire p. 37). Les réseaux urbains ont certes fortement progressé dans ce domaine. Mais le bât blesse dans les transports interurbains et ferroviaires. Dans le domaine de l’insertion professionnelle, les collectivités ont rempli les objectifs fixés par la loi et peuvent même s’enorgueillir du meilleur taux d’emploi au sein des trois versants de la fonction publique. Mais les efforts doivent continuer dans l’ensemble des communes concernées. L’accessibilité est un enjeu de taille : elle concerne tous les habitants et pas seulement les personnes handicapées.
Autre évidence méconnue, le handicap n’est pas que physique et moteur. Sur les 12 millions de personnes handicapées, « 4 % sont en fauteuil et on ne voit qu’elles ». Or, il convient de prendre toutes les formes de handicap dans l’aménagement des lieux, des espaces et des transports publics. Autre certitude : le handicap isole. Certains handicaps plus que d’autres, comme le fait d’être sourd et muet. Lire, écrire, compter, se faire comprendre, échanger devient dès lors très compliqué. Sauf quand dans une commune, l’environnement se fait plus accueillant (lire p. 41). Globalement, les associations saluent les avancées notables de la loi, comme la reconnaissance du handicap psychique, même si «c’est un handicap encore méconnu voire impensé, pour lequel il n’existe pas forcément de compensation à la différence d’un handicap moteur ou sensoriel », note Marie-Jeanne Richard, présidente de l’UNAFAM (2). L’accompagnement humain du handicap mental est aussi insuffisant, souligne le président de l’UNAPEI (3), Luc Gateau (lire p. 37).
Les efforts ne doivent pas se relâcher, plaident les associations qui souhaitent sensibiliser les élus lors des municipales de 2020. L’UNAPEI a ainsi préparé des kits pour les épauler dans l’information transmise notamment aux personnes sous tutelle qui pourront voter (4).
Emmanuelle STROESSER avec Christine CABIRON et Florence MASSON
(1) www.amf.asso.fr (réf. BW9312). (2) Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques. www.unafam.org (3) Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis. www.unapei.org
(4) Lire Maires de France, n° 375, janvier 2020, p 53.
« L’accessibilité de la ville n’est pas achevée »
Non. La mise en accessibilité d’au moins 1,5 million d’ERP ne peut pas se faire en un claquement de doigts. Cela se fait progressivement. Une chose est certaine : les Ad’AP ont lancé une dynamique que les services de l’État s’attachent à encadrer, accompagner et alimenter. Un véritable bilan de la mise en accessibilité des ERP pourra être fait en 2024, au terme des Ad’AP de 9 ans déposés en 2015. Sachant que certains propriétaires ont obtenu une prorogation de délai de dépôt en raison de la complexité du dossier, et que d’autres ont pu ou pourront bénéficier d’une prolongation de délai d’exécution en raison d’aléas justifiés ou à justifier.
La loi prévoyait des sanctions. Ont-elles été effectivement appliquées ?
La mission de contrôle intègre un volet sanction pour les gestionnaires d’ERP non conformes et réfractaires à toute démarche de mise en conformité. De nombreux départements ont mis en place (ou sont en train de le faire) une stratégie de suivi et de contrôle. La posture des services de l’État est toujours la même : engagement d’un dialogue avec le gestionnaire et mise en pause de la procédure de sanction dès lors que ce dernier entre dans la dynamique de mise en accessibilité de son ou de ses établissements.
La notion d’accessibilité a-t-elle progressé ?
Oui. Celle-ci n’allait pas de soi en 2005. Quinze ans plus tard, elle est acceptée par l’immense majorité de la population qui considère normal que les personnes handicapées puissent circuler, travailler, vivre comme n’importe qui au sein de la cité. Il reste encore du chemin car l’accessibilité du cadre bâti, de la voirie, des espaces publics et des transports n’est pas achevée et doit être réalisée de façon «intégrée » en privilégiant la chaîne du déplacement. Un important travail de pédagogie devra aussi être mené sur la prise en compte des handicaps invisibles.
Propos recueillis par E. S.
(1) www.ecologique-solidaire.gouv.fr/politique-de-l-accessibilite
Sur le terrain : un bilan contrasté de l’application de la loi
Transports, bâtiments-voirie-espaces publics, éducation, petite enfance, emploi..., focus sur les avancées et les retards avec les acteurs concernés.
Maires de France dresse un bilan non exhaustif des efforts engagés par les collectivités pour appliquer la loi du 11 février 2005.
Bâtiments, voirie et espaces publics : des avancées à confirmer
Au 1er janvier 2020, 701 000 établissements recevant du public (ERP), relevant de 267 500 agendas d’accessibilité programmée (Ad’AP) déposés, sont accessibles ou le seront d’ici à 2024, indique la Délégation ministérielle à l’accessibilité (DMA). Au vu de ces chiffres et en ajoutant les 350 000 ERP accessibles avant 2015, le «million » d’ERP que compterait le territoire serait donc accessible ou en voie de l’être. Toutefois, aucun recensement officiel du nombre d’ERP existants n’étant encore à ce jour disponible, combien sont-ils encore à être hors normes ?
Avec l’ordonnance du 26 septembre 2014 (1), la mise en place de la procédure dérogatoire et obligatoire des Ad’AP – et pour les transports, des schémas directeurs d’accessibilité (SD’AP) (lire page suivante) – a permis de «dynamiser » leur mise en accessibilité. François-Xavier Ceccoli, maire de San Giuliano (Haute-Corse, 985 hab.), explique que lors de la construction de la salle des fêtes, de la mairie et de l’école, «nous avons travaillé en amont avec les habitants, la commission sécurité et la commission d’accessibilité pour répondre aux besoins. C’était une évidence pour l’équipe municipale ». À ce jour, la plupart des communes sont entrées dans le dispositif des Ad’AP. À Saint-Ay (Loiret, 3 317 hab.), le maire, Frédéric Cuillerier, a lancé la démarche Ad’Ap en 2016 pour six ans et précise, aujourd’hui, que «les travaux sur les bâtiments publics concernent principalement des réaménagements intérieurs (accès et de circulations intérieurs, sanitaires…). L’Ad’AP de la commune devrait aboutir avant 2022 ».
« Le dispositif des Ad’AP a permis de donner un coup d’accélérateur aux collectivités comme aux commerces et services, etc. De plus en plus d’acteurs sont vertueux et volontaristes, parce que les enjeux sont aussi mieux compris », estime Nicolas Mérille, conseiller national «accessibilité et conception universelle » à l’Association des paralysés de France (APF). Selon la DMA, « le terme ne sera pas atteint avant 2024, voire un peu plus, au vu des prorogations de délai qui ont pu (et pourront) être accordées en raison de la complexité des dossiers et des dérogations » (lire l’encadré ci-contre). Le « point noir » reste la mise en accessibilité des ERP de 5e catégorie (commerces, cabinets médicaux…). D’où le lancement en 2019 du dispositif des « ambassadeurs de l’accessibilité », dans le cadre du service civique. Ces jeunes volontaires de 18 à 25 ans, organisés en binôme par commune ou intercommunalité, engagent le dialogue avec les gestionnaires des petits ERP pour les sensibiliser à leurs obligations et les orienter vers des documents et personnes ressources. Plusieurs communes dont celles de Valence (26) et de Chartres (28), par exemple, ont déjà commencé l’expérimentation dont les premiers retours se révèlent positifs, indique la DMA. Le déploiement de ce réseau se poursuivra au cours de l’année 2020.
Voiries et espaces publics encore peu adaptés
L’accessibilité de la voirie et des espaces publics reste, selon la DMA, «le parent pauvre de l’accessibilité ». L’obligation réglementaire découlant de la loi de 2005 ne portait que sur l’établissement par les communes d’un plan d’accessibilité de la voirie et des espaces publics (PAVE). Sans réelle obligation ni sanction. De fait, leur mise en place et leur mise en œuvre sont plutôt «discrètes ». La loi de 2005 prévoyait la mise en accessibilité des voiries et espaces au fil de l’eau, dans le cadre de leur réhabilitation ou de leur création. Comme cela s’est fait à San Giuliano. Le maire, François-Xavier Ceccoli, explique que «lors des réfections, les trottoirs ont été aménagés avec des biseaux à niveau pour le passage des poussettes et des fauteuils roulants ». Et «pour les travaux plus lourds », la commune a « privilégié l’aménagement d’accotements multifonctions », comme le prévoit le décret de 2006 (2).
Frédéric Cuillerier précise qu’à Saint-Ay, «les réaménagements de voiries nouvelles respectent les normes certes un peu trop strictes mais nécessaires et nous ont permis de relier, par des espaces piétonniers, la mairie à l’école ». Comme le souligne la DMA, «certaines communes ont bien compris que la réglementation relative à l’accessibilité constitue un puissant levier pour rendre les espaces publics accessibles à leurs concitoyens ». D’ailleurs, pour Nicolas Mérille, «des mesures rapides sur les connexions voiries, espaces et transports publics peuvent être prévues au travers des futurs plans de mobilité issus de la loi d’orientation sur les mobilités du 24 décembre 2019. Sinon, le risque sera de créer de nouveau des espaces inadaptés ».
Transports : l’accessibilité progresse inégalement
En 2020, l’accessibilité des transports publics est très variable d’un réseau à l’autre et d’un secteur à l’autre. Quasiment toutes les autorités organisatrices de transport ont déposé un schéma directeur d’accessibilité programmée (SD’AP) permettant de planifier la mise aux normes des arrêts dits prioritaires. Ce qui fait dire au Groupement des autorités responsables de transport (GART) « que la situation est plutôt bonne et que la loi de 2005 a été correctement mise en œuvre ». «Peu d’autorités organisatrices de la mobilité annoncent et communiquent sur une accessibilité totale des réseaux de transport collectif », note cependant le ministère de la Transition écologique et solidaire.
Selon l’APF, « l’accessibilité s’est bien développée dans les réseaux urbains ». Notamment au travers du renouvellement des véhicules. Selon l’Union des transports publics, 99 % des 17 330 bus urbains sont accessibles. Ce qui ne signifie pas pour autant que les lignes le sont. En 2014, la réforme des Ad’AP a introduit la notion d’arrêts prioritaires à rendre obligatoirement accessibles aux personnes en situation de handicap. Pour l’APF, cette réforme est une «régression législative ». « Nous avons perdu le droit au transport. Qui accepterait de ne pouvoir accéder qu’à 35 % voire 40 % d’un réseau de transport public ? C’est de la discrimination organisée par la loi », s’indigne Nicolas Mérille, à l’APF. Cette disposition réglementaire a donné un nouveau coup de canif à l’esprit de la loi de 2005 visant à rendre accessible l’ensemble des réseaux, sauf incapacités techniques avérées.
Le taux d’arrêts accessibles varie en effet d’une agglomération à l’autre. En Île-de-France, une ligne de bus est déclarée accessible lorsque la moitié des arrêts le sont. À Lyon, ce taux est de 80 %. «Il est impossible de rendre tous les arrêts accessibles car cela représenterait un investissement tout à fait colossal pour les collectivités », plaide le GART. Les associations pointent une autre difficulté : l’essaimage des bus accessibles sur plusieurs lignes. «Ce n’est pas opérant pour les personnes handicapées car elles ne savent pas à quelle heure va passer le bus dans lequel elles pourront monter », précise Nicolas Mérille.
L’accessibilité est beaucoup plus problématique dans les transports interurbains où les arrêts sont majoritairement implantés en zone rurale. Si le parc a été fortement renouvelé avec l’acquisition chaque année de 4 500 véhicules neufs, les services sont encore difficiles d’accès aux personnes à mobilité réduite. Outre la mise aux normes des arrêts, c’est surtout celui des cheminements pour y accéder qui fait défaut.
Services de substitution
« Nous pouvons avoir les plus beaux arrêts du monde, mais si les personnes en situation de handicap ne peuvent pas y accéder, cela n’a aucun intérêt », note Christiane Dupart, vice-présidente de la Fédération des associations d’usagers des transports (FNAUT). Cette incohérence est liée au fait que la compétence voirie incombe aux départements et aux communes, et non aux autorités organisatrices de la mobilité. «Bien souvent, il n’y a pas de coordination entre les deux », regrette-t-elle. S’ajoute à cela des difficultés pour financer ces travaux. Des investissements chiffrés en moyenne à 15 000 € HT par point d’arrêt. D’où l’idée de privilégier la mise en place de services de substitution dédiés aux personnes à mobilité réduite.
Dans le ferroviaire, si l’APF se félicite des efforts réalisés par la SNCF pour rendre accessibles les gares (toutes le seront en 2024), l’association décerne un carton rouge au groupe concernant l’accès aux quais. « Le retard est considérable », regrette Nicolas Mérille. Et ce, malgré le schéma directeur d’accessibilité (SDA) déposé en 2008. « Nous sommes en 2020, et la SNCF nous dit toujours qu’elle est en phase d’étude », raille-t-il. Et de rappeler cette déclaration du GART qui, en 2014, expliquait « qu’en moyenne, il fallait 6,5 ans pour rendre accessible un réseau urbain. Si ce sujet avait été pris en considération dès 2005, les réseaux l’auraient été en 2011… ».
Un décret n° 2019-1376 du 16 décembre 2019 et un arrêté du même jour (publiés au JO du 18/12/2019) autorisent les gestionnaires d’ERP à allonger le calendrier de leur agenda d’accessibilité programmée (Ad’Ap) dans deux cas précis : l’ajout d’un nouvel établissement dans leur patrimoine ou en cas de difficulté de programmation sur le plan technique et financier. Les Ad’Ap, qui pouvaient être déposés avant le 31 mars 2019, ont donné un délai (1 à 9 ans) aux gestionnaires d’établissements recevant du public (ERP) et d’installations ouvertes au public (IOP) qui n’avaient pas rempli leurs obligations de mise en accessibilité à la date du 1er janvier 2015 fixée par la loi handicap du 11 février 2005. Le décret n°2019-1377 du
16 décembre 2019 met en place la procédure de bilan de fin d’Ad’AP, avec un nouveau formulaire Cerfa établi par l’arrêté ministériel.
Vie quotidienne : des actions qui servent (aussi) à tous
Les champs d’intervention de la commune peuvent être multiples pour éviter l’isolement au quotidien des personnes handicapées. C’était le sens de la charte commune-handicap (3), signée dès 2003 par l’AMF avec les principales associations dont l’UNAPEI pour promouvoir, par des actions concertées, l’intégration et l’autonomie dans la cité des personnes handicapées (handicap mental, moteur, psychique, auditif, visuel). L’UNAPEI indique avoir signé depuis avec une centaine de collectivités une charte similaire. L’association publiera dans les prochaines semaines un guide pour les nouveaux élus, afin de les aider dans leur réflexion et leurs actions en faveur des personnes handicapées.
Dans les communes, les CCAS – où les associations de personnes handicapées ont une représentation de droit – sont souvent à la manœuvre. Comme à Amiens (80), qui développe le «Facile à lire et à comprendre » (FALC) dans les services de la ville. Le principe est de réécrire des documents, lettres types, fascicules, sites, pour rendre leurs informations compréhensibles aux personnes en situation de handicap intellectuel et cognitif. Le gouvernement a inscrit le développement de l’emploi de ce langage dans les administrations publiques parmi ses objectifs pour les cinq ans à venir. La préfecture des Hautes-Pyrénées s’y intéresse et souhaite entraîner les mairies dans son sillage. Une quinzaine d’ateliers protégés (ESAT) se sont spécialisés dans ce travail de transcription en FALC qui répond à des règles précises, mises au point en 2009 dans le cadre d’un programme européen entre huit pays. En complément, les communes peuvent se tourner vers le pictogramme, dit S3A comme symbole d’accueil, d’accompagnement et d’accessibilité. Inventé par l’UNAPEI, il aide les personnes déficientes intellectuelles à mieux se repérer. Par exemple au sein d’une mairie, d’une maison des associations, etc. Mais il est encore trop peu développé.
Si la loi de 2005 a inscrit le principe de l’intégration en milieu scolaire dit ordinaire, celui-ci ne va pas toujours de soi quand il manque un accompagnant d’enfant en situation de handicap (AESH) sur les temps de midi ou périscolaires. Outre la question de leur financement, les maires font souvent remonter cette difficulté auprès de l’Éducation nationale, l’attribution d’un accompagnement dépendant néanmoins des maisons départementales du handicap. Le sujet devient d’autant plus important que le nombre d’enfants suivant leur scolarité comme les autres ne cesse d’augmenter. Depuis 2005, le nombre d’élèves en situation de handicap accueillis à l’école a triplé : de 118 000 en 2006 à près de 361 500 à la rentrée de septembre 2019. Depuis, un service dédié à l’école inclusive existe dans chaque académie. Le nombre d’AESH est de 90 000.
Crèches, centres de loisirs : peut mieux faire
L’accueil en crèche d’enfants en situation de handicap a progressé mais les efforts doivent être accentués. À Strasbourg, une crèche spécialisée est citée en exemple car elle accueille près d’un tiers d’enfants handicapés. Globalement, ces enfants ont «encore aujourd’hui un accès limité aux modes de garde formels », constate le secrétariat d’État au Handicap : 54 % des enfants en situation de handicap de moins de 3 ans sont gardés exclusivement par leurs parents contre 32 % pour les autres enfants. Le gouvernement a donc récemment mis en place l’extension du «bonus inclusion handicap » (1 300 e par place), versé par les CAF aux gestionnaires d’EAJE. Son but est de compenser, en partie, « les moyens supplémentaires, depuis la formation et le renfort des professionnels jusqu’à l’acquisition de matériel spécifique ». À l’UNAPEI, on veut faire «cause commune » avec les collectivités sur ce chantier, pour penser l’accueil de tous les types de handicap. Au risque, sinon, « de faire de l’exclusion dans l’inclusion », glisse son président, Luc Gateau. L’accueil en centre de loisirs ne va pas non plus de soi. Cela a conduit le Défenseur des droits à formuler, fin 2018, des propositions pour favoriser leur accueil (4). Tout refus d’accueil doit être justifié sous peine d’être jugé discriminatoire, rappelle-t-il.
Au quotidien, les maires peuvent faire beaucoup pour les handicaps « invisibles » : surdité, troubles psychiques… À l’échelle nationale, plus de 2 millions de personnes vivent avec des troubles psychiques sévères. Pour l’UNAFAM, les maires ont un outil à mettre en place : le conseil local de santé mentale. Certains sont intercommunaux. « Cela participe déjà à dé-stigmatiser les personnes qui vivent avec, mais aussi à désamorcer des situations complexes qui sont liées à ces troubles, comme des problèmes de voisinage », explique Marie-Jeanne Richard, présidente de l’UNAFAM. Elle rappelle que « le trouble psychique est un trouble de la cognition sociale », autrement dit « le simple fait d’être accueilli un peu rudement dans une bibliothèque peut mettre en difficulté la personne ».
des mobilités pour faciliter l’accessibilité
La loi mobilité (1) rend obligatoire une politique tarifaire préférentielle, pouvant aller jusqu’à la gratuité, pour les personnes handicapées ou dont la mobilité est réduite, et leurs accompagnateurs (article 19). Elle assouplit les conditions d’accès aux services de transport adapté pour les personnes disposant d’une carte «mobilité inclusion ». L’article 64 prévoit qu’un pourcentage minimal de places de stationnement soient équipées de dispositifs de recharge pour véhicules électriques accessibles aux personnes handicapées. L’article 27 porte sur la collecte et la fourniture des données sur les déplacements des personnes handicapées ou à mobilité réduite. «L’objectif est de donner l’information sur l’accessibilité des réseaux de transport collectif et des portions de voirie autour des arrêts prioritaires pour permettre l’émergence de systèmes d’informations multimodaux et de guidage prenant en compte les familles de handicap », explique Louise Larcher, conseillère technique au département urbanisme et transport de l’AMF. Le délai est fixé au 16 mai 2022 pour les communes disposant d’au moins une gare ferroviaire classée point d’arrêt prioritaire. Et au 1er décembre 2023 pour celles comportant des points d’arrêts prioritaires autres que des gares.
(1) Loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (JO du 26 décembre).
Emploi : Faire (encore) mieux est toujours possible
Au service communication de Neuville-sur-Saône (69), Marika Buffard (5) fait partie des 9 agents reconnus travailleurs handicapés sur les 120 agents (contractuels et titulaires) de la municipalité. Demander cette reconnaissance est un pas qui n’a pas été évident à franchir car, comme beaucoup d’agents, elle «avait peur ». «C’est l’adjointe au personnel » qui lui a «tendu la perche plusieurs fois ». Jusqu’à ce que Marika Buffard ose. Elle n’imaginait pas alors qu’elle serait «heureuse d’obtenir ce statut » car «il libère ». C’est le message qu’elle veut faire passer auprès d’élus et de collègues qui hésitent à faire la démarche. «Il y a encore un gros travail sur les représentations du handicap au travail, des deux côtés, employeurs et employés », reconnaît Carole Saleres, conseillère nationale travail, emploi, formation et ressources à l’APF. Le handicap de Marika Buffard, ce sont les troubles DYS. « Un dysfonctionnement du cerveau sans déficit intellectuel qui peut affecter les maths, la motricité, le langage. » Un handicap invisible. « Je suis née avec, comme 5 % de la population française », explique-t-elle. Au quotidien, elle fait beaucoup de fautes à l’écrit. Elle est entrée à la mairie en tant qu’architecte d’intérieur, en 2003, sur un CDD d’un mois. Elle a enchaîné les contrats et, « progressivement, dévié vers la communication de la ville ». Elle est devenue infographiste.
Ce genre de témoignage plaît à la présidente du Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP, lire ci-dessus) (6), créé par la loi de 2005. La fonction publique territoriale, comme les fonctions publiques d’État et hospitalière, ont alors été alignées sur le secteur privé. Avec l’obligation de compter 6 % d’agents handicapés dans les collectivités employant au moins 20 agents, ou, à défaut, de payer une contribution en guise de pénalité. Ces contributions alimentent le fonds qui les utilisent pour aider notamment des communes à aménager des postes de travail.
Françoise Descamps-Crosnier, présidente du Fonds d’insertion pour l’emploi des personnes
handicapées dans la fonction publique (FIPHFP)
« Renforcer l’égalité professionnelle »
Le FIPHFP n’a pas mandat pour accompagner les communes dans le reclassement d’agents. Il les aide en revanche pour l’embauche et l’aménagement de postes de travail. L’apprentissage est l’une des pistes « prioritaires » sur laquelle Françoise Descamps-Crosnier veut mobiliser les élus : «Il n’y a pas de limite d’âge pour les personnes handicapées. 4,6 % des apprentis de la fonction publique sont en situation de handicap et deux tiers seront en emploi dans les deux ans. » Le fonds en aide 1 000 chaque année (en prenant en charge 80 % de la rémunération, le coût du CFA…).
En 2018, le FIPHFP est intervenu à hauteur de 125 Me. Mais, du fait de l’application de la loi, ses ressources (les pénalités acquittées par les employeurs publics qui ne remplissent pas leurs obligations) sont passées de
213 Me en 2010 à 113 Me en 2019… La loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 a prévu que l’Éducation nationale acquittera désormais ses pénalités. « Mais cela ne suffira pas à long terme », prévient la présidente. Une cotisation universelle basée sur la masse salariale fait partie des pistes à l’étude.
Un taux d’emploi satisfaisant mais perfectible
Si la FPT peut s’honorer d’être le bon élève, avec un taux d’emploi de personnes handicapées de 6,76 % (5,61 % pour les 3 fonctions publiques), les collectivités peuvent encore faire mieux. Car si certaines sont très bonnes, d’autres restent en deçà du quota. Depuis le 1er janvier, la réforme de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH) (7) étend à tous les employeurs l’obligation de déclarer le nombre d’agents handicapés qu’ils emploient. Cet effort de recensement aura certainement des vertus pédagogiques. Du moins certains y croient. La méthode de calcul des agents en situation de handicap change aussi. Tandis que de nouveaux décrets (en cours de parution) vont revoir la portabilité de l’aménagement (un travailleur pourra emporter le matériel adapté à son handicap auprès d’un autre employeur), l’organisation des épreuves de concours et les modalités de titularisation des personnes en situation de handicap. Objectif : faciliter leur parcours professionnel.
Les collectivités peuvent, comme les entreprises privées, avoir recours à des entreprises dites du milieu protégé (ESAT et entreprises adaptées). Cela n’augmentera plus leur taux d’emploi de travailleurs handicapés. En revanche, la sous-traitance permettra de déduire les pénalités versées au FIPHFP. Et de sauvegarder ce secteur du milieu protégé, dans un contexte où les personnes handicapées souffrent toujours d’un chômage de plus du double (18 %) de la moyenne nationale. Les employeurs publics et privés ne doivent pas relâcher leurs efforts. Pour la deuxième année consécutive, le handicap reste la principale cause de discrimination (22,8 %) devant l’origine (14,9 %) et l’état de santé (10,5 %) dans l’accès ou le maintien dans l’emploi, selon le Défenseur des droits.
E. S, C.C. et F. M.
(1) Ordonnance n° 2014-1090 du 26 septembre 2014 (JO du 27).
(2) Décret n°2006-1658 du 21 décembre 2006 relatif aux prescriptions techniques pour l’accessibilité de la voirie et des espaces publics (JO du 23). (3) www.amf.asso.fr (réf. BW9312). (4) www.defenseurdesdroits.fr/fr (5) Malika Buffard est membre de l’équipe des premiers «Territoriaux de talent » organisés, à Lyon, par le CNFPT. (6) www.fiphfp.fr/ (7) Selon la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
À Lyon, l’accessibilité est prise en considération depuis 1980
Le Sytral organise la mobilité dans 290 communes du Rhône. Il a investi plus de 100 millions d’euros pour rendre les transports accessibles.
Le Syndicat mixte des transports pour le Rhône et l’agglomération lyonnaise (Sytral) a, dès 1991, mis en service une ligne de métro accessible aux personnes en fauteuil. «En 2008, nous avons été la première autorité organisatrice à voter un schéma directeur d’accessibilité, complété par un schéma directeur d’accessibilité programmée (SD’AP) en 2015 pour la mise en accessibilité des arrêts prioritaires », résume Mickaël Maisonnial, chef de projet en charge du suivi de l’accessibilité des transports en commun lyonnais (TCL) et de la concertation avec les personnes en situation de handicap. C’est avec ces associations de personnes handicapées que le Sytral travaille quotidiennement. Il gère les Transports en commun lyonnais, le réseau Libellule de Villefranche/Rhône et les Cars du Rhône. «Nous testons les solutions avec elles et mettons en œuvre celles qu’elles nous conseillent. Nous allons même au-delà de ce que prévoit la loi en menant des innovations comme l’installation de balises sonores aux entrées des stations de métro », détaille le chef de projet.
Fin 2020, le taux d’accessibilité des TCL sera de 75 %. À Lyon, les 4 lignes du métro et les 6 lignes de tram le sont déjà à 100 %. Une centaine d’arrêts de bus de la métropole sont rendus accessibles chaque année. En tout, il y a en 7 000, dont 800 ont été identifiés comme « prioritaires ». Parmi ces derniers, la moitié sont accessibles. « Tous le seront fin 2021 », affirme le chef de projet. Soit un investissement annuel d’environ 3,5 M€. Un chiffre à rapprocher des 100 M€ consacrés à l’accessibilité depuis 2008. Les TCL transportent chaque jour 1,7 million de voyageurs, dont 30 % sont en situation de handicap.
Sur les 1 000 arrêts que compte le réseau Cars du Rhône, 390 sont identifiés comme prioritaires. «À deux ans et demi de la fin du SD’AP, il nous reste encore une centaine de points d’arrêt à mettre en conformité », indique Jean-Baptiste Robert, responsable d’exploitation au sein de Sytral. Pour y parvenir, l’autorité organisatrice a passé une convention avec le département du Rhône. Le Sytral effectue les études et finance les travaux, tandis que le conseil départemental les réalise.
Le Sytral agit de même avec les intercommunalités pour les arrêts de cars situés sur voies communautaires. «De plus en plus de communautés de communes se substituent au conseil départemental pour effectuer ces travaux », souligne Jean-Baptiste Robert. Ce qui implique une plus grande concertation entre ces EPCI et le Sytral. «Ils nous sollicitent pour valider leurs plans d’aménagement de la voirie sur route départementale. Nous préconisons alors des cheminements piétons stables d’une largeur de 1,40 m. Mais cela reste des préconisations car notre compétence se limite aux arrêts de cars. »
C. C.
• Délégation ministérielle à l’accessibilité. https://www. ecologique-solidaire. gouv.fr/politique-de-l-accessibilite
• Le SD’AP pour l’accessibilité des transports en commun. https://www.ecologique-solidaire.
gouv.fr
• Le livret «Municipales 2020 : Liberté, égalité, fraternité, #CestLaBase » de APF France handicap, novembre 2019. https://participer.apf-francehandicap.org/project/municipales-2020/presentation/presentation
Sur ses 7 communes (Rhône, 25 390 hab.), la communauté de communes du Pays de l’Ozon (CCPO) mène, depuis 2009, une politique active en matière d’accessibilité. «Dès qu’il y a une opération de rénovation de voirie, nous nous imposons l’obligation de la rendre accessible aux personnes à mobilité réduite », explique Nicolas Martinon, technicien voirie à la CCPO. L’EPCI va jusqu’à acquérir du foncier, construire un mur de soutènement ou élargir un trottoir et créer des cheminements piétons aux normes. En 2018, CCPO a passé une convention avec le Sytral pour mettre en accessibilité les arrêts des Cars du Rhône. La CCPO réalise les travaux et perçoit pour cela une subvention du Sytral. Sur les 39 arrêts identifiés comme prioritaires, 15 répondent aux normes d’accessibilité. Tous, sauf 3, sont reliés à un centre-bourg ou à un lotissement par un cheminement piéton.
Un accompagnement au quotidien à Marcheprime
Entre Bordeaux et Arcachon, en Gironde, la commune (4 577 habitants) a intégré le handicap dans la vie de tous les jours. Y compris en interne.
Des bises envoyées d’un geste de la main. Ce geste est devenu quotidien dans les couloirs de la mairie de Marcheprime. Les agents l’ont appris grâce à une formation au langage des signes fin 2019. Le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) s’est déplacé dans la commune pour cela. Julie Gouarderes, animatrice handicap de la commune, avait pu réunir un groupe de 15 agents intéressés, dont 2 policiers municipaux, 2 agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles et des agents du CCAS. «Nous sommes capables de nous présenter, de déceler un problème et d’aider une personne », résume l’animatrice. Le réflexe de « signer » certains moments de la vie publique est déjà pris ici. La commune fait venir un agent du CNFPT qui traduit en direct. Comme lors de la Fête handivalide (lire ci-contre) ou des discours du maire.
100 % habitat inclusif
Les personnes porteuses de handicap peuvent – si elles le souhaitent – se faire recenser auprès du CCAS. «Elles peuvent ainsi plus facilement bénéficier tout au long de l’année d’activités culturelles, sportives, de sorties, de musicothérapie, de sophrologie… », explique l’animatrice qui les contacte un à un. La commune connaît ainsi tous les types de handicap présents sur sa commune. Certains sont sourds-muets, d’autres souffrent d’un handicap moteur ou mental. Le nombre important de jeunes handicapés recensés, porteurs notamment de troubles autistiques, qui sont en semaine en institut médico-éducatif (IME), a amené la commune à repenser depuis trois ans les conditions de leur intégration dans le club ado. Deux animateurs sportifs se sont formés à dessein. L’animatrice s’assure d’être là. Elle partage aussi son temps avec la direction de l’accueil de loisirs maternel (pour les 3/6 ans) qui s’est davantage ouvert aux enfants porteurs de handicap.
Le dernier projet lancé par la commune porte sur l’habitat inclusif. «Je voulais créer un foyer occupationnel pour jeunes handicapés mais l’État n’en veut plus. En revanche, le conseil départemental qui est engagé dans la démarche «Territoires 100 % inclusifs » m’a parlé de cet appel à projets de l’État. Et nous avons foncé, car l’offre en la matière est très rare et, au-delà de 60 ans, la plupart des personnes handicapées n’ont d’autre choix que l’EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes handicapées) », explique Chantal Bourgarel, conseillère municipale déléguée à l’action sociale et au handicap. Il s’agira de deux maisons, l’une pour quatre personnes handicapées vieillissantes, l’autre pour quatre personnes « cérébrolésées ». «Ce qui peut arriver notamment après un AVC », précise l’élue. Les personnes y vivront comme chez elles, entourées de personnel (aide-soignante, auxiliaire de vie, veilleur de nuit et coordinateur). Les logements sont, sur le papier, déjà tous occupés. «Nous avons porté le projet, mis en relation ceux qui le feront vivre », résume l’élue. La ville n’a rien dépensé dans le projet, hormis de l’énergie. La municipalité avait le terrain. Elle a proposé à l’association bordelaise TCA (Tout Cérébrolésé Assistance) qui gérait de tels logements sur Bordeaux d’en ouvrir de nouveaux sur Marcheprime. Un bailleur social (Domofrance) s’est joint au projet. «L’avenir leur appartient », conclut l’élue.
E. S.
Chaque année, en octobre, les habitants de Marcheprime sont invités à participer à Handi’valides (1). La fête dure toute la journée. Les associations de personnes en situation de handicap sont parties prenantes. Le principe est de partager les activités entre personnes handicapées et valides. Des Handi’Cafés sont organisés au moins deux fois par an pour la présentation des projets de la commune et du CCAS.
(1) www.ville-marcheprime.fr/actions-handicap
Cet article a été publié dans l'édition :
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